Le chat maigre

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Le chat maigre by ANATOLE FRANCE, GILBERT TEROL
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Author: ANATOLE FRANCE ISBN: 1230000625166
Publisher: GILBERT TEROL Publication: August 23, 2015
Imprint: Language: French
Author: ANATOLE FRANCE
ISBN: 1230000625166
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: August 23, 2015
Imprint:
Language: French

Extrait :

Les bourrasques de novembre fouettaient depuis trois jours le faubourg populeux, que les premières ombres de la nuit revêtaient déjà. Des flaques d’eau miroitaient sous les becs de gaz. Une boue noire, délayée par les pas des hommes et des chevaux, couvrait le trottoir et la chaussée. Les ouvriers, portant leurs outils sur le dos, et les femmes, revenant de chez le traiteur avec des portions de bœuf entre deux assiettes, marchaient sous la pluie en tendant le dos, dans la morne attitude des bêtes de somme.

Monsieur Godet-Laterrasse, serré dans ses vêtements noirs, montait avec le peuple la voie boueuse qui mène au faîte de Montmartre. Sous son parapluie qui, fatigué par d’anciens orages, palpitait au vent comme l’aile d’un gros oiseau blessé, monsieur Godet-Laterrasse portait haut la tête. Sa mâchoire étant proéminente et son front déprimé, sa face prenait sans peine une attitude horizontale et ses yeux pouvaient, sans se lever, voir, à travers les trous du taffetas, le ciel fuligineux. Marchant tantôt avec une hâte fébrile, tantôt avec une lenteur songeuse, il s’engagea dans un impasse noir et boueux, longea les lattes moisies de la charmille effeuillée qui borde l’établissement des bains, et, après un moment d’hésitation, entra dans une gargote où des gens vêtus comme lui, d’un drap noir, mince et fripé, mangeaient silencieusement dans une atmosphère de graisse tiède, compliquée d’une écœurante odeur de barèges, due au voisinage des bains.

Monsieur Godet-Laterrasse salua la dame du comptoir selon sa méthode, qui consistait à renverser la tête en arrière avec un sourire grave. Puis, ayant accroché à la patère son chapeau luisant et sillonné de cassures, il s’assit devant une petite table de marbre gras et lissa ses cheveux par le geste qui accompagnait d’ordinaire ses méditations. Le gaz, qui chantait en brûlant, éclairait les cheveux laineux de cet homme, sa face de mulâtre dont la peau, à demi lavée par la neige et l’eau des hivers d’Europe, semblait sale, et jusqu’à ses mains ridées, dont les ongles plats étaient marqués à l’extrémité de virgules laiteuses.

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Extrait :

Les bourrasques de novembre fouettaient depuis trois jours le faubourg populeux, que les premières ombres de la nuit revêtaient déjà. Des flaques d’eau miroitaient sous les becs de gaz. Une boue noire, délayée par les pas des hommes et des chevaux, couvrait le trottoir et la chaussée. Les ouvriers, portant leurs outils sur le dos, et les femmes, revenant de chez le traiteur avec des portions de bœuf entre deux assiettes, marchaient sous la pluie en tendant le dos, dans la morne attitude des bêtes de somme.

Monsieur Godet-Laterrasse, serré dans ses vêtements noirs, montait avec le peuple la voie boueuse qui mène au faîte de Montmartre. Sous son parapluie qui, fatigué par d’anciens orages, palpitait au vent comme l’aile d’un gros oiseau blessé, monsieur Godet-Laterrasse portait haut la tête. Sa mâchoire étant proéminente et son front déprimé, sa face prenait sans peine une attitude horizontale et ses yeux pouvaient, sans se lever, voir, à travers les trous du taffetas, le ciel fuligineux. Marchant tantôt avec une hâte fébrile, tantôt avec une lenteur songeuse, il s’engagea dans un impasse noir et boueux, longea les lattes moisies de la charmille effeuillée qui borde l’établissement des bains, et, après un moment d’hésitation, entra dans une gargote où des gens vêtus comme lui, d’un drap noir, mince et fripé, mangeaient silencieusement dans une atmosphère de graisse tiède, compliquée d’une écœurante odeur de barèges, due au voisinage des bains.

Monsieur Godet-Laterrasse salua la dame du comptoir selon sa méthode, qui consistait à renverser la tête en arrière avec un sourire grave. Puis, ayant accroché à la patère son chapeau luisant et sillonné de cassures, il s’assit devant une petite table de marbre gras et lissa ses cheveux par le geste qui accompagnait d’ordinaire ses méditations. Le gaz, qui chantait en brûlant, éclairait les cheveux laineux de cet homme, sa face de mulâtre dont la peau, à demi lavée par la neige et l’eau des hivers d’Europe, semblait sale, et jusqu’à ses mains ridées, dont les ongles plats étaient marqués à l’extrémité de virgules laiteuses.

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