Les Mystères du peuple Tome XV

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Les Mystères du peuple Tome XV by EUGÈNE SUE, GILBERT TEROL
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Author: EUGÈNE SUE ISBN: 1230000213078
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 26, 2014
Imprint: Language: French
Author: EUGÈNE SUE
ISBN: 1230000213078
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 26, 2014
Imprint:
Language: French

— Je comprends parfaitement, — reprend le capitaine Martin, — car le hasard veut que j’aie appris autrefois cette langue étrangère et des plus étrangères, que tu parles si purement… Donc, tu me demandes si mira (la corde), ta (sera), bi (bien), lou (solide) ? Sois tranquille à cet égard, tu seras congrûment et très-solidement pendu ! — ajoute le capitaine ; et se tournant vers Jean Lebrenn : — Camarade, tu vas conduire les prisonniers au quartier général, tu remettras ces fragments de papier à l’un des aides de camp de service à qui tu rendras compte de ta capture… peut-être pourra-t-on déchiffrer quelque chose… Un ou deux volontaires t’accompagneront.

— Ne dégarnis pas ton poste, citoyen capitaine, — dit Duchemin, — en m’en retournant à ma batterie, j’accompagnerai le camarade jusqu’à la maison qu’occupe le général, et à nous deux nous suffirons de reste à l’escorte de ce galopin et de cet honnête agent de Pitt et de Cobourg.

Jean Lebrenn, remarquant pour la première fois le canonnier, de qui le civisme l’avait si vivement touché un an auparavant, alors qu’il l’avait vu se présenter à la tente des enrôlements avec ses deux chevaux, se rappela bientôt ses traits et lui dit cordialement : — Citoyen, tu te nommes Jacques Duchemin. Tu étais cocher de fiacre en 1792. Tu es parti le 2 septembre à la frontière avec tes chevaux ?

— Oui, camarade, et d’où diable me connais-tu ?

— Je vais te l’apprendre durant notre trajet au quartier général, — répond Jean Lebrenn ; et bientôt, prenant le jésuite au collet, tandis que Duchemin conduisait le petit Rodin par la main, le volontaire et le canonnier sortent de la salle de l’auberge et se dirigent vers le bourg d’Ingelsheim.

— La capture de ces espions m’a empêché d’apprendre à l’ami Jean la découverte que je viens de faire au sujet de notre apprenti Olivier et de la citoyenne Victoria, — se dit Castillon, s’étendant sur la paille afin de se livrer au sommeil. — Jean ne va pas tarder de revenir au poste, j’aurai le temps de lui conter la chose avant la bataille de demain, où lui ou moi pouvons laisser notre peau… Dame ! ça s’est vu… Eh bien, quoi donc !… c’est pas si triste, pourvu qu’on ait le temps de crier : Vive la république !

_____

Lazare Hoche avait établi son quartier général dans la maison commune du bourg d’Ingelsheim ; des soldats et des sous-officiers des divers corps de l’armée servant d’ordonnances, prêts à porter des ordres, se tenaient dans une sorte de vestibule précédant une chambre réservée aux aides de camp des généraux Hoche et Pichegru, conférant en ce moment avec les représentants du peuple Saint-Just, Lebas, Randon et Lacoste, commissaires extraordinaires de la Convention auprès des armées du Rhin et de la Moselle. Parmi les différents plantons assis çà et là sur des bancs et sommeillant pour la plupart, vaincus par les fatigues de la journée, se trouvaient placés à l’écart derrière l’un des battants de la porte et devisant ensemble, un cavalier et un maréchal des logis du troisième régiment de hussards, Victoria et Olivier… La beauté virile de la jeune femme, son teint pâle et brun, le léger duvet noir qui estompait sa lèvre vermeille, ses sourcils épais, l’élévation de sa taille élancée, la carrure de ses épaules, la hardiesse de son maintien, l’éclat et le feu de son intrépide regard, l’expression résolue de sa mâle physionomie, se prêtaient si merveilleusement à l’illusion de son déguisement, que personne ne l’avait soupçonné jusqu’alors ; et si l’on eût pu supposer que l’un des deux plus vaillants cavaliers du troisième hussards était une femme, les doutes se fussent éveillés à l’endroit d’Olivier, grâce à la juvénilité de sa figure encore imberbe, à la pureté des lignes de son charmant visage d’une délicatesse toute féminine. Il semblait d’ailleurs, depuis six mois, moralement transfiguré. Ses traits, jadis mornes, flétris, navrés par les ressentiments d’une douleur désespérée, rayonnaient de jeunesse, d’espérance et d’ardeur guerrière. Son grand œil bleu, limpide et brillant, semblait refléter d’éblouissantes visions d’avenir.

