La Gaspésie

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book La Gaspésie by JEAN-BATISTE-ANTOINE FERLAND, GILBERT TEROL
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Author: JEAN-BATISTE-ANTOINE FERLAND ISBN: 1230000212460
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 24, 2014
Imprint: Language: French
Author: JEAN-BATISTE-ANTOINE FERLAND
ISBN: 1230000212460
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 24, 2014
Imprint:
Language: French

[H] isse la misaine ! … Envoie la barre pour qu’elle arrive… Largue les amarres de l’avant ! Une voix brève et accentuant fortement les mots avait jeté ces ordres, et la manœuvre s’était faite au gré du commandant ; l’avant de la goëlette s’éloignait lentement du quai, au souffle de vent qui donnait dans la seule voile déployée. — « Capitaine !… Capitaine ! » répète le même officier, le second. — « Le capitaine est allé dire adieu à sa femme ! » — « C’est bien le temps d’y aller quand on va partir. Jette une amarre sur le quai. » — L’amarre lancée tombe à mi-chemin ; mais un bras plus nerveux et plus expert la pousse jusques à terre, où elle est arrêtée ; l’avant de la goëlette se rapproche du débarcadère, et enfin le capitaine Constant V., la joue encore humide du dernier baiser de sa chère épouse, foule du pied le pont de sa bien-aimée Sara, de sa troisième moitié, comme le dirait un enfant de l’Irlande. Le cœur du brave homme est, en effet, à peu près partagé entre sa femme et ses deux goëlettes. Qui oserait lui en faire un crime ? Une goëlette obéit à son maître et garde le silence ; c’est ce que le marin n’obtient pas toujours de sa femme !

Le capitaine V. prend avec dignité le commandement de son bâtiment ; les amarres se détachent de nouveau ; un léger souffle du sud-ouest soulève à peine les voiles, et la Sara s’ébranle.

« Adieu ! adieu ! envoyez-nous de vos nouvelles. — Nous attendrons vos lettres à Percé. — Bon voyage. — Que le Seigneur vous garde jusqu’à votre retour. » — Ces adieux s’échangent entre un groupe de personnages sur le quai et les passagers réunis sur le pont. Quelques coups de canon retentissent sur la rivière Saint-Charles ; trois hourrahs sont poussés par les nombreux spectateurs ; trois autres par les matelots… et tout se tait.

La Sara glisse silencieusement sur la surface unie du bassin de Québec. Le soleil vient de se cacher derrière les montagnes de Charlesbourg ; aux premiers jours de son croissant, la lune répand une lumière faible et incertaine. La conversation a cessé parmi les passagers ; leurs regards demeurent attachés sur la vieille cité de Champlain. Les toits brillants de la Haute-Ville reflètent encore les dernières lueurs du crépuscule, tandis que des masses d’ombres se projettent sur la basse-ville et sur la longue ligne de ses quais, que bordent de nombreux navires. Au pied des monts laurentins, sur la rive gauche, s’étendent les habitations de Beauport, qui se déroulent comme un cordon blanchâtre sur un fond obscur ; à droite, la côte escarpée du sud se dresse, présentant un rideau noir, au-dessus duquel scintille le clocher de la Pointe-Lévis.

Quelques-uns des voyageurs laissent, sans doute, errer leurs pensées sur les amis qu’ils viennent de quitter. Aspirant après le moment, où, entourés d’un triple cercle d’auditeurs, ils pourront jouir du privilège accordé aux touristes, tout bas ils répètent le refrain d’une vieille chanson des pays hauts :

Quand je viendrai de mon voyage,
Chez moi viendront les curieux ;
Je mentirai selon l’usage,
Et l’on ne m’en croira que mieux.

Mais un devoir les appelle ; partant pour une mission évangélique, ils ont besoin que l’ange du Seigneur les accompagne. Ils s’agenouillent tous ensemble sur le pont, et prient le Dieu des consolations de les avoir en sa sainte garde et de faire fructifier le bon grain qu’ils vont semer.

En ce moment passe, sous la proue du vaisseau, un canot d’écorce, portant toute une famille sauvage. Le père et la mère conduisent cette frêle embarcation, dont les bords s’élèvent de quelques doigts seulement au-dessus de l’eau ; les enfants et les chiens, couchés pêle-mêle, dorment dans la plus profonde sécurité, au milieu des ustensiles de ménage, des couvertures, des peaux et des pièces de la tente. Comment celui qui protège et qui soutient sur les eaux cette faible écorce, pourrait-il oublier les hommes qui placent en lui toute leur confiance ?

