Pour le bon motif

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Pour le bon motif by JEANNE MARAIS, GILBERT TEROL
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Author: JEANNE MARAIS ISBN: 1230000211249
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 20, 2014
Imprint: Language: French
Author: JEANNE MARAIS
ISBN: 1230000211249
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 20, 2014
Imprint:
Language: French

— Qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Marcel d’Arlaud avec stupeur, en commençant de lire la lettre qu’il venait de décacheter.

Sa figure exprima d’abord un étonnement indicible ; puis un sourire retroussa sa moustache ; enfin, il éclata de rire en s’écriant :

— Est-ce l’œuvre d’une farceuse… ou d’une ingénue ?

Il ajouta, ironique et perplexe :

— Est-ce une rouée de ma connaissance qui se moque de moi, ou une naïve inconnue qui ne craint pas que je me moque d’elle ?

Marcel d’Arlaud — le plus spirituel et le plus parisien de nos auteurs dramatiques — dépouillait son courrier matinal : cartons officiels, invitations mondaines, lettres de sollicitations ; le relevé du mois à la Société des Auteurs : le Mariage d’Yvette, sa pièce de la saison continuait de faire le maximum.

Il parcourait cette correspondance banale avec une nonchalance de quadragénaire blasé. Une dernière enveloppe tombait sous ses yeux — papier vergé, adresse rédigée à la machine — quelque prospectus, quelque circulaire sans doute… Il la déchirait négligemment. Or, la lettre qu’il en retirait, si inattendue, si bizarre, si cocasse, lui arrachait ces exclamations de surprise. Il la relut une seconde fois. À cette missive était jointe une photographie que Marcel d’Arlaud examina consciencieusement.

À la fin, il conclut en haussant les épaules :

— Parbleu ! Il s’agit d’une mystification : ce portrait… on dirait que c’est celui de Nelly Rosane !

Nelly Rosane était l’actrice qui interprétait le principal rôle du Mariage d’Yvette.

Il fourra lettre et photo dans sa poche en déclarant :

— On ne prend pas Marcel d’Arlaud au piège de la « réponse à une inconnue » …

L’écrivain se méfiait, d’instinct : riche, célèbre, encore jeune et séduisant, il avait tout pour être détesté. Ses comédies dépassaient couramment la centième : aussi lui reprochait-on d’avoir l’esprit facile. Il ripostait, du tac au tac : « Le propre de l’esprit facile est de déplaire aux sots difficiles. »

Or, ses envieux cherchaient fréquemment à lui jouer des tours.

— Monsieur, l’auto est à la porte.

L’entrée du valet de chambre interrompit ses réflexions. D’Arlaud songea : « C’est vrai : il faut que je passe chez le banquier. » Et, quittant le petit hôtel qu’il habitait, avenue Gourgaud, Marcel se fit conduire à la banque Salmon, rue Laffitte.

Il avait placé une grande partie de ses intérêts chez son ami, le riche financier Henry Salmon. Ce matin, il y venait déposer une quittance de deux mille francs à faire toucher pour son compte.

Tandis que le caissier préparait un reçu, Marcel, un peu fat, s’examinait à la dérobée dans le reflet du panneau vitré placé devant la caisse. La glace transparente lui renvoyait la silhouette d’un homme de quarante-cinq ans, élégant, d’allure jeune, rasé de frais, dont les yeux pétillants et la moustache légère avivaient la physionomie intelligente :

— Voici votre reçu, monsieur d’Arlaud ; dit le caissier.

L’écrivain prit le papier et vérifia d’un coup d’œil :

« Reçu… quittance… deux mille francs… Le caissier : Tardivet. »

Soudain, d’Arlaud tressaillit, s’attardant à déchiffrer la signature du caissier.

Il s’exclama :

— Comment ! Vous vous appelez Tardivet ? … Tardivet !… Je ne l’avais jamais remarqué.

— Mon nom n’a rien de remarquable, observa timidement le caissier.

Tapi à l’abri de son guichet, il lançait vers Marcel un regard furtif de lièvre au gîte. C’était un vieil homme d’aspect timoré à qui ce client célèbre pour son talent d’ironiste inspirait une sorte d’admiration craintive.

