Histoire de Mlle Brion

Romance, Erotica, Contemporary
Cover of the book Histoire de Mlle Brion by GUILLAUME APOLLINAIRE, GILBERT TEROL
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Author: GUILLAUME APOLLINAIRE ISBN: 1230002753256
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 28, 2018
Imprint: Language: French
Author: GUILLAUME APOLLINAIRE
ISBN: 1230002753256
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 28, 2018
Imprint:
Language: French

La Verne appelait cette chambre son palais des vertus : c’était là qu’en femme rusée elle cachait les filles soi-disant pucelles, dont la virginité devait jouer un long rôle, avant que d’être abandonnée aux hommages du public et de devenir sœurs du sérail.

Sitôt que je fus entrée dans cette chambre, on songea sérieusement à ma toilette. La Dêpoix voulut se surpasser : elle épuisa son art pour me rendre jolie, et y réussit. Une figure fine, des yeux vifs, une taille de nymphe jointe à des grâces naturelles, promettaient une fortune à la Verne. Elle voulut ce jour-là que je dusse tout aux charmes d’une figure enfantine et novice sur laquelle brillaient les grâces de là plus tendre jeunesse. J’avais des yeux qui, par instinct, commençaient à parler le langage du plaisir, et dans lesquels on voyait naître les désirs. Pour tout dire, madame, j’étais assez jolie pour ne rien emprunter de l’art. Un petit déshabillé d’une toile de coton blanc très fine était ma seule parure. La livrée de l’innocence convenait au rôle que j’allais jouer. Tendre victime, je n’attendais que le moment d’être conduite à l’autel : le sacrificateur ne tarda pas à paraître. J’entends un carrosse s’arrêter dans une petite rue sur laquelle donnait une croisée de ma chambre. Je mets la tête à la fenêtre, et j’en vois sortir Mme Verne déguisée en dévote, une sœur de charité passée au bras, suivie d’un homme enveloppé dans un long manteau noir : je l’entendis nommer M. de R… J’ai appris depuis qu’il était évêque de B…, prélat libertin, qui avait été autrefois amant aimé de la Verne, et qui s’en tenait alors vis-à-vis d’elle au rôle de bienfaiteur. M. de R… l’avait deux fois fait sortir de Sainte-Pélagie, ce qui avait éternisé son attachement pour ce saint abbé, dont elle avait toujours gouverné les plaisirs depuis qu’elle avait cessé de les partager.

Au portrait que je viens de faire, madame, de M. de R…, il ne devait pas être novice dans une aventure galante : je le vis bientôt paraître. Il se présenta de la meilleure grâce du monde, loua avec finesse mes attraits, caressa en protecteur Mme Verne, me fit mille agaceries avec l’enjouement du bon ton qu’il possédait mieux que le premier petit-maître de Paris, me proposa de m’emmener avec lui, m’engagea poliment à entrer dans sa voiture, et me força à trouver du plaisir à la partager.

En montant il dit : « Faubourg Saint-Germain. » Son cocher savait ce que cela voulait dire. La Verne, avant que de partir, m’avait, en peu de mots, instruite du rôle que je devais jouer. En chemin je me rappelais sa leçon, que j’avais un plaisir secret à répéter. Elle avait fait éclore chez moi des idées que je cherchais à développer. Je sentais une chaleur douce courir dans mes veines ; une langueur inconnue s’était emparée de moi : je me sentais oppressée ; le cœur me battait ; ma langue se trouvait embarrassée ; mes yeux étaient baignés de cette eau précieuse qui annonce la vivacité des désirs, et qui chez moi n’était l’effet que de leurs prémices. M. de R… tenait une de mes mains. Qu’il serrait tendrement dans les siennes. Je devinais que ce langage me devait dire beaucoup et sentais qu’il ne me disait pas assez.

