Richard

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Richard by JULES SANDEAU, GILBERT TEROL
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Author: JULES SANDEAU ISBN: 1230002766010
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 31, 2018
Imprint: Language: French
Author: JULES SANDEAU
ISBN: 1230002766010
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 31, 2018
Imprint:
Language: French

Vers l’automne de 1830, par une soirée froide et pluvieuse, une chaise de poste, qui suivait la route d’Angers à Nantes, quitta brusquement le grand chemin pour prendre un sentier enfoncé dans les terres. Il faisait une affreuse nuit. Le vent sifflait à travers les arbres ; les rameaux dépouillés craquaient ; les orfraies criaient dans le creux des chênes. À chaque instant, les chevaux, découragés, refusaient d’avancer ; le postillon jurait, et la chaise, battue par la tourmente, menaçait de s’abîmer dans les ornières des sentiers effondrés. Pas une étoile ne brillait au ciel, pas une lumière dans le paysage ; des aboiements plaintifs qui se mêlaient, à longs intervalles, aux gémissemens de la bise, révélaient seuls quelques habitations éloignées. Au milieu de cette scène désolée, la voiture était, à l’intérieur, silencieuse comme un tombeau : pas un mouvement, pas un bruit de voix qui trahît au dedans l’inquiétude ou l’impatience ; on eût dit le voyage d’un mort gagnant sa demeure dernière. Enfin, au bout de quelques heures, les chevaux galopèrent sur un terrain ferme et sonore, entre une double rangée de platanes ; le fouet du postillon donna joyeusement la fanfare d’arrivée, et la chaise s’arrêta bientôt devant le perron du vieux château de Beaumeillant. À l’immobilité du manoir, il était aisé de voir qu’on n’y attendait personne ; ce fut le postillon qui ouvrit la portière et abaissa le marchepied. Une femme de chambre s’élança la première, et, pour l’aider à descendre, offrit respectueusement sa main à une femme pâle et languissante. Cependant les fenêtres s’étaient illuminées, et les serviteurs, accourus avec des flambeaux, reconnurent leur maîtresse à tous, la comtesse de Beaumeillant.

Elle était bien changée, et chacun, en l’apercevant, ne put réprimer un mouvement de douloureux étonnement. Il est vrai qu’ils ne l’avaient pas vue depuis près de deux ans ; mais ces deux années avaient suffi pour flétrir à jamais ce qui restait en elle de beauté. Elle monta lentement les degrés du perron, et, coupant court à l’empressement de ses gens, elle demanda son fils. Au même instant, un grand et beau jeune homme la reçut sur son cœur et l’emporta presque évanouie entre ses bras.

En revenant à elle, Mme de Beaumeillant vit à ses genoux son fils qui la regardait avec amour. Elle prit entre ses mains cette blonde tête, et, la pressant contre son sein par une étreinte convulsive, elle l’inonda de ses larmes. Richard pleurait aussi, et déjà, aux transports de sa joie, se mêlaient des pensées amères ; car, malgré sa grande jeunesse et son ignorance des choses de la vie, il comprenait vaguement que les pleurs qu’il voyait couler avaient une autre source que l’attendrissement du retour : sous ces traits ravagés moins par le temps que par la douleur, il pressentait une ame mortellement atteinte qui revenait au gîte pour se reposer et s’éteindre.