— Ah ! — disait-il en ce moment à Victoria d’une voix contenue et palpitante, — avec quelle impatience… quelle fièvre j’attends la journée de demain !! Tiens, Victor… je le sens là… au cœur… je serai tué ou nommé sous-lieutenant sur le champ de bataille. Oh ! si j’avais le bonheur de conquérir ce grade… j’aurais fait mon premier pas vers les hauts commandements ! Hoche, notre général en chef, n’était sous-lieutenant qu’à vingt-deux ans !… je le serais à dix-huit ans ! Quel avenir… quel avenir s’ouvrirait devant moi !

Et le jeune soldat, rêvant à cette carrière dont le glorieux mirage l’exaltait, garde pendant assez longtemps le silence. Victoria l’observe avec une attention pénétrante. Un sourire d’une expression indéfinissable contracte ses lèvres… lorsque soudain, et comme par réminiscence de son amour, Olivier, sortant de sa rêverie, ajoute en rougissant : — Peut-être demain, si je gagne mon premier grade d’officier, me jugeras-tu enfin digne de toi, Victoria !! Alors je goûterai les divins enivrements de la gloire et de l’amour… Oh ! bonheur ! mériter le gage suprême de ta tendresse ou mourir à tes yeux en te donnant ma dernière pensée !

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— Je comprends parfaitement, — reprend le capitaine Martin, — car le hasard veut que j’aie appris autrefois cette langue étrangère et des plus étrangères, que tu parles si purement… Donc, tu me demandes si mira (la corde), ta (sera), bi (bien), lou (solide) ? Sois tranquille à cet égard, tu seras congrûment et très-solidement pendu ! — ajoute le capitaine ; et se tournant vers Jean Lebrenn : — Camarade, tu vas conduire les prisonniers au quartier général, tu remettras ces fragments de papier à l’un des aides de camp de service à qui tu rendras compte de ta capture… peut-être pourra-t-on déchiffrer quelque chose… Un ou deux volontaires t’accompagneront.

— Ne dégarnis pas ton poste, citoyen capitaine, — dit Duchemin, — en m’en retournant à ma batterie, j’accompagnerai le camarade jusqu’à la maison qu’occupe le général, et à nous deux nous suffirons de reste à l’escorte de ce galopin et de cet honnête agent de Pitt et de Cobourg.

Jean Lebrenn, remarquant pour la première fois le canonnier, de qui le civisme l’avait si vivement touché un an auparavant, alors qu’il l’avait vu se présenter à la tente des enrôlements avec ses deux chevaux, se rappela bientôt ses traits et lui dit cordialement : — Citoyen, tu te nommes Jacques Duchemin. Tu étais cocher de fiacre en 1792. Tu es parti le 2 septembre à la frontière avec tes chevaux ?

— Oui, camarade, et d’où diable me connais-tu ?

— Je vais te l’apprendre durant notre trajet au quartier général, — répond Jean Lebrenn ; et bientôt, prenant le jésuite au collet, tandis que Duchemin conduisait le petit Rodin par la main, le volontaire et le canonnier sortent de la salle de l’auberge et se dirigent vers le bourg d’Ingelsheim.

