Le Mort

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Le Mort by CAMILLE LEMONNIER, GILBERT TEROL
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Author: CAMILLE LEMONNIER ISBN: 1230001232455
Publisher: GILBERT TEROL Publication: July 17, 2016
Imprint: Language: French
Author: CAMILLE LEMONNIER
ISBN: 1230001232455
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: July 17, 2016
Imprint:
Language: French

Extrait :

La ferme des trois Baraque était plantée au carrefour de quatre chemins de terre, dans l’endroit le plus bas du vallon. Celui de ces chemins qui menait à la chaussée, comptait cinq maisons, moitié chaux, moitié torchis, disséminées sur un espace de douze à quinze hectares ; deux des trois autres avaient chacun une maison seulement, et le quatrième longeait, inhabité des labourés, en plein champ. Cela formait un très petit hameau perdu dans une succession de prairies, de vergers, de champs cultivés, où des haies, des rangées de peupliers mettaient des séparations ; et un ruisseau, très mince l’été, filait entre des berges herbues, donnant son nom à la localité.

Les huit maisons vivaient en bonne intelligence, pauvrement, n’ayant de communications qu’avec le village dont elles dépendaient. Une de ces maisons était un cabaret, trois bancs devant la porte, trois à l’intérieur, avec deux tables pour la partie de cartes. Le dimanche, après vêpres, les paysans y allaient, emmenant avec eux les femmes et les enfants. Derrière les clôtures, des vaches paissaient, et deux vieux chevaux, les seuls du hameau, par moments ruaient, dérangés par les porcs. On n’entendait d’autre bruit que le choc des assiettes, à l’heure des repas, le beuglement des bêtes dans les herbages, le grincement de la pierre à aiguiser contre les faux, le battement cadencé d’un fléau çà et là, et, quand il ventait, le ronflement sourd, continu, des arbres au bord du chemin.

La maison des Baraque, contrairement aux autres maisons, prenait jour du côté des champs, ne laissant voir, du côté du chemin, que deux lucarnes étroites, barbouillées de terre glaise, trop haut placées pour qu’on pût regarder à l’intérieur. Elle s’allongeait sur une cour inégalement carrée, où étaient les huttes à porcs, le hangar et l’écurie. À l’angle de la maison et du chemin, s’étalait la mare aux fumiers.

Il y avait à l’habitation deux portes et trois fenêtres, celles-ci bouchées de planchettes de bois et de papier collé, en guise de vitres, avec des morceaux de volets délabrés pour chacune. Une des deux portes ouvrait sur une chambre pavée de briques, à haute cheminée à manteau, le plafond coupé de travées ; et de cette chambre on passait dans une autre où couchaient deux des Baraque. L’autre porte était celle de la grange.

La maison était vieille, ayant été bâtie par le père Baraque deux ans avant sa mort, et ses fils avaient continué à l’habiter, la laissant se détériorer un peu plus chaque année. Depuis huit ans environ, les murs n’avaient plus été blanchis ni au dedans, ni au dehors, et le torchis tombé montrait les falourdes, par de larges crevasses. Une seule réparation importante avait été faite ; le toit de chaume ayant été en partie enlevé une nuit d’ouragan, les Baraque avaient remplacé, sur la partie découverte, le chaume par des tuiles. Des champignons avaient poussé dans ce qui restait du chaume, mêlant leur rosissure tendre au vert profond des mousses, et le toit inégal, tourmenté, déjeté en avant, faisait par-delà la façade un auvent dont l’ombre maintenait une humidité dans le mur. Même l’été, la maison puait le marécage, et la moisissure suintait, comme une lèpre, montant partout.

Nol, l’aîné, avait quarante-six ans, Balthazar, qu’on appelait aussi Balt, en avait à peu près quarante, et Bastian ou Bast, trente-six ou trente-sept ; et tous trois vivaient ensemble, célibataires, ne s’étant jamais quittés.

Balt et Bast étaient maigres comme des clous, le premier, large d’épaules, nerveux, les mains énormes, le second, planté sur des jambes fluettes, voûté, marchant par saccades, chauve. Et Nol avait la tête et les jambes enflées démesurément, à cause de l’humidité de la maison.

Balt était emporté, violent, d’une sauvagesse exaspérée, tendu comme une arbalète ; Bast, au contraire, était farouche, sournois, chien-couchant, pliant devant les gens et se redressant derrière eux, d’une lâcheté basse. Il était pris d’accès de toux interminables, qui le mettaient en sueur et l’obligeaient à se retenir aux meubles, aux haies, la face convulsée, les pommettes en sang.