M. de R… me demandait ce qui occasionnait la profonde rêverie où je paraissais plongée, quand le carrosse arrêta : nous étions arrivés à sa petite maison. Comme il faisait nuit, il me présenta la main pour descendre ; je le suivis dans un appartement orné par la main des Grâces : on y rencontrait partout cette sainte mollesse inventée par les gens d’église, apanage de ses favoris, et qui caractérise si bien un prédestiné.

M. de R…, aussi recherché dans ses plaisirs que voluptueux libertin, avait orné cet appartement de peintures propres à faire naître des désirs et avait fait pratiquer partout des commodités, pour les satisfaire avec volupté. Dans une alcôve tapissée de glaces, d’immenses coussins couleur de rose, aussi artistement arrangés que sensuellement parfumés, offraient un lit couvert d’un dais en forme de coquille ; un grand tableau, où Vénus était représentée dans les bras du dieu Mars, servait de dossier ; Vulcain paraissait dans le fond pour servir d’ombre : ce tableau se répétait dans tous les trumeaux et variait suivant les positions différentes des glaces. M. de R…, en me précipitant doucement sur le lit, me demanda comment je trouvais son petit ermitage, me dit qu’il se trouverait trop heureux, si je voulais consentir un moment à partager sa retraite. Sa bouche, qui se trouva collée sur la mienne, m’empêcha de louer son bon goût. Il lut dans mes yeux ce que j’avais eu envie de lui répondre et ce qui se passait dans mon cœur : un soupir confirma son bonheur, en annonçant ma défaite. Déjà je n’ouvrais plus les yeux que pour rencontrer les siens ; nos âmes étaient prêtes à se confondre. Moments délicieux ! jouissance précieuse ! oui, vous êtes un éclair de la divinité. Je le reconnus au feu qui me consumait. Si mon bonheur eut duré un instant de plus, mon être n’aurait pu y suffire ; le plaisir m’eût anéantie. J’ouvris enfin les yeux pour lire dans ceux de M. de R… toutes les sensations qu’il éprouvait : une tendre langueur les tenait à moitié fermés : la volupté satisfaite y était peinte. Nous fumes longtemps à nous regarder, sans avoir la force de prononcer une parole. Il rompit le premier le silence, et ce fut pour peindre son bonheur. Un baiser enflammé que je lui donnai me tint lieu d’éloquence et l’assura du plaisir que j’avais eu à le partager.

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La Verne appelait cette chambre son palais des vertus : c’était là qu’en femme rusée elle cachait les filles soi-disant pucelles, dont la virginité devait jouer un long rôle, avant que d’être abandonnée aux hommages du public et de devenir sœurs du sérail.

Sitôt que je fus entrée dans cette chambre, on songea sérieusement à ma toilette. La Dêpoix voulut se surpasser : elle épuisa son art pour me rendre jolie, et y réussit. Une figure fine, des yeux vifs, une taille de nymphe jointe à des grâces naturelles, promettaient une fortune à la Verne. Elle voulut ce jour-là que je dusse tout aux charmes d’une figure enfantine et novice sur laquelle brillaient les grâces de là plus tendre jeunesse. J’avais des yeux qui, par instinct, commençaient à parler le langage du plaisir, et dans lesquels on voyait naître les désirs. Pour tout dire, madame, j’étais assez jolie pour ne rien emprunter de l’art. Un petit déshabillé d’une toile de coton blanc très fine était ma seule parure. La livrée de l’innocence convenait au rôle que j’allais jouer. Tendre victime, je n’attendais que le moment d’être conduite à l’autel : le sacrificateur ne tarda pas à paraître. J’entends un carrosse s’arrêter dans une petite rue sur laquelle donnait une croisée de ma chambre. Je mets la tête à la fenêtre, et j’en vois sortir Mme Verne déguisée en dévote, une sœur de charité passée au bras, suivie d’un homme enveloppé dans un long manteau noir : je l’entendis nommer M. de R… J’ai appris depuis qu’il était évêque de B…, prélat libertin, qui avait été autrefois amant aimé de la Verne, et qui s’en tenait alors vis-à-vis d’elle au rôle de bienfaiteur. M. de R… l’avait deux fois fait sortir de Sainte-Pélagie, ce qui avait éternisé son attachement pour ce saint abbé, dont elle avait toujours gouverné les plaisirs depuis qu’elle avait cessé de les partager.