— La capture de ces espions m’a empêché d’apprendre à l’ami Jean la découverte que je viens de faire au sujet de notre apprenti Olivier et de la citoyenne Victoria, — se dit Castillon, s’étendant sur la paille afin de se livrer au sommeil. — Jean ne va pas tarder de revenir au poste, j’aurai le temps de lui conter la chose avant la bataille de demain, où lui ou moi pouvons laisser notre peau… Dame ! ça s’est vu… Eh bien, quoi donc !… c’est pas si triste, pourvu qu’on ait le temps de crier : Vive la république !

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Lazare Hoche avait établi son quartier général dans la maison commune du bourg d’Ingelsheim ; des soldats et des sous-officiers des divers corps de l’armée servant d’ordonnances, prêts à porter des ordres, se tenaient dans une sorte de vestibule précédant une chambre réservée aux aides de camp des généraux Hoche et Pichegru, conférant en ce moment avec les représentants du peuple Saint-Just, Lebas, Randon et Lacoste, commissaires extraordinaires de la Convention auprès des armées du Rhin et de la Moselle. Parmi les différents plantons assis çà et là sur des bancs et sommeillant pour la plupart, vaincus par les fatigues de la journée, se trouvaient placés à l’écart derrière l’un des battants de la porte et devisant ensemble, un cavalier et un maréchal des logis du troisième régiment de hussards, Victoria et Olivier… La beauté virile de la jeune femme, son teint pâle et brun, le léger duvet noir qui estompait sa lèvre vermeille, ses sourcils épais, l’élévation de sa taille élancée, la carrure de ses épaules, la hardiesse de son maintien, l’éclat et le feu de son intrépide regard, l’expression résolue de sa mâle physionomie, se prêtaient si merveilleusement à l’illusion de son déguisement, que personne ne l’avait soupçonné jusqu’alors ; et si l’on eût pu supposer que l’un des deux plus vaillants cavaliers du troisième hussards était une femme, les doutes se fussent éveillés à l’endroit d’Olivier, grâce à la juvénilité de sa figure encore imberbe, à la pureté des lignes de son charmant visage d’une délicatesse toute féminine. Il semblait d’ailleurs, depuis six mois, moralement transfiguré. Ses traits, jadis mornes, flétris, navrés par les ressentiments d’une douleur désespérée, rayonnaient de jeunesse, d’espérance et d’ardeur guerrière. Son grand œil bleu, limpide et brillant, semblait refléter d’éblouissantes visions d’avenir.

— Ah ! — disait-il en ce moment à Victoria d’une voix contenue et palpitante, — avec quelle impatience… quelle fièvre j’attends la journée de demain !! Tiens, Victor… je le sens là… au cœur… je serai tué ou nommé sous-lieutenant sur le champ de bataille. Oh ! si j’avais le bonheur de conquérir ce grade… j’aurais fait mon premier pas vers les hauts commandements ! Hoche, notre général en chef, n’était sous-lieutenant qu’à vingt-deux ans !… je le serais à dix-huit ans ! Quel avenir… quel avenir s’ouvrirait devant moi !

Et le jeune soldat, rêvant à cette carrière dont le glorieux mirage l’exaltait, garde pendant assez longtemps le silence. Victoria l’observe avec une attention pénétrante. Un sourire d’une expression indéfinissable contracte ses lèvres… lorsque soudain, et comme par réminiscence de son amour, Olivier, sortant de sa rêverie, ajoute en rougissant : — Peut-être demain, si je gagne mon premier grade d’officier, me jugeras-tu enfin digne de toi, Victoria !! Alors je goûterai les divins enivrements de la gloire et de l’amour… Oh ! bonheur ! mériter le gage suprême de ta tendresse ou mourir à tes yeux en te donnant ma dernière pensée !

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