Martin, l’enfant trouvé Tome de V à VIII

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Martin, l’enfant trouvé Tome de V à VIII by EUGÈNE SUE, GILBERT TEROL
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Author: EUGÈNE SUE ISBN: 1230000212206
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 23, 2014
Imprint: Language: French
Author: EUGÈNE SUE
ISBN: 1230000212206
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 23, 2014
Imprint:
Language: French

La mort subite de M. de Saint-Étienne avait ruiné toutes mes espérances, la disparition de Bamboche m’avait privé de l’appui que je pouvais attendre de lui ; je me trouvais jeté dans cet immense Paris, inconnu pour moi, ayant pour toutes ressources les misérables vêtements dont j’étais couvert, et seize sous, heureusement sauvés par moi, ainsi que le portefeuille soustrait à la tombe de la mère de Régina.

Selon le maître du garni où j’avais été dépouillé, il me restait deux partis à prendre pour ne pas mourir de faim :

Me faire arrêter pour un délit quelconque.

Aller sur les ports ou à la sortie des spectacles, dans le douteux espoir de gagner quelques sous, soit en aidant à transporter des fardeaux, soit en ouvrant la portière des fiacres.

Si vraisemblable, si vraie même que fût l’assertion du maître du garni, à propos de l’impossibilité de trouver du travail au jour le jour, surtout à cette époque de l’année, je ne pus d’abord me résigner à le croire.

― Il est, ― me dis-je, ― dans chaque quartier un magistrat dont la porte est ouverte à toute heure, je veux m’adresser directement à lui ; et, sans doute, au nom de la loi et de la société, il viendra en aide à un honnête homme, qui ne demande que du travail.

En quittant l’impasse du Renard, je revins à la barrière, je demandai la demeure du commissaire de police du quartier. Ou me l’indiqua. Je fus introduit auprès de ce magistrat. En peu de mots, je lui racontai ce qui m’était advenu depuis mon arrivée à Paris, omettant toutefois, selon ma promesse au maître du garni, le vol dont j’avais été victime dans sa maison.

D’abord je trouvai le magistrat froid, sévère et défiant ; mais bientôt, convaincu de ma sincérité, il me parut ensuite rempli de bienveillance et de commisération, voici sa réponse :

« ― Les détails que vous me donnez, votre manière de vous exprimer et mon expérience des hommes, me convainquent que vous dites la vérité ; je crois votre position aussi déplorable que digne de pitié, malheureusement je ne puis rien… absolument rien, j’agis même contre mon devoir en ne vous faisant pas arrêter immédiatement, puisque, d’après votre aveu, il ne vous reste aucun moyen d’existence et personne à Paris ne peut vous réclamer. Je vous rends peut-être un mauvais service en vous laissant votre liberté… Elle ne sera pour vous, je le crains, que la liberté de mendier, délit qui vous ramènera fatalement à la prison ; mais je ne veux pas abuser de votre confiance ; votre éducation ne peut vous être d’aucune ressource dans une position aussi pressante. Plus tard vous auriez pu vous occuper comme charpentier ; mais malheureusement cette profession est en chômage absolu durant l’hiver.

― Mais enfin, Monsieur, que faire ? Que me conseillez-vous ?

« Hélas ! mon brave garçon, le seul conseil que je pourrais vous donner serait de vous laisser arrêter comme vagabond… au moins, vous trouveriez en prison un asile et du pain ; et encore, vous êtes si jeune, et la vie de prison est si contagieuse… que ce serait risquer d’y corrompre une bonne nature comme la vôtre… Sans doute ceci est déplorable… mais que voulez-vous ?… la loi ne peut pas tout prévoir. »

― Ne pas prévoir cette éventualité, hélas si fréquente : qu’un honnête homme, malgré son bon vouloir, ne puisse trouver de travail ? ― m’écriai-je avec amertume ; ― la loi prévoit bien les mille délits que l’on peut commettre… comment ne prévoit-elle pas les causes qui peuvent amener ces délits ?

― Que voulez-vous ? c’est comme cela, ― me répondit tristement le magistrat.

