IMPRESSIONS D'AFRIQUE

Nonfiction, Travel, Africa
Cover of the book IMPRESSIONS D'AFRIQUE by RAYMOND ROUSSEL, GILBERT TEROL
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Author: RAYMOND ROUSSEL ISBN: 1230000211872
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 22, 2014
Imprint: Language: French
Author: RAYMOND ROUSSEL
ISBN: 1230000211872
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 22, 2014
Imprint:
Language: French

VERS quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff.

Malgré le déclin du soleil, la chaleur restait accablante dans cette région de l’Afrique voisine de l’équateur, et chacun de nous se sentait lourdement incommodé par l’orageuse température, que ne modifiait aucune brise.

Devant moi s’étendait l’immense place des Trophées, située au cœur même d’Éjur, imposante capitale formée de cases sans nombre et baignée par l’océan Atlantique, dont j’entendais à ma gauche les lointains mugissements.

Le carré parfait de l’esplanade était tracé de tous côtés par une rangée de sycomores centenaires ; des armes piquées profondément dans l’écorce de chaque fût supportaient des têtes coupées, des oripeaux, des parures de toute sorte entassés là par Talou VII ou par ses ancêtres au retour de maintes triomphantes campagnes.

À ma droite, devant le point médian de la rangée d’arbres, s’élevait, semblable à un guignol géant, certain théâtre rouge, sur le fronton duquel les mots « Club des Incomparables », composant trois lignes en lettres d’argent, étaient brillamment environnés de larges rayons d’or épanouis dans toutes les directions comme autour d’un soleil.

Sur la scène, actuellement visible, une table et une chaise paraissaient destinées à un conférencier. Plusieurs portraits sans cadre épinglés à la toile de fond étaient soulignés par une étiquette explicative ainsi conçue : « Électeurs de Brandebourg ».

Plus près de moi, dans l’alignement du théâtre rouge, se dressait un large socle en bois sur lequel, debout et penché, Naïr, jeune nègre de vingt ans à peine, se livrait à un absorbant travail. À sa droite, deux piquets plantés chacun sur un angle du socle se trouvaient reliés à leur extrémité supérieure par une longue et souple ficelle, qui se courbait sous le poids de trois objets suspendus à la file et distinctement exposés comme des lots de tombola. Le premier article n’était autre qu’un chapeau melon dont la calotte noire portait ce mot : « PINCÉE » inscrit en majuscules blanchâtres ; puis venait un gant de Suède gris foncé tourné du côté de la paume et orné d’un « C » superficiellement tracé à la craie ; en dernier lieu se balançait une légère feuille de parchemin qui, chargée d’hiéroglyphes étranges, montrait comme en-tête un dessin assez grossier représentant cinq personnages volontairement ridiculisés par l’attitude générale et par l’exagération des traits.

Prisonnier sur son socle, Naïr avait le pied droit retenu par un entrelacement de cordages épais engendrant un véritable collet étroitement fixé à la solide plate-forme ; semblable à une statue vivante, il faisait des gestes lents et ponctuels en murmurant avec rapidité des suites de mots appris par cœur. Devant lui, posée sur un support de forme spéciale, une fragile pyramide faite de trois pans d’écorce soudés ensemble captivait toute son attention ; la base, tournée de son côté mais sensiblement surélevée, lui servait de métier à tisser ; sur une annexe du support, il trouvait à portée de sa main une provision de cosses de fruits extérieurement garnies d’une substance végétale grisâtre rappelant le cocon des larves prêtes à se transformer en chrysalides. En pinçant avec deux doigts un fragment de ces délicates enveloppes et en ramenant lentement sa main à lui, le jeune homme créait un lien extensible pareil aux fils de la Vierge qui, à l’époque du renouveau, s’élongent dans les bois ; ces filaments imperceptibles lui servaient à composer un ouvrage de fée subtil et complexe, car ses deux mains travaillaient avec une agilité sans pareille, croisant, nouant, enchevêtrant de toutes manières les ligaments de rêve qui s’amalgamaient gracieusement. Les phrases qu’il récitait sans voix servaient à réglementer ses manigances périlleuses et précises ; la moindre erreur pouvait causer à l’ensemble un préjudice irrémédiable, et, sans l’aide-mémoire automatique fourni par certain formulaire retenu mot à mot, Naïr n’aurait jamais atteint son but.

