Mademoiselle La Quintinie

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Mademoiselle La Quintinie by GEORGE SAND, GILBERT TEROL
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Author: GEORGE SAND ISBN: 1230002752013
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 28, 2018
Imprint: Language: French
Author: GEORGE SAND
ISBN: 1230002752013
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 28, 2018
Imprint:
Language: French

L’Histoire de Sibylle, qui a paru naguère dans la Revue des Deux Mondes, où je viens moi-même de publier Mademoiselle La Quintinie, est un sujet assez beau pour tenter plus d’un écrivain. La critique impartiale a reconnu, en dehors du mérite de la forme, l’importance et la grandeur de la pensée du livre. Elle devait certes des félicitations à l’auteur pour le courage qu’il a eu de traiter, sous cette forme du roman, la question si grave et si peu romanesque de la croyance religieuse. Longtemps la critique a prononcé que la recherche de l’idéal social ou religieux n’était pas du domaine du roman, et qu’il fallait l’exclure comme étrangère, intempestive et pédantesque. Plus tolérante et, selon nous, plus juste aujourd’hui, elle loue M. Octave Feuillet d’avoir fait un noble effort pour réhabiliter le roman et pour l’élever à l’état de thèse. Elle reconnaît que les luttes de la conscience et l’analyse des idées les plus hautes sont du ressort de l’art littéraire. Nous devons donc savoir gré à l’auteur de Sibylle d’un succès qui nous autorise à continuer et à reprendre ce que nous avons essayé tant de fois sous les feux de peloton de certaines critiques trop indignées, et par cela même impuissantes à nous corriger. Nous savions bien qu’en laissant passer un peu de temps la lumière se ferait, et que les jeunes écrivains sérieux ne regarderaient pas comme inutiles les efforts de leurs patients devanciers.

L’Histoire de Sibylle est le roman d’une âme ; Mademoiselle La Quintinie est l’histoire d’un prêtre, avec toute la rigueur de ses déductions et tous les développements que la pensée du livre comporte. Nous ne faisons pas l’apologie de l’esprit clérical, tel n’est pas notre point de vue ; nous n’en faisons pas non plus la satire, tel n’est point notre but. Entre les deux manières d’envisager la véritable question du temps présent, il y en a une beaucoup plus facile à éluder qu’à résoudre, c’est l’examen. Établir la lutte entre la foi et l’athéisme, ou bien mettre aux prises la sincérité et l’hypocrisie, c’eût été s’armer contre des questions vidées à fond, plaider des causes gagnées sans retour. Le progrès des lumières a repoussé et annulé l’athéisme ; sa mort, c’est la liberté de discussion. Le progrès de la morale publique a tué l’hypocrisie ; sa ruine, c’est l’impunité que le mépris décrète.

Mais il n’y a pas que Tartufe et Canapée en cause par le temps qui court. Il y a l’humanité qui cherche sa voie et qui flotte entre le prêtre et le philosophe, entre le passé et l’avenir. Il y a la conscience de tous et de chacun, qui veut savoir où elle est et où elle va, et cette conscience universelle peut fort bien se résumer dans un exemple, se concentrer dans une figure, devenir un personnage de roman en un mot, pour demander au monde sérieux comme au monde frivole la solution du problème posé dans tous les cœurs, dans tous les esprits, dans toutes les réunions, dans toutes les solitudes, dans toutes les familles, partout en un mot, la solution du problème religieux.

Les catholiques de ce temps-ci, parmi lesquels se range courageusement M. Octave Feuillet, se contentent de la solution trouvée par l’Église romaine à la suite d’élucubrations en commun appelées conciles. Les décisions de ces assemblées du clergé présidées par les papes se sont attribué l’infaillibilité, et, pour être orthodoxe, il faut s’y soumettre. Pourtant, ces institutions choquent sur beaucoup de points non-seulement la raison, mais le cœur et la conscience des hommes. Pour ne citer qu’un des articles de foi de l’Église, nous demanderons si l’esprit de Dieu est en elle lorsqu’elle nous commande de croire à l’existence du diable et aux peines éternelles de l’enfer. Cette croyance à la nécessité d’un rival et d’un ennemi de Dieu, éternellement vivant, éternellement mauvais, éternellement puissant, possesseur et roi absolu d’un incommensurable abîme où toutes les âmes coupables de l’univers doivent, revêtues de leurs corps, subir éternellement des supplices sans nom, sans que Dieu veuille ou puisse faire grâce, cette croyance inqualifiable est-elle obligatoire ?

