Les Travailleurs de la mer

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Les Travailleurs de la mer by Victor Hugo, GILBERT TEROL
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Author: Victor Hugo ISBN: 1230000213284
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 27, 2014
Imprint: Language: French
Author: Victor Hugo
ISBN: 1230000213284
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 27, 2014
Imprint:
Language: French

L’overfall, lisez : casse-cou, est partout sur la côte ouest de Guernesey. Les vagues l’ont savamment déchiquetée. La nuit, sur la pointe des rochers suspects, des clartés invraisemblables, aperçues, dit-on, et affirmées par des rôdeurs de mer, avertissent ou trompent. Ces mêmes rôdeurs, hardis et crédules, distinguent sous l’eau l’holothurion des légendes, cette ortie marine et infernale qu’on ne peut toucher sans que la main prenne feu. Telle dénomination locale, Tinttajeu, par exemple (du gallois, Tintagel), indique la présence du diable. Eustache, qui est Wace, le dit dans ses vieux vers :

Dont commença mer à meller ;
Undes à croistres et à troubler,
Noircir il cieux, noircir la nue ;
Tost fust la mer toute espandue.

Cette Manche est aussi insoumise aujourd’hui qu’au temps de Tewdrig, d’umbrafel, d’Hamon-dhû le noir et du chevalier Emyr Lhydau, réfugié à l’île de Grob, près de Quimperlé. Il y a, dans ces parages, des coups de théâtre de l’océan desquels il faut se défier. Celui-ci, par exemple, qui est un des caprices les plus fréquents de la rose des vents des Channels Islands : une tempête souffle du sud-est ; le calme arrive, calme complet ; vous respirez ; cela dure parfois une heure ; tout à coup l’ouragan, disparu au sud-est, revient du nord ; il vous prenait en queue, il vous prend en tête ; c’est la tempête inverse, Si vous n’êtes pas un ancien pilote et un vieil habitué, si vous n’avez pas, profitant du calme, pris la précaution de renverser votre manœuvre pendant que le vent se renversait, c’est fini, le navire se disloque et sombre.

Ribeyrolles, qui est allé mourir au Brésil, écrivait à bâtons rompus, dans son séjour à Guernesey, un mémento personnel des faits quotidiens, dont une feuille est sous nos yeux : — « 1er janvier, Étrennes. Une tempête, Un navire arrivant de Portrieux s’est perdu hier sur l’Esplanade. — 2. Trois-mâts perdu à la Rocquaine. Il venait d’Amérique. Sept hommes morts. Vingt et un sauvés. — 3. Le packet n’est pas venu. — 4. La tempête continue. — … — 14. Pluies. Éboulement aux terres qui a tué un homme. — 15. Gros temps. Le Tawn n’a pu partir. — 22. Brusque bourrasque. Cinq sinistres sur la côte ouest. — 24. La tempête persiste. Naufrages de tous côtés. »

Presque jamais de repos dans ce coin de l’océan. De là les cris de mouette jetés à travers les siècles dans cette rafale sans fin par l’antique poète inquiet Lhy-ouar’li-henn, ce Jérémie de la mer.

Mais le gros temps n’est pas le plus grand risque de cette navigation de l’archipel ; la bourrasque est violente, et la violence avertit ; on rentre au port, ou l’on met à la cape ; en ayant soin de placer le centre d’effort des voiles au plus bas ; s’il survente, on cargue tout, et voici peut se tirer d’affaire. Les grands périls de ces parages sont les périls invisibles ; toujours présents, et d’autant plus funestes que le temps est plus beau.

Dans ces rencontres-là, une manœuvre spéciale est nécessaire. Les marins de l’ouest de Guernesey excellent dans cette sorte de manœuvre qu’on pourrait nommer préventive. Personne n’a étudié comme eux les trois dangers de la mer tranquille, le singe, l’anuble et le derruble. Le singe (swinge), c’est le courant ; l’anuble (lieu obscur), c’est le bas-fond ; le derruble (qu’on prononce le terrible), c’est le tourbillon, le nombril, l’entonnoir de roches sous-jacentes, le puits sous la mer.