En bas, vers la droite, d’autres pyramides couchées au bord du piédestal, le sommet en arrière, permettaient d’apprécier l’effet du travail après son complet achèvement ; la base, debout et visible, était finement indiquée par un tissu presque inexistant, plus ténu qu’une toile d’araignée. Au fond de chaque pyramide, une fleur rouge fixée par la tige attirait puissamment le regard derrière l’imperceptible voile de la trame aérienne.

Non loin de la scène des Incomparables, à droite de l’acteur, deux piquets distants de quatre à cinq pieds supportaient un appareil en mouvement ; sur le plus proche pointait un long pivot, autour duquel une bande de parchemin jaunâtre se serrait en épais rouleau ; clouée solidement au plus éloigné, une planchette carrée posée en plate-forme servait de base à un cylindre vertical mû avec lenteur par un mécanisme d’horlogerie.

La bande jaunâtre, se déployant sans rupture d’alignement sur toute la longueur de l’intervalle, venait enlacer le cylindre, qui, tournant sur lui-même, la tirait sans cesse de son côté, au détriment du lointain pivot entraîné de force dans le mouvement giratoire.

Sur le parchemin, des groupes de guerriers sauvages, dessinés à gros traits, se succédaient dans les poses les plus diverses ; telle colonne, courant à une vitesse folle, semblait poursuivre quelque ennemi en fuite ; telle autre, embusquée derrière un talus, attendait patiemment l’occasion de se montrer ; ici, deux phalanges égales par le nombre luttaient corps à corps avec acharnement ; là, des troupes fraîches s’élançaient avec de grands gestes pour aller se jeter bravement dans une lointaine mêlée. Le défilé continuel offrait sans cesse de nouvelles surprises stratégiques grâce à la multiplicité infinie des effets obtenus.

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VERS quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff.

Malgré le déclin du soleil, la chaleur restait accablante dans cette région de l’Afrique voisine de l’équateur, et chacun de nous se sentait lourdement incommodé par l’orageuse température, que ne modifiait aucune brise.

Devant moi s’étendait l’immense place des Trophées, située au cœur même d’Éjur, imposante capitale formée de cases sans nombre et baignée par l’océan Atlantique, dont j’entendais à ma gauche les lointains mugissements.

Le carré parfait de l’esplanade était tracé de tous côtés par une rangée de sycomores centenaires ; des armes piquées profondément dans l’écorce de chaque fût supportaient des têtes coupées, des oripeaux, des parures de toute sorte entassés là par Talou VII ou par ses ancêtres au retour de maintes triomphantes campagnes.

À ma droite, devant le point médian de la rangée d’arbres, s’élevait, semblable à un guignol géant, certain théâtre rouge, sur le fronton duquel les mots « Club des Incomparables », composant trois lignes en lettres d’argent, étaient brillamment environnés de larges rayons d’or épanouis dans toutes les directions comme autour d’un soleil.

Sur la scène, actuellement visible, une table et une chaise paraissaient destinées à un conférencier. Plusieurs portraits sans cadre épinglés à la toile de fond étaient soulignés par une étiquette explicative ainsi conçue : « Électeurs de Brandebourg ».