Jusqu’ici, l’Église a dit oui dans son enseignement officiel, comme elle a dit oui sur bien d’autres questions qui se rencontreront sous notre plume dans Mademoiselle La Quintinie. Elle dit encore oui par les termes des allocutions papales, par les formules naguère remises en vigueur de l’excommunication, par la plupart des mandements des prélats, par les sermons que l’on entend dans toutes les églises, enfin par les organes dont le clergé dispose jusque dans la presse quotidienne.

Pourtant nous croyons fermement que les honnêtes gens qui se disent catholiques, et M. Octave Feuillet tout le premier, nient ce dogme des peines éternelles contre lequel ont protesté des saints canonisés, et qui inspire une véritable horreur à tous les bons chrétiens.

Nous savons aussi de source certaine que des catholiques éclairés refusent de se prononcer sur ce point comme sur beaucoup d’autres, et que bon nombre d’ecclésiastiques autorisent le refus intérieur et la protestation douloureuse des âmes délicates. Pourtant le silence est ordonné, il ne faut point donner de démenti officiel à l’Église. Le prêtre pourrait être censuré, le fidèle pourrait mettre son salut en péril. D’ailleurs, n’est-il pas bon que les paysans, les enfants et les femmes soient menés par la peur ? Ne faut-il pas que des millions d’âmes restent dans l’idolâtrie païenne et croient que la vengeance et la férocité sont toujours des attributs divins ?

Il y aurait donc en ce temps-ci deux Églises : une officielle qui a le droit d’imposer, et une secrète qui a le droit de protester. Nous avouons que l’existence de ces deux droits nous paraît inconciliable avec la logique de la foi.

Mais non, il n’y a pas deux Églises dans l’Église. Il y en a trente, il y en a cent, il y en a mille, il y en a peut-être autant que de catholiques. Reconnaissons que l’esprit humain est arrivé à ce point qu’il a beau aliéner sa liberté en principe, il ne peut plus l’aliéner en réalité, et que les papes eux-mêmes, dans l’appréciation de certaines questions contraires à l’esprit chrétien, sont de libres penseurs tout comme les autres.

Il est libre, en effet, celui qui prononce cette parole : Je te maudis ! de même que celui qui répond : Nul n’a droit de maudire son semblable, est libre devant Dieu. Reste à savoir lequel des deux l’esprit de Dieu inspire. Là n’est point la question ; nous demandons à savoir où réside ce que l’on appelle l’orthodoxie, et d’où part ce que l’on invoque comme l’autorité.

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L’Histoire de Sibylle, qui a paru naguère dans la Revue des Deux Mondes, où je viens moi-même de publier Mademoiselle La Quintinie, est un sujet assez beau pour tenter plus d’un écrivain. La critique impartiale a reconnu, en dehors du mérite de la forme, l’importance et la grandeur de la pensée du livre. Elle devait certes des félicitations à l’auteur pour le courage qu’il a eu de traiter, sous cette forme du roman, la question si grave et si peu romanesque de la croyance religieuse. Longtemps la critique a prononcé que la recherche de l’idéal social ou religieux n’était pas du domaine du roman, et qu’il fallait l’exclure comme étrangère, intempestive et pédantesque. Plus tolérante et, selon nous, plus juste aujourd’hui, elle loue M. Octave Feuillet d’avoir fait un noble effort pour réhabiliter le roman et pour l’élever à l’état de thèse. Elle reconnaît que les luttes de la conscience et l’analyse des idées les plus hautes sont du ressort de l’art littéraire. Nous devons donc savoir gré à l’auteur de Sibylle d’un succès qui nous autorise à continuer et à reprendre ce que nous avons essayé tant de fois sous les feux de peloton de certaines critiques trop indignées, et par cela même impuissantes à nous corriger. Nous savions bien qu’en laissant passer un peu de temps la lumière se ferait, et que les jeunes écrivains sérieux ne regarderaient pas comme inutiles les efforts de leurs patients devanciers.

L’Histoire de Sibylle est le roman d’une âme ; Mademoiselle La Quintinie est l’histoire d’un prêtre, avec toute la rigueur de ses déductions et tous les développements que la pensée du livre comporte. Nous ne faisons pas l’apologie de l’esprit clérical, tel n’est pas notre point de vue ; nous n’en faisons pas non plus la satire, tel n’est point notre but. Entre les deux manières d’envisager la véritable question du temps présent, il y en a une beaucoup plus facile à éluder qu’à résoudre, c’est l’examen. Établir la lutte entre la foi et l’athéisme, ou bien mettre aux prises la sincérité et l’hypocrisie, c’eût été s’armer contre des questions vidées à fond, plaider des causes gagnées sans retour. Le progrès des lumières a repoussé et annulé l’athéisme ; sa mort, c’est la liberté de discussion. Le progrès de la morale publique a tué l’hypocrisie ; sa ruine, c’est l’impunité que le mépris décrète.

