Anne de Geierstein

Romance, Contemporary
Cover of the book Anne de Geierstein by Walter Scott, GILBERT TEROL
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Author: Walter Scott ISBN: 1230002801650
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 6, 2018
Imprint: Language: French
Author: Walter Scott
ISBN: 1230002801650
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 6, 2018
Imprint:
Language: French

Après avoir examiné la scène affreuse qui les environnait aussi attentivement que pouvait le permettre l’état orageux de l’atmosphère, le plus jeune des voyageurs observa : « Dans tout autre pays, je dirais que la tempête commence à s’affaiblir ; mais à quoi faut-il s’attendre sur cette terre de désolation ? Il est impossible de le prévoir. Si l’esprit apostat de Pilate est réellement ballotté par la tempête, ces bouffées de vent, mourantes et plus lointaines, semblent annoncer qu’il retourne au lieu de sa punition. Le sentier s’est écroulé avec la terre sur laquelle il passait… Je puis en apercevoir une partie encore étendue dans l’abîme, et marquant comme d’une ligne de craie cette masse de terre et de pierres. Mais je crois qu’il me serait encore possible, avec votre permission, mon père, de me glisser le long du bord de ce précipice, jusqu’à ce que j’arrivasse en vue de l’habitation dont le guide nous a parlé. S’il existe réellement une habitation pareille, il faut qu’elle soit accessible par quelque côté ; et si je ne puis découvrir le chemin qui y mène, je peux du moins faire des signaux de manière à être vu des personnes qui demeurent près de ce nid de vautour, et obtenir d’elles quelque indication amicale. — Je ne puis consentir à ce que vous couriez un tel risque, répondit son père : que notre guide aille en avant, s’il peut et s’il veut. Il a été élevé dans les montagnes, et je le récompenserai richement. »

Mais Antonio refusa la proposition d’un air résolu et décidé. « J’ai bien été, dit-il, élevé dans les montagnes ; mais je ne suis pas chasseur de chamois, et je n’ai pas d’ailes pour me transporter de pic en pic, comme un corbeau… L’or est moins précieux que la vie. — Dieu me garde, repartit signor Philipson, de vouloir t’engager à les mettre l’un et l’autre dans la balance ! Marchez donc, mon fils, je vous suis. — Non, je vous en conjure, non, mon cher père, répliqua le jeune homme ; c’est assez d’exposer la vie d’un seul… et la mienne, de beaucoup moins précieuse, doit, d’après toutes les règles de la sagesse aussi bien que de la nature, être hasardée la première. — Non, Arthur, » répliqua à son tour le père d’un ton déterminé, « non, mon fils ; j’ai survécu à bien des personnes, mais je ne veux pas vous survivre. — Je ne crains pas pour l’issue de mon entreprise, si vous me permettez d’aller seul, mon père ; mais je ne puis, je n’ose entreprendre une tâche si périlleuse, si vous persistez à vouloir en partager le péril avec une aussi faible assistance que la mienne. Tandis que je chercherais à faire un nouveau pas, je serais toujours à regarder derrière moi pour voir comment vous pourriez atteindre vous-même l’endroit que je me préparerais à quitter… Et songez, mon cher père, que si je péris, il ne périra avec moi qu’une chose sans valeur, sans plus d’importance que le rocher ou l’arbre qui est tombé dans l’abîme avant moi. Mais vous… si votre pied glissait, si la main venait à vous manquer, réfléchissez combien de choses et d’individus vous entraîneriez nécessairement dans votre chute. — Vous avez raison, mon enfant… j’aurais encore motif de tenir à la vie, dussé-je même perdre en vous tout ce qui m’est cher… Notre-Dame, et le chevalier de Notre-Dame vous bénissent et vous protègent, mon enfant ! Votre pied est jeune, votre main forte… vous n’avez pas gravi le Plynlimmon[4] en vain : soyez hardi, mais prudent… N’oubliez pas qu’il existe un homme qui, après vous avoir perdu, n’a plus qu’un devoir à remplir qui l’attache à la terre, et que, ce devoir rempli, il vous suivra bientôt. »