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L’overfall, lisez : casse-cou, est partout sur la côte ouest de Guernesey. Les vagues l’ont savamment déchiquetée. La nuit, sur la pointe des rochers suspects, des clartés invraisemblables, aperçues, dit-on, et affirmées par des rôdeurs de mer, avertissent ou trompent. Ces mêmes rôdeurs, hardis et crédules, distinguent sous l’eau l’holothurion des légendes, cette ortie marine et infernale qu’on ne peut toucher sans que la main prenne feu. Telle dénomination locale, Tinttajeu, par exemple (du gallois, Tintagel), indique la présence du diable. Eustache, qui est Wace, le dit dans ses vieux vers :

Dont commença mer à meller ;
Undes à croistres et à troubler,
Noircir il cieux, noircir la nue ;
Tost fust la mer toute espandue.

Cette Manche est aussi insoumise aujourd’hui qu’au temps de Tewdrig, d’umbrafel, d’Hamon-dhû le noir et du chevalier Emyr Lhydau, réfugié à l’île de Grob, près de Quimperlé. Il y a, dans ces parages, des coups de théâtre de l’océan desquels il faut se défier. Celui-ci, par exemple, qui est un des caprices les plus fréquents de la rose des vents des Channels Islands : une tempête souffle du sud-est ; le calme arrive, calme complet ; vous respirez ; cela dure parfois une heure ; tout à coup l’ouragan, disparu au sud-est, revient du nord ; il vous prenait en queue, il vous prend en tête ; c’est la tempête inverse, Si vous n’êtes pas un ancien pilote et un vieil habitué, si vous n’avez pas, profitant du calme, pris la précaution de renverser votre manœuvre pendant que le vent se renversait, c’est fini, le navire se disloque et sombre.

Ribeyrolles, qui est allé mourir au Brésil, écrivait à bâtons rompus, dans son séjour à Guernesey, un mémento personnel des faits quotidiens, dont une feuille est sous nos yeux : — « 1er janvier, Étrennes. Une tempête, Un navire arrivant de Portrieux s’est perdu hier sur l’Esplanade. — 2. Trois-mâts perdu à la Rocquaine. Il venait d’Amérique. Sept hommes morts. Vingt et un sauvés. — 3. Le packet n’est pas venu. — 4. La tempête continue. — … — 14. Pluies. Éboulement aux terres qui a tué un homme. — 15. Gros temps. Le Tawn n’a pu partir. — 22. Brusque bourrasque. Cinq sinistres sur la côte ouest. — 24. La tempête persiste. Naufrages de tous côtés. »

Presque jamais de repos dans ce coin de l’océan. De là les cris de mouette jetés à travers les siècles dans cette rafale sans fin par l’antique poète inquiet Lhy-ouar’li-henn, ce Jérémie de la mer.

Mais le gros temps n’est pas le plus grand risque de cette navigation de l’archipel ; la bourrasque est violente, et la violence avertit ; on rentre au port, ou l’on met à la cape ; en ayant soin de placer le centre d’effort des voiles au plus bas ; s’il survente, on cargue tout, et voici peut se tirer d’affaire. Les grands périls de ces parages sont les périls invisibles ; toujours présents, et d’autant plus funestes que le temps est plus beau.

Dans ces rencontres-là, une manœuvre spéciale est nécessaire. Les marins de l’ouest de Guernesey excellent dans cette sorte de manœuvre qu’on pourrait nommer préventive. Personne n’a étudié comme eux les trois dangers de la mer tranquille, le singe, l’anuble et le derruble. Le singe (swinge), c’est le courant ; l’anuble (lieu obscur), c’est le bas-fond ; le derruble (qu’on prononce le terrible), c’est le tourbillon, le nombril, l’entonnoir de roches sous-jacentes, le puits sous la mer.

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