Author: | Pierre Maël | ISBN: | 1230003296509 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | June 26, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Pierre Maël |
ISBN: | 1230003296509 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | June 26, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
La mer partout, au levant, au couchant, au midi, au septentrion, la mer grise et morne, pleine de trouble et de tristesse, sous un firmament sans soleil. Et sur cette mer, un navire long et étroit, couronné d’un panache de fumée que les vents, singulièrement bas, déroulent en épais flocons lents à se fondre dans l’air ambiant.
Il y a douze jours que ce navire a quitté Cherbourg. Ce n’est point un vaisseau de guerre, bien que deux canons d’acier s’allongent sur le pont, à l’avant et à l’arrière. Les couleurs de la France battent à sa corne, et l’allure dont il va est celle d’un rapide coureur des mers. Et cependant, malgré sa vitesse ordinaire, il n’est encore qu’à la hauteur du 70e parallèle. Des causes d’ordre rationnel et logique ont pu seules retarder ainsi sa marche.
On touche au printemps. Afin de gagner du temps, les navigateurs ont devancé le mois d’avril. On ne marche qu’avec la plus extrême prudence, car la débâcle est déjà commencée. La vitesse, qui pourrait être de quatorze nœuds, n’est que de huit milles à l’heure [1]. Le navire a rencontré quelques blocs errants dès la pointe d’Ekersünd, où il a fallu relâcher. Puis, la mer se faisant libre, on a longé les hautes falaises de la Norvège, la région des fiords.
Maintenant, le cap Nord n’est plus qu’à quelques minutes à l’est. Demain, après-demain, selon que les courants chauds le permettront, on se rapprochera de la côte, et, le 15 mai, l’océan Boréal sera entièrement ouvert.
Sur la gaillard d'arrière du navire, deux hommes s’entretiennent, confortablement assis en de vastes fauteuils de canne et tournant le dos à la direction du steamer. L’un de ces hommes est jeune. Il paraît avoir vingt-huit ans. Il est grand, large d’épaules, bien pris dans toute sa personne. Il porte la petite tenue des officiers de la marine militaire. Son interlocuteur, à la barbe et aux cheveux blancs, ne semble pourtant pas dépasser la cinquantaine. Ils s’entretiennent avec un intérêt soutenu du but et des conditions du voyage.
« Depuis le départ, notre Étoile n’a pas bronché. Elle se comporte comme un vieux routier de l’océan. Laissez-moi vous féliciter. C’est le modèle des navires, et vous avez toutes les raisons d’en être fier, puisque vous en êtes le père. »
C’est le jeune homme qui vient de parler.
Son compagnon a souri au compliment. Modestement il répond :
« Sans doute, sans doute, j’en suis le père… adoptif. Mais c’est Lacrosse qui l’a découvert dans ses langes. Combien ne lui dois-je pas, et aussi à vous, mon cher Hubert ! Voici trois ans que je vous pille sans que vous le soupçonniez, que je mets à contribution votre savoir et vos expériences combinées.
— Oh ! mon expérience, cher oncle, est de très minime importance. Je laisse toute la haute valeur de ce mot à l’acquis du commandant Lacrosse. Pour moi….
— Pour vous, interrompit M. de Kéralio, n’êtes-vous pas le créateur de ce sous-marin dont nous attendons des merveilles ? »
Hubert sourit :
« Allons, j’avoue que j’y suis pour quelque chose. Mais ce quelque chose n’est pas encore expérimenté, et d’ailleurs la découverte ne m’en appartient pas en propre. Mon frère Marc est de moitié dans l’invention, et si l’épreuve justifie nos espérances, c’est à lui surtout qu’en reviendra la gloire. »
M. de Kéralio se mit à rire.
« Ah oui ! dit-il, le fameux secret que vous ne devez révéler qu’à son heure !
— Précisément, mon cher oncle, ce secret dont la divulgation demande à être précédée d’une expérimentation concluante.
— En ce cas, le moment est venu d’y recourir », prononça derrière les deux hommes une voix claire et fraîche de jeune fille.
Ils se retournèrent en même temps.
« Ma cousine, dit Hubert en s’inclinant respectueusement.
— Ma petite Belle, fit M. de Kéralio, viens-tu donc nous rappeler l’heure du déjeuner ? Je ne sais si le vent qui nous rafraîchit en ce moment nous creuse plus qu’à l’ordinaire, mais j’avoue que mon estomac me parait en avance sur ses habitudes. »
La nouvelle venue tendit sa main au jeune homme, son front au baiser paternel.
« Non, père, répliqua-t-elle, et votre estomac est dans son tort. Il est à peine dix heures du matin, et je suis venue pour assister à la féerie qui se prépare. Le commandant Lacrosse, en effet, m’a prévenue que, dans un instant, nous assisterions à une véritable illumination de glaces.»
Et, sans façon, elle attira un siège pareil à ceux des deux hommes, et s’y assit.
Celle qui venait de parler était une grande et belle fille de vingt ans. Elle était brune avec des yeux bleus, le type des races d’origine kymrique et ibère, telles que les Irlandais, les Gaëls d'Écosse et ceux des côtes de Bretagne. Toute sa personne, bien prise et svelte, annonçait une vigueur rare chez une femme, en même temps que le reflet métallique de ses pupilles dénotait, sous certains froncements des sourcils, une grande énergie. On devinait en elle l’âme et l’organisme d’une héroïne véritable, sans forfanterie comme sans timidité gauche ou empruntée.
Belle — ou très exactement Isabelle de Kéralio — était la fille unique d’un propriétaire et industriel, possesseur de terres et d’usines au Canada, où sa famille s’était établie depuis deux siècles.