Le jeune homme se prépara donc à son dangereux voyage, et se débarrassant de son vaste manteau, montra des membres bien proportionnés que recouvrait un justaucorps étroit et dessinant toutes ses formes. Cependant le père changea de résolution lorsqu’il vit son fils se retourner pour lui dire adieu ; il retira la permission qu’il lui avait donnée, et lui défendit d’un ton péremptoire d’avancer d’un pas. Mais, sans écouter cette défense, Arthur avait déjà commencé la périlleuse entreprise. Descendant de la plate-forme où il se trouvait, grâce aux branches d’un vieux frêne qui poussait par une fente de rocher, le jeune homme parvint, quoique à grands risques, à gagner un étroit sentier, au bord même du précipice, le long duquel il espérait se traîner en rampant jusqu’à ce qu’il pût se faire entendre ou voir de l’habitation que le guide leur avait dit exister en cet endroit. Sa situation, pendant qu’il poursuivait sa marche audacieuse, semblait si précaire, que même son compagnon payé osait à peine respirer en le suivant des yeux. La rampe qui le soutenait paraissait devenir tellement étroite à mesure qu’il avançait, qu’elle finit par ne plus être visible. Cependant il continuait toujours sa route, tantôt avançant la tête au dessus du précipice, tantôt regardant devant lui, tantôt levant les yeux au ciel ; mais ne s’aventurant jamais à jeter un regard au dessous de lui, de peur que la tête ne lui tournât à la vue d’un abîme aussi effrayant. Pour le père et le guide qui observaient sa marche, c’était moins celle d’un homme avançant à la manière ordinaire, et s’accrochant à quelque chose qui tient à la terre ferme, que celle d’un insecte grimpant sur la surface d’un mur perpendiculaire, dont les mouvements progressifs sont à la vérité sensibles, mais dont nous ne pouvons apercevoir les moyens d’appui. Ce fut donc amèrement, très amèrement, que le malheureux père se lamenta alors de n’avoir pas persisté dans son projet de faire adopter la mesure ennuyeuse et périlleuse même qui consistait à regagner l’habitation de la nuit précédente, en revenant sur leurs pas. Il aurait du moins alors voulu avoir partagé le destin du fils de sa tendresse.

Cependant le courage du jeune homme était énergiquement soutenu par sa ferme détermination de remplir sa dangereuse tâche. Il exerça un puissant empire sur ses idées, qui d’habitude étaient passablement vives, et refusa d’écouter, même un instant, aucune des appréhensions pleines d’effroi par lesquelles l’imagination augmente un véritable danger. Il s’efforça bravement de réduire tout ce qui l’entourait à l’échelle de la stricte raison, comme meilleur soutien du vrai courage. « Cette rampe de rocher, se représenta-t-il à lui-même, est sans doute étroite ; mais elle a encore assez de largeur pour me soutenir ; ces pointes et ces crevasses qui rompent la surface unie sont petites et éloignées ; mais les unes présentent à mon pied, pour qu’il s’y pose, un espace assez sûr, et les autres à ma main, pour qu’elle le saisisse, un objet aussi solide que si je me tenais sur une plate-forme large d’une coudée, et si j’appuyais mon bras sur une balustrade de marbre. Ma sûreté dépend donc de moi-même. Si mes mouvements sont hardis, mon pas ferme, et ma main vigoureuse, qu’importe que je sois plus eu moins près de l’ouverture d’un abîme ? »

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Après avoir examiné la scène affreuse qui les environnait aussi attentivement que pouvait le permettre l’état orageux de l’atmosphère, le plus jeune des voyageurs observa : « Dans tout autre pays, je dirais que la tempête commence à s’affaiblir ; mais à quoi faut-il s’attendre sur cette terre de désolation ? Il est impossible de le prévoir. Si l’esprit apostat de Pilate est réellement ballotté par la tempête, ces bouffées de vent, mourantes et plus lointaines, semblent annoncer qu’il retourne au lieu de sa punition. Le sentier s’est écroulé avec la terre sur laquelle il passait… Je puis en apercevoir une partie encore étendue dans l’abîme, et marquant comme d’une ligne de craie cette masse de terre et de pierres. Mais je crois qu’il me serait encore possible, avec votre permission, mon père, de me glisser le long du bord de ce précipice, jusqu’à ce que j’arrivasse en vue de l’habitation dont le guide nous a parlé. S’il existe réellement une habitation pareille, il faut qu’elle soit accessible par quelque côté ; et si je ne puis découvrir le chemin qui y mène, je peux du moins faire des signaux de manière à être vu des personnes qui demeurent près de ce nid de vautour, et obtenir d’elles quelque indication amicale. — Je ne puis consentir à ce que vous couriez un tel risque, répondit son père : que notre guide aille en avant, s’il peut et s’il veut. Il a été élevé dans les montagnes, et je le récompenserai richement. »

