Pot Bouille (1882)

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Pot Bouille (1882) by EMILE ZOLA, GILBERT TEROL
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Author: EMILE ZOLA ISBN: 1230002653075
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 10, 2018
Imprint: Language: French
Author: EMILE ZOLA
ISBN: 1230002653075
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 10, 2018
Imprint:
Language: French

Dès le lendemain, Octave s’occupa de Valérie. Il guetta ses habitudes, sut l’heure où il courait la chance de la rencontrer dans l’escalier ; et il s’arrangeait pour monter souvent à sa chambre, profitant du déjeuner qu’il venait prendre chez les Campardon, s’échappant s’il le fallait du Bonheur des Dames, sous un prétexte. Bientôt, il remarqua que, tous les jours, vers deux heures, la jeune femme, qui conduisait son enfant au jardin des Tuileries, passait par la rue Gaillon. Alors, il se planta sur la porte du magasin, il l’attendit, la salua d’un de ses galants sourires de beau commis. À chacune de leurs rencontres, Valérie répondait poliment de la tête, sans jamais s’arrêter ; mais il voyait son regard noir brûler de passion, il trouvait des encouragements dans son teint ravagé et dans le balancement souple de sa taille.

Son plan était déjà fait, un plan hardi de séducteur habitué à mener cavalièrement la vertu des demoiselles de magasin. Il s’agissait simplement d’attirer Valérie dans sa chambre, au quatrième ; l’escalier restait désert et solennel, personne ne les découvrirait là-haut ; et il s’égayait, à l’idée des recommandations morales de l’architecte, car ce n’était pas amener des femmes, que d’en prendre une dans la maison.

Pourtant, une chose inquiétait Octave. La cuisine des Pichon se trouvait séparée de leur salle à manger par le couloir, ce qui les forçait de laisser souvent leur porte ouverte. Dès neuf heures, le mari partait à son bureau, pour ne rentrer que vers cinq heures ; et, les jours pairs de la semaine, il allait encore tenir des livres, après son dîner, de huit heures à minuit. D’ailleurs, aussitôt qu’elle entendait le pas d’Octave, la jeune femme poussait la porte, très réservée, presque sauvage. Il ne l’apercevait que de dos et comme fuyante, avec ses cheveux pâles, serrés en un mince chignon. Par cet entrebâillement discret, il avait seulement surpris jusque-là des coins d’intérieur, des meubles tristes et propres, des linges d’une blancheur éteinte sous le jour gris d’une fenêtre qu’il ne pouvait voir, l’angle d’un lit d’enfant au fond d’une seconde chambre, toute une solitude monotone de femme tournant du matin au soir dans les mêmes soins d’un ménage d’employé. Jamais un bruit, du reste ; l’enfant semblait muet et las comme la mère ; à peine entendait-on parfois le murmure léger d’une romance, que celle-ci fredonnait pendant des heures, d’une voix mourante. Mais Octave n’en était pas moins furieux contre cette pimbêche, ainsi qu’il la nommait. Elle l’espionnait peut-être. En tout cas, jamais Valérie ne pourrait monter, si la porte des Pichon s’ouvrait ainsi continuellement.

Justement, il croyait l’affaire en bon chemin. Un dimanche, pendant une absence du mari, il avait manœuvré de façon à se trouver sur le palier du premier étage, au moment où la jeune femme, en peignoir, sortait de chez sa belle-sœur pour rentrer chez elle ; et elle avait dû lui parler, ils étaient restés quelques minutes à échanger des politesses. Enfin, il espérait, la fois prochaine, pénétrer dans l’appartement. Le reste allait tout seul, avec une femme d’un tempérament pareil.

Ce soir-là, on s’occupa de Valérie, chez les Campardon, pendant le dîner. Octave tâchait de les faire causer. Mais, comme Angèle écoutait, jetant des regards sournois à Lisa, en train de servir un gigot d’un air sérieux, les parents d’abord se répandirent en éloges. L’architecte, d’ailleurs, défendait toujours la « respectabilité » de la maison, avec une conviction de locataire vaniteux, qui semblait en tirer toute une honnêteté personnelle.