Au portrait que je viens de faire, madame, de M. de R…, il ne devait pas être novice dans une aventure galante : je le vis bientôt paraître. Il se présenta de la meilleure grâce du monde, loua avec finesse mes attraits, caressa en protecteur Mme Verne, me fit mille agaceries avec l’enjouement du bon ton qu’il possédait mieux que le premier petit-maître de Paris, me proposa de m’emmener avec lui, m’engagea poliment à entrer dans sa voiture, et me força à trouver du plaisir à la partager.

En montant il dit : « Faubourg Saint-Germain. » Son cocher savait ce que cela voulait dire. La Verne, avant que de partir, m’avait, en peu de mots, instruite du rôle que je devais jouer. En chemin je me rappelais sa leçon, que j’avais un plaisir secret à répéter. Elle avait fait éclore chez moi des idées que je cherchais à développer. Je sentais une chaleur douce courir dans mes veines ; une langueur inconnue s’était emparée de moi : je me sentais oppressée ; le cœur me battait ; ma langue se trouvait embarrassée ; mes yeux étaient baignés de cette eau précieuse qui annonce la vivacité des désirs, et qui chez moi n’était l’effet que de leurs prémices. M. de R… tenait une de mes mains. Qu’il serrait tendrement dans les siennes. Je devinais que ce langage me devait dire beaucoup et sentais qu’il ne me disait pas assez.

M. de R… me demandait ce qui occasionnait la profonde rêverie où je paraissais plongée, quand le carrosse arrêta : nous étions arrivés à sa petite maison. Comme il faisait nuit, il me présenta la main pour descendre ; je le suivis dans un appartement orné par la main des Grâces : on y rencontrait partout cette sainte mollesse inventée par les gens d’église, apanage de ses favoris, et qui caractérise si bien un prédestiné.

M. de R…, aussi recherché dans ses plaisirs que voluptueux libertin, avait orné cet appartement de peintures propres à faire naître des désirs et avait fait pratiquer partout des commodités, pour les satisfaire avec volupté. Dans une alcôve tapissée de glaces, d’immenses coussins couleur de rose, aussi artistement arrangés que sensuellement parfumés, offraient un lit couvert d’un dais en forme de coquille ; un grand tableau, où Vénus était représentée dans les bras du dieu Mars, servait de dossier ; Vulcain paraissait dans le fond pour servir d’ombre : ce tableau se répétait dans tous les trumeaux et variait suivant les positions différentes des glaces. M. de R…, en me précipitant doucement sur le lit, me demanda comment je trouvais son petit ermitage, me dit qu’il se trouverait trop heureux, si je voulais consentir un moment à partager sa retraite. Sa bouche, qui se trouva collée sur la mienne, m’empêcha de louer son bon goût. Il lut dans mes yeux ce que j’avais eu envie de lui répondre et ce qui se passait dans mon cœur : un soupir confirma son bonheur, en annonçant ma défaite. Déjà je n’ouvrais plus les yeux que pour rencontrer les siens ; nos âmes étaient prêtes à se confondre. Moments délicieux ! jouissance précieuse ! oui, vous êtes un éclair de la divinité. Je le reconnus au feu qui me consumait. Si mon bonheur eut duré un instant de plus, mon être n’aurait pu y suffire ; le plaisir m’eût anéantie. J’ouvris enfin les yeux pour lire dans ceux de M. de R… toutes les sensations qu’il éprouvait : une tendre langueur les tenait à moitié fermés : la volupté satisfaite y était peinte. Nous fumes longtemps à nous regarder, sans avoir la force de prononcer une parole. Il rompit le premier le silence, et ce fut pour peindre son bonheur. Un baiser enflammé que je lui donnai me tint lieu d’éloquence et l’assura du plaisir que j’avais eu à le partager.

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