Ce jeune homme était grave avant l’âge. Né au milieu des orages d’une union tourmentée, il avait assisté, enfant, au plus lamentable spectacle qui se puisse donner autour d’un berceau. Des scènes mystérieuses, étranges, mêlées de sanglots, de colère et de haine, avaient grondé comme la foudre sur ses premiers ans. Il en gardait encore un souvenir rempli d’épouvante. Baigné par les pleurs de sa mère, sans un sourire de son père pour le réchauffer, il s’était élevé tristement, pareil à ces plantes qui croissent dans les coins humides et sombres. On ne sait pas quel trouble funeste et quelle précoce expérience jettent dans le cœur des enfans les luttes du foyer et la division des époux. Heureux ceux qui, nés entre deux baisers, ont pu grandir dans l’atmosphère des tendresses mutuelles ! Un jour, celui dont nous parlons vit sa mère partir seule, éplorée, comme s’il se fût agi d’un long voyage et d’une séparation éternelle. Le voyage fut long en effet. Elle avait promis un prompt retour, mais son fils l’attendit vainement. Elle ne revint plus que de loin en loin, pour le voir un instant, l’embrasser à la hâte, et s’enfuir de ces lieux d’où elle semblait exilée. Richard resta près de son père, mais son cœur tout entier avait suivi l’absente. Il tenait de sa mère une ame délicate et tendre, qu’intimidait la nature froide et chagrine du comte de Beaumeillant. Trop jeune pour avoir pu comprendre le drame qui s’était joué près de lui, il n’osait décider quelle était la victime ; mais il y avait en lui un instinct inavoué qui accusait sourdement le comte, cet instinct des fils qui voient pleurer leur mère. Sa sensibilité s’exalta dans la solitude ; ses facultés expansives, comprimées par ses alentours, s’exercèrent sur ses souvenirs. Il se rappelait le noble et doux visage qui s’était tant de fois penché sur son berceau avec un pâle sourire ; il peupla son cœur de cette image désolée. En grandissant, cette affection prit un caractère romanesque et passionné. Mme de Beaumeillant revenait à de longs intervalles. Elle venait à la dérobée, jamais au château, mais dans le village voisin, où elle faisait appeler son fils. Richard accourait, et c’étaient, sous l’humble toit qui abritait tant de bonheur, d’indicibles transports et des tendresses ineffables. Ces instans étaient courts, mais enivrants. Plus d’une fois, pour les prolonger, la jeune mère demeura cachée plusieurs jours au village. On trouvait un prétexte pour expliquer les absences de Richard au château, et ces jours s’enfuyaient en heures charmantes. Ces apparitions mystérieuses, ce bonheur si permis et si légitime, obligé pourtant de se cacher, cette jeune proscrite qui venait en secret embrasser son enfant, ces effusions d’autant plus vives qu’il fallait épancher en quelques heures l’amour d’une année tout entière, tous ces incidens poétiques d’une affection ordinairement si paisible, frappèrent singulièrement l’imagination de Richard et développèrent en lui un sentiment plus ardent et plus exalté que ne le sont généralement les affections de la famille. Il avait quinze ans quand son père mourut. Depuis le départ de Mme de Beaumeillant, le comte n’avait pas prononcé, même devant son fils, le nom de sa femme, et telle était, à cet égard, l’austérité de son silence, que jamais Richard n’avait osé l’interroger ni demander pourquoi la place de sa mère restait vide au foyer. Il mourut comme il avait vécu, inflexible devant la mort comme il l’avait été durant la vie, emportant avec lui le secret de son indulgence ou de son repentir. Richard le pleura ; mais, dans sa douleur, il ne put étouffer je ne sais quel sentiment, car je n’oserais dire que ce fut un sentiment de joie, en songeant qu’entre sa mère et lui il n’était désormais plus d’obstacles. Il semblait en effet que leurs épreuves étaient finies, et qu’affranchis des impressions funèbres que la mort laisse après elle, ils allaient réaliser tous deux le rêve caressé dans l’absence. Il en arriva autrement.

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Vers l’automne de 1830, par une soirée froide et pluvieuse, une chaise de poste, qui suivait la route d’Angers à Nantes, quitta brusquement le grand chemin pour prendre un sentier enfoncé dans les terres. Il faisait une affreuse nuit. Le vent sifflait à travers les arbres ; les rameaux dépouillés craquaient ; les orfraies criaient dans le creux des chênes. À chaque instant, les chevaux, découragés, refusaient d’avancer ; le postillon jurait, et la chaise, battue par la tourmente, menaçait de s’abîmer dans les ornières des sentiers effondrés. Pas une étoile ne brillait au ciel, pas une lumière dans le paysage ; des aboiements plaintifs qui se mêlaient, à longs intervalles, aux gémissemens de la bise, révélaient seuls quelques habitations éloignées. Au milieu de cette scène désolée, la voiture était, à l’intérieur, silencieuse comme un tombeau : pas un mouvement, pas un bruit de voix qui trahît au dedans l’inquiétude ou l’impatience ; on eût dit le voyage d’un mort gagnant sa demeure dernière. Enfin, au bout de quelques heures, les chevaux galopèrent sur un terrain ferme et sonore, entre une double rangée de platanes ; le fouet du postillon donna joyeusement la fanfare d’arrivée, et la chaise s’arrêta bientôt devant le perron du vieux château de Beaumeillant. À l’immobilité du manoir, il était aisé de voir qu’on n’y attendait personne ; ce fut le postillon qui ouvrit la portière et abaissa le marchepied. Une femme de chambre s’élança la première, et, pour l’aider à descendre, offrit respectueusement sa main à une femme pâle et languissante. Cependant les fenêtres s’étaient illuminées, et les serviteurs, accourus avec des flambeaux, reconnurent leur maîtresse à tous, la comtesse de Beaumeillant.

Elle était bien changée, et chacun, en l’apercevant, ne put réprimer un mouvement de douloureux étonnement. Il est vrai qu’ils ne l’avaient pas vue depuis près de deux ans ; mais ces deux années avaient suffi pour flétrir à jamais ce qui restait en elle de beauté. Elle monta lentement les degrés du perron, et, coupant court à l’empressement de ses gens, elle demanda son fils. Au même instant, un grand et beau jeune homme la reçut sur son cœur et l’emporta presque évanouie entre ses bras.