Mais il n’y a pas que Tartufe et Canapée en cause par le temps qui court. Il y a l’humanité qui cherche sa voie et qui flotte entre le prêtre et le philosophe, entre le passé et l’avenir. Il y a la conscience de tous et de chacun, qui veut savoir où elle est et où elle va, et cette conscience universelle peut fort bien se résumer dans un exemple, se concentrer dans une figure, devenir un personnage de roman en un mot, pour demander au monde sérieux comme au monde frivole la solution du problème posé dans tous les cœurs, dans tous les esprits, dans toutes les réunions, dans toutes les solitudes, dans toutes les familles, partout en un mot, la solution du problème religieux.

Les catholiques de ce temps-ci, parmi lesquels se range courageusement M. Octave Feuillet, se contentent de la solution trouvée par l’Église romaine à la suite d’élucubrations en commun appelées conciles. Les décisions de ces assemblées du clergé présidées par les papes se sont attribué l’infaillibilité, et, pour être orthodoxe, il faut s’y soumettre. Pourtant, ces institutions choquent sur beaucoup de points non-seulement la raison, mais le cœur et la conscience des hommes. Pour ne citer qu’un des articles de foi de l’Église, nous demanderons si l’esprit de Dieu est en elle lorsqu’elle nous commande de croire à l’existence du diable et aux peines éternelles de l’enfer. Cette croyance à la nécessité d’un rival et d’un ennemi de Dieu, éternellement vivant, éternellement mauvais, éternellement puissant, possesseur et roi absolu d’un incommensurable abîme où toutes les âmes coupables de l’univers doivent, revêtues de leurs corps, subir éternellement des supplices sans nom, sans que Dieu veuille ou puisse faire grâce, cette croyance inqualifiable est-elle obligatoire ?

Jusqu’ici, l’Église a dit oui dans son enseignement officiel, comme elle a dit oui sur bien d’autres questions qui se rencontreront sous notre plume dans Mademoiselle La Quintinie. Elle dit encore oui par les termes des allocutions papales, par les formules naguère remises en vigueur de l’excommunication, par la plupart des mandements des prélats, par les sermons que l’on entend dans toutes les églises, enfin par les organes dont le clergé dispose jusque dans la presse quotidienne.

Pourtant nous croyons fermement que les honnêtes gens qui se disent catholiques, et M. Octave Feuillet tout le premier, nient ce dogme des peines éternelles contre lequel ont protesté des saints canonisés, et qui inspire une véritable horreur à tous les bons chrétiens.

Nous savons aussi de source certaine que des catholiques éclairés refusent de se prononcer sur ce point comme sur beaucoup d’autres, et que bon nombre d’ecclésiastiques autorisent le refus intérieur et la protestation douloureuse des âmes délicates. Pourtant le silence est ordonné, il ne faut point donner de démenti officiel à l’Église. Le prêtre pourrait être censuré, le fidèle pourrait mettre son salut en péril. D’ailleurs, n’est-il pas bon que les paysans, les enfants et les femmes soient menés par la peur ? Ne faut-il pas que des millions d’âmes restent dans l’idolâtrie païenne et croient que la vengeance et la férocité sont toujours des attributs divins ?

Il y aurait donc en ce temps-ci deux Églises : une officielle qui a le droit d’imposer, et une secrète qui a le droit de protester. Nous avouons que l’existence de ces deux droits nous paraît inconciliable avec la logique de la foi.

Mais non, il n’y a pas deux Églises dans l’Église. Il y en a trente, il y en a cent, il y en a mille, il y en a peut-être autant que de catholiques. Reconnaissons que l’esprit humain est arrivé à ce point qu’il a beau aliéner sa liberté en principe, il ne peut plus l’aliéner en réalité, et que les papes eux-mêmes, dans l’appréciation de certaines questions contraires à l’esprit chrétien, sont de libres penseurs tout comme les autres.

Il est libre, en effet, celui qui prononce cette parole : Je te maudis ! de même que celui qui répond : Nul n’a droit de maudire son semblable, est libre devant Dieu. Reste à savoir lequel des deux l’esprit de Dieu inspire. Là n’est point la question ; nous demandons à savoir où réside ce que l’on appelle l’orthodoxie, et d’où part ce que l’on invoque comme l’autorité.

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