Author: | JULES MARY | ISBN: | 1230000211271 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 20, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | JULES MARY |
ISBN: | 1230000211271 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 20, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Au coin de la ruelle du Montalais, qui descend au lac, et à deux pas du bois de Ville-d’Avray, s’élevait une maison de campagne, fraîche et coquette au possible derrière ses clématites et ses plantes grimpantes : vrai nid d’amoureux qui détestent le bruit et d’amants égoïstes pour qui le monde finit à leur amour.
La villa Montalais avait été achetée quelques années auparavant par M. Roger Laroque, un ingénieur-mécanicien, très connu, dont les ateliers de constructions étaient rue Saint-Maur et qui avait, en outre, un appartement particulier, boulevard Malesherbes, 117.
L’hiver, il habitait boulevard Malesherbes ; l’été, il se réfugiait à Ville-d’Avray, avec sa femme et sa fille ; mais chaque matin ses affaires le rappelaient à Paris, rue Saint-Maur ; il y déjeunait et rentrait le soir, vers sept heures, pour dîner en famille.
Le soir où commence notre récit — en juillet 1872 — à huit heures, contre son habitude très régulière, Roger Laroque n’était pas encore rentré.
Le dîner était prêt. La lampe suspendue venait d’être allumée dans une ravissante salle à manger communiquant avec une serre et tout encombrée de fleurs. Les verres étincelaient sur la nappe blanche et la lumière piquetait de taches éblouissantes l’argenterie fine des couverts.
Au salon, dont les fenêtres ouvraient sur une large terrasse, non plus qu’à la salle à manger, personne.
Et l’on eût dit, sans les lumières, que cette maison était inhabitée, tant elle semblait calme et comme endormie au milieu de ses fleurs dans la nuit envahissante.
Pourtant, à gauche du salon, deux voix chuchotent. De ce côté, se trouve la chambre de Mme Laroque, encore plongée dans la demi-obscurité du crépuscule.
Ni bougie allumée, ni lampe, ni veilleuse.
Deux voix, l’une superbe, grave et douce, de celles qui font aimer une femme sans la connaître, l’autre, enfantine, pareille au son du cristal que choque le cristal, appelant le rire, les jeux et l’insouciance.
C’est la mère et la fille, Henriette Laroque et Suzanne.
Mme Laroque a traîné une chaise longue auprès de la fenêtre entr’ouverte. Elle s’y est assise.
Elle a attiré Suzanne auprès d’elle.
Le soleil, à son déclin, envoie des flèches d’or rouge dans les vitres et, pendant quelques secondes, illumine comme des reflets d’un incendie voisin, un lit aux rideaux légers, des fauteuils profonds, recouverts de tapis orientaux, et mille bibelots de femme.
Les flèches d’or du soleil illuminent aussi le couple gracieux de la mère, ayant dans ses mains les mains de l’enfant, parlant bas et souriant.
Elles sont blondes toutes deux.
L’une a vingt-cinq ans. Elle est en pleine floraison de sa beauté.
L’autre a sept ans et n’est pas encore au printemps de sa vie.
Elles se ressemblent.
Même grands yeux bleus, même front brusquement terminé par une forêt de cheveux ; même visage pâle, fin, allongé, délicat ; mêmes lèvres ourlées, un peu accentuées et très rouges.
Et chez l’enfant déjà coquette, et dont le regard rayonne d’une intelligence supérieure à son âge, des gestes gracieux de jeune fille, copiés sur les gestes de la mère.
Bien que huit heures aient sonné et que depuis plus d’une heure son mari devrait être là, Mme Laroque n’est pas trop inquiète. De quoi s’inquiéterait-elle ?
Ne sait-elle pas que Roger l’adore autant qu’elle l’aime ?
Et un amour qui a résisté à huit ans de mariage n’apporte-t-il pas avec lui la certitude complète du bonheur intime ?
Cependant, plus que tout autre jour, elle désirerait ce soir-là qu’il ne fût point en retard. Henriette et Suzanne l’attendent avec impatience et la maison elle-même, avec ses fleurs à profusion, son air souriant de fête, semble étonnée de ce silence et de cette solitude.
C’est que, justement, il y a sept ans que Suzanne est née : Suzanne, l’unique enfant, l’enfant gâtée, l’adoration du père.
Et, dans les longues heures de la journée, depuis l’avant-veille, Henriette lui fait réciter quelques mots qu’elle lui apprend par cœur et par lesquels Suzanne va souhaiter la bienvenue à Roger, dans un instant, lorsqu’il entrera.
Écoutez la voix grave de la mère et le cristal pur de la petite fille, chuchotant, n’osant parler haut, afin de conserver bien à elles, pour quelques minutes encore, le mystère de leur douce surprise.