À ce moment, son secrétaire vint le chercher pour je ne sais quel grave incident. Je sortis de chez le commissaire avec cette désolante pensée que, sauf la brutalité des expressions, il m’avait tenu à-peu-près le même langage que le maître du garni.

Si accablante que fût cette nouvelle épreuve, je ne me rebutai pas encore. Je possédais seize sous ; or en vivant avec deux ou trois sous de pain par jour, en payant quatre sous par nuit pour coucher dans un garni, j’avais au moins deux jours assurés, et je comptais malgré moi sur quelque bonne chance. Avant de me décider à aborder les industries aventureuses dont m’avait parlé le maître du garni, je voulus tenter de trouver des moyens d’existence moins précaires.

En cheminant au hasard par les rues, j’avisai l’échoppe d’un écrivain public ; j’eus une lueur d’espoir : peut-être pourrait-il m’employer. Le jour de l’an approchait ; à cette époque de l’année, les pauvres illettrés ont ordinairement des vœux à exprimer à des parents ou à des amis absents… j’entrai timidement chez l’écrivain public ; à peine eut-il écouté ma requête et mes offres de service, qu’il referma brusquement la porte, voyant peut-être en moi un concurrent futur.

Je continuai d’errer çà et là ; je rencontrai sur ma route une boutique de menuisier ; connaissant assez bien l’état de charpentier qui, en beaucoup de points, touche à la menuiserie, je hasardai une nouvelle demande au patron de cette boutique.

« ― Mon garçon, ― me dit-il, ― de vingt bons ouvriers que j’employais dans la saison, je n’en emploie plus que cinq, vu le chômage des bâtiments ; comment diable voulez-vous que je vous occupe, vous qui n’êtes pas de l’état encore ?…

Cette réponse était juste ; je m’éloignai la mort dans le cœur ; la nuit vint ; épuisé de besoin, de fatigue, j’achetai pour trois sous de pain chez un boulanger, je demandai si j’étais loin de la barrière de la Chopinette, car je comptais aller coucher dans le même garni, l’hôte étant déjà pour moi une sorte de connaissance ; mais, pour me rendre à cette barrière, il m’eût fallu traverser tout Paris, car je me trouvais dans les environs du Pont-Neuf ;

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La mort subite de M. de Saint-Étienne avait ruiné toutes mes espérances, la disparition de Bamboche m’avait privé de l’appui que je pouvais attendre de lui ; je me trouvais jeté dans cet immense Paris, inconnu pour moi, ayant pour toutes ressources les misérables vêtements dont j’étais couvert, et seize sous, heureusement sauvés par moi, ainsi que le portefeuille soustrait à la tombe de la mère de Régina.

Selon le maître du garni où j’avais été dépouillé, il me restait deux partis à prendre pour ne pas mourir de faim :

Me faire arrêter pour un délit quelconque.

Aller sur les ports ou à la sortie des spectacles, dans le douteux espoir de gagner quelques sous, soit en aidant à transporter des fardeaux, soit en ouvrant la portière des fiacres.

Si vraisemblable, si vraie même que fût l’assertion du maître du garni, à propos de l’impossibilité de trouver du travail au jour le jour, surtout à cette époque de l’année, je ne pus d’abord me résigner à le croire.

― Il est, ― me dis-je, ― dans chaque quartier un magistrat dont la porte est ouverte à toute heure, je veux m’adresser directement à lui ; et, sans doute, au nom de la loi et de la société, il viendra en aide à un honnête homme, qui ne demande que du travail.

En quittant l’impasse du Renard, je revins à la barrière, je demandai la demeure du commissaire de police du quartier. Ou me l’indiqua. Je fus introduit auprès de ce magistrat. En peu de mots, je lui racontai ce qui m’était advenu depuis mon arrivée à Paris, omettant toutefois, selon ma promesse au maître du garni, le vol dont j’avais été victime dans sa maison.