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Extrait :

La ferme des trois Baraque était plantée au carrefour de quatre chemins de terre, dans l’endroit le plus bas du vallon. Celui de ces chemins qui menait à la chaussée, comptait cinq maisons, moitié chaux, moitié torchis, disséminées sur un espace de douze à quinze hectares ; deux des trois autres avaient chacun une maison seulement, et le quatrième longeait, inhabité des labourés, en plein champ. Cela formait un très petit hameau perdu dans une succession de prairies, de vergers, de champs cultivés, où des haies, des rangées de peupliers mettaient des séparations ; et un ruisseau, très mince l’été, filait entre des berges herbues, donnant son nom à la localité.

Les huit maisons vivaient en bonne intelligence, pauvrement, n’ayant de communications qu’avec le village dont elles dépendaient. Une de ces maisons était un cabaret, trois bancs devant la porte, trois à l’intérieur, avec deux tables pour la partie de cartes. Le dimanche, après vêpres, les paysans y allaient, emmenant avec eux les femmes et les enfants. Derrière les clôtures, des vaches paissaient, et deux vieux chevaux, les seuls du hameau, par moments ruaient, dérangés par les porcs. On n’entendait d’autre bruit que le choc des assiettes, à l’heure des repas, le beuglement des bêtes dans les herbages, le grincement de la pierre à aiguiser contre les faux, le battement cadencé d’un fléau çà et là, et, quand il ventait, le ronflement sourd, continu, des arbres au bord du chemin.

La maison des Baraque, contrairement aux autres maisons, prenait jour du côté des champs, ne laissant voir, du côté du chemin, que deux lucarnes étroites, barbouillées de terre glaise, trop haut placées pour qu’on pût regarder à l’intérieur. Elle s’allongeait sur une cour inégalement carrée, où étaient les huttes à porcs, le hangar et l’écurie. À l’angle de la maison et du chemin, s’étalait la mare aux fumiers.

Il y avait à l’habitation deux portes et trois fenêtres, celles-ci bouchées de planchettes de bois et de papier collé, en guise de vitres, avec des morceaux de volets délabrés pour chacune. Une des deux portes ouvrait sur une chambre pavée de briques, à haute cheminée à manteau, le plafond coupé de travées ; et de cette chambre on passait dans une autre où couchaient deux des Baraque. L’autre porte était celle de la grange.

La maison était vieille, ayant été bâtie par le père Baraque deux ans avant sa mort, et ses fils avaient continué à l’habiter, la laissant se détériorer un peu plus chaque année. Depuis huit ans environ, les murs n’avaient plus été blanchis ni au dedans, ni au dehors, et le torchis tombé montrait les falourdes, par de larges crevasses. Une seule réparation importante avait été faite ; le toit de chaume ayant été en partie enlevé une nuit d’ouragan, les Baraque avaient remplacé, sur la partie découverte, le chaume par des tuiles. Des champignons avaient poussé dans ce qui restait du chaume, mêlant leur rosissure tendre au vert profond des mousses, et le toit inégal, tourmenté, déjeté en avant, faisait par-delà la façade un auvent dont l’ombre maintenait une humidité dans le mur. Même l’été, la maison puait le marécage, et la moisissure suintait, comme une lèpre, montant partout.

Nol, l’aîné, avait quarante-six ans, Balthazar, qu’on appelait aussi Balt, en avait à peu près quarante, et Bastian ou Bast, trente-six ou trente-sept ; et tous trois vivaient ensemble, célibataires, ne s’étant jamais quittés.

Balt et Bast étaient maigres comme des clous, le premier, large d’épaules, nerveux, les mains énormes, le second, planté sur des jambes fluettes, voûté, marchant par saccades, chauve. Et Nol avait la tête et les jambes enflées démesurément, à cause de l’humidité de la maison.

Balt était emporté, violent, d’une sauvagesse exaspérée, tendu comme une arbalète ; Bast, au contraire, était farouche, sournois, chien-couchant, pliant devant les gens et se redressant derrière eux, d’une lâcheté basse. Il était pris d’accès de toux interminables, qui le mettaient en sueur et l’obligeaient à se retenir aux meubles, aux haies, la face convulsée, les pommettes en sang.

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