— Tu n’as pas oublié, chère enfant ?
Au coin de la ruelle du Montalais, qui descend au lac, et à deux pas du bois de Ville-d’Avray, s’élevait une maison de campagne, fraîche et coquette au possible derrière ses clématites et ses plantes grimpantes : vrai nid d’amoureux qui détestent le bruit et d’amants égoïstes pour qui le monde finit à leur amour.
La villa Montalais avait été achetée quelques années auparavant par M. Roger Laroque, un ingénieur-mécanicien, très connu, dont les ateliers de constructions étaient rue Saint-Maur et qui avait, en outre, un appartement particulier, boulevard Malesherbes, 117.
L’hiver, il habitait boulevard Malesherbes ; l’été, il se réfugiait à Ville-d’Avray, avec sa femme et sa fille ; mais chaque matin ses affaires le rappelaient à Paris, rue Saint-Maur ; il y déjeunait et rentrait le soir, vers sept heures, pour dîner en famille.
Le soir où commence notre récit — en juillet 1872 — à huit heures, contre son habitude très régulière, Roger Laroque n’était pas encore rentré.
Le dîner était prêt. La lampe suspendue venait d’être allumée dans une ravissante salle à manger communiquant avec une serre et tout encombrée de fleurs. Les verres étincelaient sur la nappe blanche et la lumière piquetait de taches éblouissantes l’argenterie fine des couverts.
Au salon, dont les fenêtres ouvraient sur une large terrasse, non plus qu’à la salle à manger, personne.
Et l’on eût dit, sans les lumières, que cette maison était inhabitée, tant elle semblait calme et comme endormie au milieu de ses fleurs dans la nuit envahissante.
Pourtant, à gauche du salon, deux voix chuchotent. De ce côté, se trouve la chambre de Mme Laroque, encore plongée dans la demi-obscurité du crépuscule.
Ni bougie allumée, ni lampe, ni veilleuse.
Deux voix, l’une superbe, grave et douce, de celles qui font aimer une femme sans la connaître, l’autre, enfantine, pareille au son du cristal que choque le cristal, appelant le rire, les jeux et l’insouciance.
C’est la mère et la fille, Henriette Laroque et Suzanne.
Mme Laroque a traîné une chaise longue auprès de la fenêtre entr’ouverte. Elle s’y est assise.
Elle a attiré Suzanne auprès d’elle.
Le soleil, à son déclin, envoie des flèches d’or rouge dans les vitres et, pendant quelques secondes, illumine comme des reflets d’un incendie voisin, un lit aux rideaux légers, des fauteuils profonds, recouverts de tapis orientaux, et mille bibelots de femme.
Les flèches d’or du soleil illuminent aussi le couple gracieux de la mère, ayant dans ses mains les mains de l’enfant, parlant bas et souriant.
Elles sont blondes toutes deux.
L’une a vingt-cinq ans. Elle est en pleine floraison de sa beauté.
L’autre a sept ans et n’est pas encore au printemps de sa vie.
Elles se ressemblent.
Même grands yeux bleus, même front brusquement terminé par une forêt de cheveux ; même visage pâle, fin, allongé, délicat ; mêmes lèvres ourlées, un peu accentuées et très rouges.
Et chez l’enfant déjà coquette, et dont le regard rayonne d’une intelligence supérieure à son âge, des gestes gracieux de jeune fille, copiés sur les gestes de la mère.
Bien que huit heures aient sonné et que depuis plus d’une heure son mari devrait être là, Mme Laroque n’est pas trop inquiète. De quoi s’inquiéterait-elle ?
Ne sait-elle pas que Roger l’adore autant qu’elle l’aime ?
Et un amour qui a résisté à huit ans de mariage n’apporte-t-il pas avec lui la certitude complète du bonheur intime ?
Cependant, plus que tout autre jour, elle désirerait ce soir-là qu’il ne fût point en retard. Henriette et Suzanne l’attendent avec impatience et la maison elle-même, avec ses fleurs à profusion, son air souriant de fête, semble étonnée de ce silence et de cette solitude.
C’est que, justement, il y a sept ans que Suzanne est née : Suzanne, l’unique enfant, l’enfant gâtée, l’adoration du père.
Et, dans les longues heures de la journée, depuis l’avant-veille, Henriette lui fait réciter quelques mots qu’elle lui apprend par cœur et par lesquels Suzanne va souhaiter la bienvenue à Roger, dans un instant, lorsqu’il entrera.
Écoutez la voix grave de la mère et le cristal pur de la petite fille, chuchotant, n’osant parler haut, afin de conserver bien à elles, pour quelques minutes encore, le mystère de leur douce surprise.
— Tu n’as pas oublié, chère enfant ?