La mer partout, au levant, au couchant, au midi, au septentrion, la mer grise et morne, pleine de trouble et de tristesse, sous un firmament sans soleil. Et sur cette mer, un navire long et étroit, couronné d’un panache de fumée que les vents, singulièrement bas, déroulent en épais flocons lents à se fondre dans l’air ambiant.
Il y a douze jours que ce navire a quitté Cherbourg. Ce n’est point un vaisseau de guerre, bien que deux canons d’acier s’allongent sur le pont, à l’avant et à l’arrière. Les couleurs de la France battent à sa corne, et l’allure dont il va est celle d’un rapide coureur des mers. Et cependant, malgré sa vitesse ordinaire, il n’est encore qu’à la hauteur du 70e parallèle. Des causes d’ordre rationnel et logique ont pu seules retarder ainsi sa marche.
On touche au printemps. Afin de gagner du temps, les navigateurs ont devancé le mois d’avril. On ne marche qu’avec la plus extrême prudence, car la débâcle est déjà commencée. La vitesse, qui pourrait être de quatorze nœuds, n’est que de huit milles à l’heure [1]. Le navire a rencontré quelques blocs errants dès la pointe d’Ekersünd, où il a fallu relâcher. Puis, la mer se faisant libre, on a longé les hautes falaises de la Norvège, la région des fiords.
Maintenant, le cap Nord n’est plus qu’à quelques minutes à l’est. Demain, après-demain, selon que les courants chauds le permettront, on se rapprochera de la côte, et, le 15 mai, l’océan Boréal sera entièrement ouvert.
Sur la gaillard d'arrière du navire, deux hommes s’entretiennent, confortablement assis en de vastes fauteuils de canne et tournant le dos à la direction du steamer. L’un de ces hommes est jeune. Il paraît avoir vingt-huit ans. Il est grand, large d’épaules, bien pris dans toute sa personne. Il porte la petite tenue des officiers de la marine militaire. Son interlocuteur, à la barbe et aux cheveux blancs, ne semble pourtant pas dépasser la cinquantaine. Ils s’entretiennent avec un intérêt soutenu du but et des conditions du voyage.
« Depuis le départ, notre Étoile n’a pas bronché. Elle se comporte comme un vieux routier de l’océan. Laissez-moi vous féliciter. C’est le modèle des navires, et vous avez toutes les raisons d’en être fier, puisque vous en êtes le père. »
C’est le jeune homme qui vient de parler.
Son compagnon a souri au compliment. Modestement il répond :
« Sans doute, sans doute, j’en suis le père… adoptif. Mais c’est Lacrosse qui l’a découvert dans ses langes. Combien ne lui dois-je pas, et aussi à vous, mon cher Hubert ! Voici trois ans que je vous pille sans que vous le soupçonniez, que je mets à contribution votre savoir et vos expériences combinées.
— Oh ! mon expérience, cher oncle, est de très minime importance. Je laisse toute la haute valeur de ce mot à l’acquis du commandant Lacrosse. Pour moi….
— Pour vous, interrompit M. de Kéralio, n’êtes-vous pas le créateur de ce sous-marin dont nous attendons des merveilles ? »
Hubert sourit :
« Allons, j’avoue que j’y suis pour quelque chose. Mais ce quelque chose n’est pas encore expérimenté, et d’ailleurs la découverte ne m’en appartient pas en propre. Mon frère Marc est de moitié dans l’invention, et si l’épreuve justifie nos espérances, c’est à lui surtout qu’en reviendra la gloire. »
M. de Kéralio se mit à rire.
« Ah oui ! dit-il, le fameux secret que vous ne devez révéler qu’à son heure !
— Précisément, mon cher oncle, ce secret dont la divulgation demande à être précédée d’une expérimentation concluante.
— En ce cas, le moment est venu d’y recourir », prononça derrière les deux hommes une voix claire et fraîche de jeune fille.
Ils se retournèrent en même temps.
« Ma cousine, dit Hubert en s’inclinant respectueusement.
— Ma petite Belle, fit M. de Kéralio, viens-tu donc nous rappeler l’heure du déjeuner ? Je ne sais si le vent qui nous rafraîchit en ce moment nous creuse plus qu’à l’ordinaire, mais j’avoue que mon estomac me parait en avance sur ses habitudes. »
La nouvelle venue tendit sa main au jeune homme, son front au baiser paternel.
« Non, père, répliqua-t-elle, et votre estomac est dans son tort. Il est à peine dix heures du matin, et je suis venue pour assister à la féerie qui se prépare. Le commandant Lacrosse, en effet, m’a prévenue que, dans un instant, nous assisterions à une véritable illumination de glaces.»
Et, sans façon, elle attira un siège pareil à ceux des deux hommes, et s’y assit.
Celle qui venait de parler était une grande et belle fille de vingt ans. Elle était brune avec des yeux bleus, le type des races d’origine kymrique et ibère, telles que les Irlandais, les Gaëls d'Écosse et ceux des côtes de Bretagne. Toute sa personne, bien prise et svelte, annonçait une vigueur rare chez une femme, en même temps que le reflet métallique de ses pupilles dénotait, sous certains froncements des sourcils, une grande énergie. On devinait en elle l’âme et l’organisme d’une héroïne véritable, sans forfanterie comme sans timidité gauche ou empruntée.
Belle — ou très exactement Isabelle de Kéralio — était la fille unique d’un propriétaire et industriel, possesseur de terres et d’usines au Canada, où sa famille s’était établie depuis deux siècles.