Author: | CAMILLE LEMONNIER | ISBN: | 1230000213250 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 27, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | CAMILLE LEMONNIER |
ISBN: | 1230000213250 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 27, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Une fraîcheur monta de la terre et tout à coup le silence de la nuit fut rompu. Un accord lent, sourd, sortit de l’horizon, courut sur le bois, traîna de proche en proche, avec une douceur d’assoupissement, puis mourut dans un froissement de jeunes feuilles : l’énorme silence recommença. Il y eut alors dans l’air comme une volonté de s’anéantir dans les profondeurs du sommeil. Les hêtres reprirent leur immobilité engourdie. Un calme noya les feuillages, les herbes, la vie qui s’attardait dans l’ombre pâle. Pour un instant seulement. De nouveau, les rumeurs s’élevèrent, plus hautes cette fois. La rigidité des formes dormantes fut secouée d un frisson qui s’étendit, se posa sur les choses comme un attouchement de mains éparses, et la terre trembla.
Le matin descendait.
Des pointes d’arbres émergèrent dans un commencement de clarté ; une blancheur envahissait le bas du ciel, et cette blancheur grandit, fut comme une échappée sur le jour qui attendait de l’autre côté de la nuit.
Une musique lointaine et solennelle ronflait à présent dans l’épaisseur des taillis. La clarté prenait des élargissements d’eau qui s’épand, lorsque les vannes sont levées. Elle coulait entre les branches, filtrait dans les feuillées, dévalait les pentes herbues, faisait déborder de partout l’obscurité. Une transparence illuminait les fourrés ; les feuilles criblaient le jour de taches glauques ; les troncs demi-gris ressemblaient à des prêtres couverts de leurs étoles dans l’encens des processions. Et petit à petit le ciel se lama de tons d’argent neuf.
Alors il y eut un chuchotement vague, indéfini dans la rondeur des feuillages. Des appels furent siffles à mi-voix par les pinsons. Les becs s’aiguisaient, grinçaient. Une secouée de plumes se mêla à la palpitation des arbres ; des ailes s’ouvraient avec des claquements lents ; et tout d’une fois, ce fut un large courant de bruits qui domina le murmure du vent. Les piaillements des moineaux se répondaient à travers les branches ; les fauvettes trillèrent ; les mésanges eurent des gazouillis ; des ramiers roucoulèrent ; les arbres s’emplirent d’un égosillement de roulades. Les merles s’éveillèrent à leur tour, les pies crièrent et le sommet des chênes fut raboté par le rauquement des corneilles.
Toute cette folie salua le soleil levant. Une raie d’or pâle fendit l’azur, semblable à l’éclair d’une lance. L’aurore pointa sous-bois, rejaillissant en éclats d’étincelles comme un fer passé sur la meule. Puis une illumination constella les hautes branches, ruissela en égouttements sur les troncs, alluma les eaux au fond des clairières, tandis que des buées violettes s’allongeaient dans le beau ciel. Au loin, une lisière de futaie semblait fumer dans un brouillard rose. Et la plaine était toute pommelée d’arbres en fleur qui, chaque instant, s’éclairaient un peu plus.
Une tiédeur détendit alors les choses. Les feuillées se déroulèrent ; des fleurs s’ouvrirent avec un bruit soyeux d’éventails ; une poussée vers la lumière fit bouger les branches d’un mouvement incessant. Ce fut une ivresse. Les arbres semblaient étreindre le matin dans leurs ramures étendues comme des bras.
Subitement, le soleil creva le ciel. Une bousculade sembla refouler l’ombre dans le bois. La clarté, comme un ennemi qui prend possession, se débanda, s’épandit par gerbes, par torrents, bouchant tous les trous, mettant la déroute dans les taillis, éclaboussant tout de ses ondées magnifiques. Le ras du sol scintilla dans un ensoleillement de rosée, et la lumière, se haussant par-dessus le bois, gagna les vergers, les fermes, couvrit d’une blondeur vermeille une large étendue de pays.
Maintenant, la rumeur s’augmentait de tous les bruits des nids. Un frémissement ailé battait le bois. Des jacassements attachaient d’un arbre à l’autre des traînées sonores. Les merles sifflotaient ; les pies, les bouvreuils, les linottes, les mésanges, les pinsons, les fauvettes, les rouges-gorges stridaient, susurraient, strettaient, faisaient un surprenant cailletis coupé du coassement saccadé des corbeaux, et cela montait dans l’air avec des ralentissements, des reprises, des silences tout à coup suivis d’un tutti d’instruments jouant à l’unisson.
Le coucou fila dans cette symphonie sa note grave d’horloge sonnant la première heure du jour, et aussitôt, de dessous les feuilles, un long bourdonnement s’éleva ; les mouches grises au ventre bleu, aplaties contre les gommes des arbres, les bourdons soûls des orgies de la veille, les gloutonnes abeilles ronflèrent, les ailes détendues ; et toute cette grosse sensualité de vie finit par planer sur le paysage, dans la splendeur du matin.