En revenant à elle, Mme de Beaumeillant vit à ses genoux son fils qui la regardait avec amour. Elle prit entre ses mains cette blonde tête, et, la pressant contre son sein par une étreinte convulsive, elle l’inonda de ses larmes. Richard pleurait aussi, et déjà, aux transports de sa joie, se mêlaient des pensées amères ; car, malgré sa grande jeunesse et son ignorance des choses de la vie, il comprenait vaguement que les pleurs qu’il voyait couler avaient une autre source que l’attendrissement du retour : sous ces traits ravagés moins par le temps que par la douleur, il pressentait une ame mortellement atteinte qui revenait au gîte pour se reposer et s’éteindre.

Ce jeune homme était grave avant l’âge. Né au milieu des orages d’une union tourmentée, il avait assisté, enfant, au plus lamentable spectacle qui se puisse donner autour d’un berceau. Des scènes mystérieuses, étranges, mêlées de sanglots, de colère et de haine, avaient grondé comme la foudre sur ses premiers ans. Il en gardait encore un souvenir rempli d’épouvante. Baigné par les pleurs de sa mère, sans un sourire de son père pour le réchauffer, il s’était élevé tristement, pareil à ces plantes qui croissent dans les coins humides et sombres. On ne sait pas quel trouble funeste et quelle précoce expérience jettent dans le cœur des enfans les luttes du foyer et la division des époux. Heureux ceux qui, nés entre deux baisers, ont pu grandir dans l’atmosphère des tendresses mutuelles ! Un jour, celui dont nous parlons vit sa mère partir seule, éplorée, comme s’il se fût agi d’un long voyage et d’une séparation éternelle. Le voyage fut long en effet. Elle avait promis un prompt retour, mais son fils l’attendit vainement. Elle ne revint plus que de loin en loin, pour le voir un instant, l’embrasser à la hâte, et s’enfuir de ces lieux d’où elle semblait exilée. Richard resta près de son père, mais son cœur tout entier avait suivi l’absente. Il tenait de sa mère une ame délicate et tendre, qu’intimidait la nature froide et chagrine du comte de Beaumeillant. Trop jeune pour avoir pu comprendre le drame qui s’était joué près de lui, il n’osait décider quelle était la victime ; mais il y avait en lui un instinct inavoué qui accusait sourdement le comte, cet instinct des fils qui voient pleurer leur mère. Sa sensibilité s’exalta dans la solitude ; ses facultés expansives, comprimées par ses alentours, s’exercèrent sur ses souvenirs. Il se rappelait le noble et doux visage qui s’était tant de fois penché sur son berceau avec un pâle sourire ; il peupla son cœur de cette image désolée. En grandissant, cette affection prit un caractère romanesque et passionné. Mme de Beaumeillant revenait à de longs intervalles. Elle venait à la dérobée, jamais au château, mais dans le village voisin, où elle faisait appeler son fils. Richard accourait, et c’étaient, sous l’humble toit qui abritait tant de bonheur, d’indicibles transports et des tendresses ineffables. Ces instans étaient courts, mais enivrants. Plus d’une fois, pour les prolonger, la jeune mère demeura cachée plusieurs jours au village. On trouvait un prétexte pour expliquer les absences de Richard au château, et ces jours s’enfuyaient en heures charmantes. Ces apparitions mystérieuses, ce bonheur si permis et si légitime, obligé pourtant de se cacher, cette jeune proscrite qui venait en secret embrasser son enfant, ces effusions d’autant plus vives qu’il fallait épancher en quelques heures l’amour d’une année tout entière, tous ces incidens poétiques d’une affection ordinairement si paisible, frappèrent singulièrement l’imagination de Richard et développèrent en lui un sentiment plus ardent et plus exalté que ne le sont généralement les affections de la famille. Il avait quinze ans quand son père mourut. Depuis le départ de Mme de Beaumeillant, le comte n’avait pas prononcé, même devant son fils, le nom de sa femme, et telle était, à cet égard, l’austérité de son silence, que jamais Richard n’avait osé l’interroger ni demander pourquoi la place de sa mère restait vide au foyer. Il mourut comme il avait vécu, inflexible devant la mort comme il l’avait été durant la vie, emportant avec lui le secret de son indulgence ou de son repentir. Richard le pleura ; mais, dans sa douleur, il ne put étouffer je ne sais quel sentiment, car je n’oserais dire que ce fut un sentiment de joie, en songeant qu’entre sa mère et lui il n’était désormais plus d’obstacles. Il semblait en effet que leurs épreuves étaient finies, et qu’affranchis des impressions funèbres que la mort laisse après elle, ils allaient réaliser tous deux le rêve caressé dans l’absence. Il en arriva autrement.

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