D’abord je trouvai le magistrat froid, sévère et défiant ; mais bientôt, convaincu de ma sincérité, il me parut ensuite rempli de bienveillance et de commisération, voici sa réponse :

« ― Les détails que vous me donnez, votre manière de vous exprimer et mon expérience des hommes, me convainquent que vous dites la vérité ; je crois votre position aussi déplorable que digne de pitié, malheureusement je ne puis rien… absolument rien, j’agis même contre mon devoir en ne vous faisant pas arrêter immédiatement, puisque, d’après votre aveu, il ne vous reste aucun moyen d’existence et personne à Paris ne peut vous réclamer. Je vous rends peut-être un mauvais service en vous laissant votre liberté… Elle ne sera pour vous, je le crains, que la liberté de mendier, délit qui vous ramènera fatalement à la prison ; mais je ne veux pas abuser de votre confiance ; votre éducation ne peut vous être d’aucune ressource dans une position aussi pressante. Plus tard vous auriez pu vous occuper comme charpentier ; mais malheureusement cette profession est en chômage absolu durant l’hiver.

― Mais enfin, Monsieur, que faire ? Que me conseillez-vous ?

« Hélas ! mon brave garçon, le seul conseil que je pourrais vous donner serait de vous laisser arrêter comme vagabond… au moins, vous trouveriez en prison un asile et du pain ; et encore, vous êtes si jeune, et la vie de prison est si contagieuse… que ce serait risquer d’y corrompre une bonne nature comme la vôtre… Sans doute ceci est déplorable… mais que voulez-vous ?… la loi ne peut pas tout prévoir. »

― Ne pas prévoir cette éventualité, hélas si fréquente : qu’un honnête homme, malgré son bon vouloir, ne puisse trouver de travail ? ― m’écriai-je avec amertume ; ― la loi prévoit bien les mille délits que l’on peut commettre… comment ne prévoit-elle pas les causes qui peuvent amener ces délits ?

― Que voulez-vous ? c’est comme cela, ― me répondit tristement le magistrat.

À ce moment, son secrétaire vint le chercher pour je ne sais quel grave incident. Je sortis de chez le commissaire avec cette désolante pensée que, sauf la brutalité des expressions, il m’avait tenu à-peu-près le même langage que le maître du garni.

Si accablante que fût cette nouvelle épreuve, je ne me rebutai pas encore. Je possédais seize sous ; or en vivant avec deux ou trois sous de pain par jour, en payant quatre sous par nuit pour coucher dans un garni, j’avais au moins deux jours assurés, et je comptais malgré moi sur quelque bonne chance. Avant de me décider à aborder les industries aventureuses dont m’avait parlé le maître du garni, je voulus tenter de trouver des moyens d’existence moins précaires.

En cheminant au hasard par les rues, j’avisai l’échoppe d’un écrivain public ; j’eus une lueur d’espoir : peut-être pourrait-il m’employer. Le jour de l’an approchait ; à cette époque de l’année, les pauvres illettrés ont ordinairement des vœux à exprimer à des parents ou à des amis absents… j’entrai timidement chez l’écrivain public ; à peine eut-il écouté ma requête et mes offres de service, qu’il referma brusquement la porte, voyant peut-être en moi un concurrent futur.

Je continuai d’errer çà et là ; je rencontrai sur ma route une boutique de menuisier ; connaissant assez bien l’état de charpentier qui, en beaucoup de points, touche à la menuiserie, je hasardai une nouvelle demande au patron de cette boutique.

« ― Mon garçon, ― me dit-il, ― de vingt bons ouvriers que j’employais dans la saison, je n’en emploie plus que cinq, vu le chômage des bâtiments ; comment diable voulez-vous que je vous occupe, vous qui n’êtes pas de l’état encore ?…

Cette réponse était juste ; je m’éloignai la mort dans le cœur ; la nuit vint ; épuisé de besoin, de fatigue, j’achetai pour trois sous de pain chez un boulanger, je demandai si j’étais loin de la barrière de la Chopinette, car je comptais aller coucher dans le même garni, l’hôte étant déjà pour moi une sorte de connaissance ; mais, pour me rendre à cette barrière, il m’eût fallu traverser tout Paris, car je me trouvais dans les environs du Pont-Neuf ;

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