Une fraîcheur monta de la terre et tout à coup le silence de la nuit fut rompu. Un accord lent, sourd, sortit de l’horizon, courut sur le bois, traîna de proche en proche, avec une douceur d’assoupissement, puis mourut dans un froissement de jeunes feuilles : l’énorme silence recommença. Il y eut alors dans l’air comme une volonté de s’anéantir dans les profondeurs du sommeil. Les hêtres reprirent leur immobilité engourdie. Un calme noya les feuillages, les herbes, la vie qui s’attardait dans l’ombre pâle. Pour un instant seulement. De nouveau, les rumeurs s’élevèrent, plus hautes cette fois. La rigidité des formes dormantes fut secouée d un frisson qui s’étendit, se posa sur les choses comme un attouchement de mains éparses, et la terre trembla.
Le matin descendait.
Des pointes d’arbres émergèrent dans un commencement de clarté ; une blancheur envahissait le bas du ciel, et cette blancheur grandit, fut comme une échappée sur le jour qui attendait de l’autre côté de la nuit.
Une musique lointaine et solennelle ronflait à présent dans l’épaisseur des taillis. La clarté prenait des élargissements d’eau qui s’épand, lorsque les vannes sont levées. Elle coulait entre les branches, filtrait dans les feuillées, dévalait les pentes herbues, faisait déborder de partout l’obscurité. Une transparence illuminait les fourrés ; les feuilles criblaient le jour de taches glauques ; les troncs demi-gris ressemblaient à des prêtres couverts de leurs étoles dans l’encens des processions. Et petit à petit le ciel se lama de tons d’argent neuf.
Alors il y eut un chuchotement vague, indéfini dans la rondeur des feuillages. Des appels furent siffles à mi-voix par les pinsons. Les becs s’aiguisaient, grinçaient. Une secouée de plumes se mêla à la palpitation des arbres ; des ailes s’ouvraient avec des claquements lents ; et tout d’une fois, ce fut un large courant de bruits qui domina le murmure du vent. Les piaillements des moineaux se répondaient à travers les branches ; les fauvettes trillèrent ; les mésanges eurent des gazouillis ; des ramiers roucoulèrent ; les arbres s’emplirent d’un égosillement de roulades. Les merles s’éveillèrent à leur tour, les pies crièrent et le sommet des chênes fut raboté par le rauquement des corneilles.
Toute cette folie salua le soleil levant. Une raie d’or pâle fendit l’azur, semblable à l’éclair d’une lance. L’aurore pointa sous-bois, rejaillissant en éclats d’étincelles comme un fer passé sur la meule. Puis une illumination constella les hautes branches, ruissela en égouttements sur les troncs, alluma les eaux au fond des clairières, tandis que des buées violettes s’allongeaient dans le beau ciel. Au loin, une lisière de futaie semblait fumer dans un brouillard rose. Et la plaine était toute pommelée d’arbres en fleur qui, chaque instant, s’éclairaient un peu plus.
Une tiédeur détendit alors les choses. Les feuillées se déroulèrent ; des fleurs s’ouvrirent avec un bruit soyeux d’éventails ; une poussée vers la lumière fit bouger les branches d’un mouvement incessant. Ce fut une ivresse. Les arbres semblaient étreindre le matin dans leurs ramures étendues comme des bras.
Subitement, le soleil creva le ciel. Une bousculade sembla refouler l’ombre dans le bois. La clarté, comme un ennemi qui prend possession, se débanda, s’épandit par gerbes, par torrents, bouchant tous les trous, mettant la déroute dans les taillis, éclaboussant tout de ses ondées magnifiques. Le ras du sol scintilla dans un ensoleillement de rosée, et la lumière, se haussant par-dessus le bois, gagna les vergers, les fermes, couvrit d’une blondeur vermeille une large étendue de pays.
Maintenant, la rumeur s’augmentait de tous les bruits des nids. Un frémissement ailé battait le bois. Des jacassements attachaient d’un arbre à l’autre des traînées sonores. Les merles sifflotaient ; les pies, les bouvreuils, les linottes, les mésanges, les pinsons, les fauvettes, les rouges-gorges stridaient, susurraient, strettaient, faisaient un surprenant cailletis coupé du coassement saccadé des corbeaux, et cela montait dans l’air avec des ralentissements, des reprises, des silences tout à coup suivis d’un tutti d’instruments jouant à l’unisson.
Le coucou fila dans cette symphonie sa note grave d’horloge sonnant la première heure du jour, et aussitôt, de dessous les feuilles, un long bourdonnement s’éleva ; les mouches grises au ventre bleu, aplaties contre les gommes des arbres, les bourdons soûls des orgies de la veille, les gloutonnes abeilles ronflèrent, les ailes détendues ; et toute cette grosse sensualité de vie finit par planer sur le paysage, dans la splendeur du matin.