Plus près de moi, dans l’alignement du théâtre rouge, se dressait un large socle en bois sur lequel, debout et penché, Naïr, jeune nègre de vingt ans à peine, se livrait à un absorbant travail. À sa droite, deux piquets plantés chacun sur un angle du socle se trouvaient reliés à leur extrémité supérieure par une longue et souple ficelle, qui se courbait sous le poids de trois objets suspendus à la file et distinctement exposés comme des lots de tombola. Le premier article n’était autre qu’un chapeau melon dont la calotte noire portait ce mot : « PINCÉE » inscrit en majuscules blanchâtres ; puis venait un gant de Suède gris foncé tourné du côté de la paume et orné d’un « C » superficiellement tracé à la craie ; en dernier lieu se balançait une légère feuille de parchemin qui, chargée d’hiéroglyphes étranges, montrait comme en-tête un dessin assez grossier représentant cinq personnages volontairement ridiculisés par l’attitude générale et par l’exagération des traits.

Prisonnier sur son socle, Naïr avait le pied droit retenu par un entrelacement de cordages épais engendrant un véritable collet étroitement fixé à la solide plate-forme ; semblable à une statue vivante, il faisait des gestes lents et ponctuels en murmurant avec rapidité des suites de mots appris par cœur. Devant lui, posée sur un support de forme spéciale, une fragile pyramide faite de trois pans d’écorce soudés ensemble captivait toute son attention ; la base, tournée de son côté mais sensiblement surélevée, lui servait de métier à tisser ; sur une annexe du support, il trouvait à portée de sa main une provision de cosses de fruits extérieurement garnies d’une substance végétale grisâtre rappelant le cocon des larves prêtes à se transformer en chrysalides. En pinçant avec deux doigts un fragment de ces délicates enveloppes et en ramenant lentement sa main à lui, le jeune homme créait un lien extensible pareil aux fils de la Vierge qui, à l’époque du renouveau, s’élongent dans les bois ; ces filaments imperceptibles lui servaient à composer un ouvrage de fée subtil et complexe, car ses deux mains travaillaient avec une agilité sans pareille, croisant, nouant, enchevêtrant de toutes manières les ligaments de rêve qui s’amalgamaient gracieusement. Les phrases qu’il récitait sans voix servaient à réglementer ses manigances périlleuses et précises ; la moindre erreur pouvait causer à l’ensemble un préjudice irrémédiable, et, sans l’aide-mémoire automatique fourni par certain formulaire retenu mot à mot, Naïr n’aurait jamais atteint son but.

En bas, vers la droite, d’autres pyramides couchées au bord du piédestal, le sommet en arrière, permettaient d’apprécier l’effet du travail après son complet achèvement ; la base, debout et visible, était finement indiquée par un tissu presque inexistant, plus ténu qu’une toile d’araignée. Au fond de chaque pyramide, une fleur rouge fixée par la tige attirait puissamment le regard derrière l’imperceptible voile de la trame aérienne.

Non loin de la scène des Incomparables, à droite de l’acteur, deux piquets distants de quatre à cinq pieds supportaient un appareil en mouvement ; sur le plus proche pointait un long pivot, autour duquel une bande de parchemin jaunâtre se serrait en épais rouleau ; clouée solidement au plus éloigné, une planchette carrée posée en plate-forme servait de base à un cylindre vertical mû avec lenteur par un mécanisme d’horlogerie.

La bande jaunâtre, se déployant sans rupture d’alignement sur toute la longueur de l’intervalle, venait enlacer le cylindre, qui, tournant sur lui-même, la tirait sans cesse de son côté, au détriment du lointain pivot entraîné de force dans le mouvement giratoire.

Sur le parchemin, des groupes de guerriers sauvages, dessinés à gros traits, se succédaient dans les poses les plus diverses ; telle colonne, courant à une vitesse folle, semblait poursuivre quelque ennemi en fuite ; telle autre, embusquée derrière un talus, attendait patiemment l’occasion de se montrer ; ici, deux phalanges égales par le nombre luttaient corps à corps avec acharnement ; là, des troupes fraîches s’élançaient avec de grands gestes pour aller se jeter bravement dans une lointaine mêlée. Le défilé continuel offrait sans cesse de nouvelles surprises stratégiques grâce à la multiplicité infinie des effets obtenus.

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