Le vent fraîchit ; le saut de Montmorency gronde ; nous voici entrés dans le chenal qui sépare l’île d’Orléans de la côte du sud ; il est déjà dix heures du soir. À demain !

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[H] isse la misaine ! … Envoie la barre pour qu’elle arrive… Largue les amarres de l’avant ! Une voix brève et accentuant fortement les mots avait jeté ces ordres, et la manœuvre s’était faite au gré du commandant ; l’avant de la goëlette s’éloignait lentement du quai, au souffle de vent qui donnait dans la seule voile déployée. — « Capitaine !… Capitaine ! » répète le même officier, le second. — « Le capitaine est allé dire adieu à sa femme ! » — « C’est bien le temps d’y aller quand on va partir. Jette une amarre sur le quai. » — L’amarre lancée tombe à mi-chemin ; mais un bras plus nerveux et plus expert la pousse jusques à terre, où elle est arrêtée ; l’avant de la goëlette se rapproche du débarcadère, et enfin le capitaine Constant V., la joue encore humide du dernier baiser de sa chère épouse, foule du pied le pont de sa bien-aimée Sara, de sa troisième moitié, comme le dirait un enfant de l’Irlande. Le cœur du brave homme est, en effet, à peu près partagé entre sa femme et ses deux goëlettes. Qui oserait lui en faire un crime ? Une goëlette obéit à son maître et garde le silence ; c’est ce que le marin n’obtient pas toujours de sa femme !

Le capitaine V. prend avec dignité le commandement de son bâtiment ; les amarres se détachent de nouveau ; un léger souffle du sud-ouest soulève à peine les voiles, et la Sara s’ébranle.

« Adieu ! adieu ! envoyez-nous de vos nouvelles. — Nous attendrons vos lettres à Percé. — Bon voyage. — Que le Seigneur vous garde jusqu’à votre retour. » — Ces adieux s’échangent entre un groupe de personnages sur le quai et les passagers réunis sur le pont. Quelques coups de canon retentissent sur la rivière Saint-Charles ; trois hourrahs sont poussés par les nombreux spectateurs ; trois autres par les matelots… et tout se tait.

La Sara glisse silencieusement sur la surface unie du bassin de Québec. Le soleil vient de se cacher derrière les montagnes de Charlesbourg ; aux premiers jours de son croissant, la lune répand une lumière faible et incertaine. La conversation a cessé parmi les passagers ; leurs regards demeurent attachés sur la vieille cité de Champlain. Les toits brillants de la Haute-Ville reflètent encore les dernières lueurs du crépuscule, tandis que des masses d’ombres se projettent sur la basse-ville et sur la longue ligne de ses quais, que bordent de nombreux navires. Au pied des monts laurentins, sur la rive gauche, s’étendent les habitations de Beauport, qui se déroulent comme un cordon blanchâtre sur un fond obscur ; à droite, la côte escarpée du sud se dresse, présentant un rideau noir, au-dessus duquel scintille le clocher de la Pointe-Lévis.

Quelques-uns des voyageurs laissent, sans doute, errer leurs pensées sur les amis qu’ils viennent de quitter. Aspirant après le moment, où, entourés d’un triple cercle d’auditeurs, ils pourront jouir du privilège accordé aux touristes, tout bas ils répètent le refrain d’une vieille chanson des pays hauts :

Quand je viendrai de mon voyage,
Chez moi viendront les curieux ;
Je mentirai selon l’usage,
Et l’on ne m’en croira que mieux.

Mais un devoir les appelle ; partant pour une mission évangélique, ils ont besoin que l’ange du Seigneur les accompagne. Ils s’agenouillent tous ensemble sur le pont, et prient le Dieu des consolations de les avoir en sa sainte garde et de faire fructifier le bon grain qu’ils vont semer.

En ce moment passe, sous la proue du vaisseau, un canot d’écorce, portant toute une famille sauvage. Le père et la mère conduisent cette frêle embarcation, dont les bords s’élèvent de quelques doigts seulement au-dessus de l’eau ; les enfants et les chiens, couchés pêle-mêle, dorment dans la plus profonde sécurité, au milieu des ustensiles de ménage, des couvertures, des peaux et des pièces de la tente. Comment celui qui protège et qui soutient sur les eaux cette faible écorce, pourrait-il oublier les hommes qui placent en lui toute leur confiance ?

Le vent fraîchit ; le saut de Montmorency gronde ; nous voici entrés dans le chenal qui sépare l’île d’Orléans de la côte du sud ; il est déjà dix heures du soir. À demain !

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