Marcel reprit :

— Monsieur Tardivet, croyez-vous aux coïncidences ?

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— Qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Marcel d’Arlaud avec stupeur, en commençant de lire la lettre qu’il venait de décacheter.

Sa figure exprima d’abord un étonnement indicible ; puis un sourire retroussa sa moustache ; enfin, il éclata de rire en s’écriant :

— Est-ce l’œuvre d’une farceuse… ou d’une ingénue ?

Il ajouta, ironique et perplexe :

— Est-ce une rouée de ma connaissance qui se moque de moi, ou une naïve inconnue qui ne craint pas que je me moque d’elle ?

Marcel d’Arlaud — le plus spirituel et le plus parisien de nos auteurs dramatiques — dépouillait son courrier matinal : cartons officiels, invitations mondaines, lettres de sollicitations ; le relevé du mois à la Société des Auteurs : le Mariage d’Yvette, sa pièce de la saison continuait de faire le maximum.

Il parcourait cette correspondance banale avec une nonchalance de quadragénaire blasé. Une dernière enveloppe tombait sous ses yeux — papier vergé, adresse rédigée à la machine — quelque prospectus, quelque circulaire sans doute… Il la déchirait négligemment. Or, la lettre qu’il en retirait, si inattendue, si bizarre, si cocasse, lui arrachait ces exclamations de surprise. Il la relut une seconde fois. À cette missive était jointe une photographie que Marcel d’Arlaud examina consciencieusement.

À la fin, il conclut en haussant les épaules :

— Parbleu ! Il s’agit d’une mystification : ce portrait… on dirait que c’est celui de Nelly Rosane !

Nelly Rosane était l’actrice qui interprétait le principal rôle du Mariage d’Yvette.

Il fourra lettre et photo dans sa poche en déclarant :

— On ne prend pas Marcel d’Arlaud au piège de la « réponse à une inconnue » …

L’écrivain se méfiait, d’instinct : riche, célèbre, encore jeune et séduisant, il avait tout pour être détesté. Ses comédies dépassaient couramment la centième : aussi lui reprochait-on d’avoir l’esprit facile. Il ripostait, du tac au tac : « Le propre de l’esprit facile est de déplaire aux sots difficiles. »

Or, ses envieux cherchaient fréquemment à lui jouer des tours.

— Monsieur, l’auto est à la porte.

L’entrée du valet de chambre interrompit ses réflexions. D’Arlaud songea : « C’est vrai : il faut que je passe chez le banquier. » Et, quittant le petit hôtel qu’il habitait, avenue Gourgaud, Marcel se fit conduire à la banque Salmon, rue Laffitte.

Il avait placé une grande partie de ses intérêts chez son ami, le riche financier Henry Salmon. Ce matin, il y venait déposer une quittance de deux mille francs à faire toucher pour son compte.

Tandis que le caissier préparait un reçu, Marcel, un peu fat, s’examinait à la dérobée dans le reflet du panneau vitré placé devant la caisse. La glace transparente lui renvoyait la silhouette d’un homme de quarante-cinq ans, élégant, d’allure jeune, rasé de frais, dont les yeux pétillants et la moustache légère avivaient la physionomie intelligente :

— Voici votre reçu, monsieur d’Arlaud ; dit le caissier.

L’écrivain prit le papier et vérifia d’un coup d’œil :

« Reçu… quittance… deux mille francs… Le caissier : Tardivet. »

Soudain, d’Arlaud tressaillit, s’attardant à déchiffrer la signature du caissier.

Il s’exclama :

— Comment ! Vous vous appelez Tardivet ? … Tardivet !… Je ne l’avais jamais remarqué.

— Mon nom n’a rien de remarquable, observa timidement le caissier.

Tapi à l’abri de son guichet, il lançait vers Marcel un regard furtif de lièvre au gîte. C’était un vieil homme d’aspect timoré à qui ce client célèbre pour son talent d’ironiste inspirait une sorte d’admiration craintive.

Marcel reprit :

— Monsieur Tardivet, croyez-vous aux coïncidences ?

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