Mais Antonio refusa la proposition d’un air résolu et décidé. « J’ai bien été, dit-il, élevé dans les montagnes ; mais je ne suis pas chasseur de chamois, et je n’ai pas d’ailes pour me transporter de pic en pic, comme un corbeau… L’or est moins précieux que la vie. — Dieu me garde, repartit signor Philipson, de vouloir t’engager à les mettre l’un et l’autre dans la balance ! Marchez donc, mon fils, je vous suis. — Non, je vous en conjure, non, mon cher père, répliqua le jeune homme ; c’est assez d’exposer la vie d’un seul… et la mienne, de beaucoup moins précieuse, doit, d’après toutes les règles de la sagesse aussi bien que de la nature, être hasardée la première. — Non, Arthur, » répliqua à son tour le père d’un ton déterminé, « non, mon fils ; j’ai survécu à bien des personnes, mais je ne veux pas vous survivre. — Je ne crains pas pour l’issue de mon entreprise, si vous me permettez d’aller seul, mon père ; mais je ne puis, je n’ose entreprendre une tâche si périlleuse, si vous persistez à vouloir en partager le péril avec une aussi faible assistance que la mienne. Tandis que je chercherais à faire un nouveau pas, je serais toujours à regarder derrière moi pour voir comment vous pourriez atteindre vous-même l’endroit que je me préparerais à quitter… Et songez, mon cher père, que si je péris, il ne périra avec moi qu’une chose sans valeur, sans plus d’importance que le rocher ou l’arbre qui est tombé dans l’abîme avant moi. Mais vous… si votre pied glissait, si la main venait à vous manquer, réfléchissez combien de choses et d’individus vous entraîneriez nécessairement dans votre chute. — Vous avez raison, mon enfant… j’aurais encore motif de tenir à la vie, dussé-je même perdre en vous tout ce qui m’est cher… Notre-Dame, et le chevalier de Notre-Dame vous bénissent et vous protègent, mon enfant ! Votre pied est jeune, votre main forte… vous n’avez pas gravi le Plynlimmon[4] en vain : soyez hardi, mais prudent… N’oubliez pas qu’il existe un homme qui, après vous avoir perdu, n’a plus qu’un devoir à remplir qui l’attache à la terre, et que, ce devoir rempli, il vous suivra bientôt. »

Le jeune homme se prépara donc à son dangereux voyage, et se débarrassant de son vaste manteau, montra des membres bien proportionnés que recouvrait un justaucorps étroit et dessinant toutes ses formes. Cependant le père changea de résolution lorsqu’il vit son fils se retourner pour lui dire adieu ; il retira la permission qu’il lui avait donnée, et lui défendit d’un ton péremptoire d’avancer d’un pas. Mais, sans écouter cette défense, Arthur avait déjà commencé la périlleuse entreprise. Descendant de la plate-forme où il se trouvait, grâce aux branches d’un vieux frêne qui poussait par une fente de rocher, le jeune homme parvint, quoique à grands risques, à gagner un étroit sentier, au bord même du précipice, le long duquel il espérait se traîner en rampant jusqu’à ce qu’il pût se faire entendre ou voir de l’habitation que le guide leur avait dit exister en cet endroit. Sa situation, pendant qu’il poursuivait sa marche audacieuse, semblait si précaire, que même son compagnon payé osait à peine respirer en le suivant des yeux. La rampe qui le soutenait paraissait devenir tellement étroite à mesure qu’il avançait, qu’elle finit par ne plus être visible. Cependant il continuait toujours sa route, tantôt avançant la tête au dessus du précipice, tantôt regardant devant lui, tantôt levant les yeux au ciel ; mais ne s’aventurant jamais à jeter un regard au dessous de lui, de peur que la tête ne lui tournât à la vue d’un abîme aussi effrayant. Pour le père et le guide qui observaient sa marche, c’était moins celle d’un homme avançant à la manière ordinaire, et s’accrochant à quelque chose qui tient à la terre ferme, que celle d’un insecte grimpant sur la surface d’un mur perpendiculaire, dont les mouvements progressifs sont à la vérité sensibles, mais dont nous ne pouvons apercevoir les moyens d’appui. Ce fut donc amèrement, très amèrement, que le malheureux père se lamenta alors de n’avoir pas persisté dans son projet de faire adopter la mesure ennuyeuse et périlleuse même qui consistait à regagner l’habitation de la nuit précédente, en revenant sur leurs pas. Il aurait du moins alors voulu avoir partagé le destin du fils de sa tendresse.

Cependant le courage du jeune homme était énergiquement soutenu par sa ferme détermination de remplir sa dangereuse tâche. Il exerça un puissant empire sur ses idées, qui d’habitude étaient passablement vives, et refusa d’écouter, même un instant, aucune des appréhensions pleines d’effroi par lesquelles l’imagination augmente un véritable danger. Il s’efforça bravement de réduire tout ce qui l’entourait à l’échelle de la stricte raison, comme meilleur soutien du vrai courage. « Cette rampe de rocher, se représenta-t-il à lui-même, est sans doute étroite ; mais elle a encore assez de largeur pour me soutenir ; ces pointes et ces crevasses qui rompent la surface unie sont petites et éloignées ; mais les unes présentent à mon pied, pour qu’il s’y pose, un espace assez sûr, et les autres à ma main, pour qu’elle le saisisse, un objet aussi solide que si je me tenais sur une plate-forme large d’une coudée, et si j’appuyais mon bras sur une balustrade de marbre. Ma sûreté dépend donc de moi-même. Si mes mouvements sont hardis, mon pas ferme, et ma main vigoureuse, qu’importe que je sois plus eu moins près de l’ouverture d’un abîme ? »

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