— Oh ! mon cher, des gens convenables… Vous les avez vus chez les Josserand. Le mari n’est pas une bête : il est plein d’idées, il finira par trouver quelque chose de très fort. Quant à la femme, elle a du cachet, comme nous disons, nous autres artistes.

Madame Campardon, plus souffrante depuis la veille, couchée à demi, bien que sa maladie ne l’empêchât pas de manger de fortes tranches saignantes, murmurait à son tour, languissamment :

— Ce pauvre monsieur Théophile, il est comme moi, il traîne… Allez, Valérie a du mérite, car ce n’est pas gai, d’avoir sans cesse près de soi un homme tremblant la fièvre, et que le mal rend le plus souvent tracassier et injuste.

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Dès le lendemain, Octave s’occupa de Valérie. Il guetta ses habitudes, sut l’heure où il courait la chance de la rencontrer dans l’escalier ; et il s’arrangeait pour monter souvent à sa chambre, profitant du déjeuner qu’il venait prendre chez les Campardon, s’échappant s’il le fallait du Bonheur des Dames, sous un prétexte. Bientôt, il remarqua que, tous les jours, vers deux heures, la jeune femme, qui conduisait son enfant au jardin des Tuileries, passait par la rue Gaillon. Alors, il se planta sur la porte du magasin, il l’attendit, la salua d’un de ses galants sourires de beau commis. À chacune de leurs rencontres, Valérie répondait poliment de la tête, sans jamais s’arrêter ; mais il voyait son regard noir brûler de passion, il trouvait des encouragements dans son teint ravagé et dans le balancement souple de sa taille.

Son plan était déjà fait, un plan hardi de séducteur habitué à mener cavalièrement la vertu des demoiselles de magasin. Il s’agissait simplement d’attirer Valérie dans sa chambre, au quatrième ; l’escalier restait désert et solennel, personne ne les découvrirait là-haut ; et il s’égayait, à l’idée des recommandations morales de l’architecte, car ce n’était pas amener des femmes, que d’en prendre une dans la maison.

Pourtant, une chose inquiétait Octave. La cuisine des Pichon se trouvait séparée de leur salle à manger par le couloir, ce qui les forçait de laisser souvent leur porte ouverte. Dès neuf heures, le mari partait à son bureau, pour ne rentrer que vers cinq heures ; et, les jours pairs de la semaine, il allait encore tenir des livres, après son dîner, de huit heures à minuit. D’ailleurs, aussitôt qu’elle entendait le pas d’Octave, la jeune femme poussait la porte, très réservée, presque sauvage. Il ne l’apercevait que de dos et comme fuyante, avec ses cheveux pâles, serrés en un mince chignon. Par cet entrebâillement discret, il avait seulement surpris jusque-là des coins d’intérieur, des meubles tristes et propres, des linges d’une blancheur éteinte sous le jour gris d’une fenêtre qu’il ne pouvait voir, l’angle d’un lit d’enfant au fond d’une seconde chambre, toute une solitude monotone de femme tournant du matin au soir dans les mêmes soins d’un ménage d’employé. Jamais un bruit, du reste ; l’enfant semblait muet et las comme la mère ; à peine entendait-on parfois le murmure léger d’une romance, que celle-ci fredonnait pendant des heures, d’une voix mourante. Mais Octave n’en était pas moins furieux contre cette pimbêche, ainsi qu’il la nommait. Elle l’espionnait peut-être. En tout cas, jamais Valérie ne pourrait monter, si la porte des Pichon s’ouvrait ainsi continuellement.

Justement, il croyait l’affaire en bon chemin. Un dimanche, pendant une absence du mari, il avait manœuvré de façon à se trouver sur le palier du premier étage, au moment où la jeune femme, en peignoir, sortait de chez sa belle-sœur pour rentrer chez elle ; et elle avait dû lui parler, ils étaient restés quelques minutes à échanger des politesses. Enfin, il espérait, la fois prochaine, pénétrer dans l’appartement. Le reste allait tout seul, avec une femme d’un tempérament pareil.

Ce soir-là, on s’occupa de Valérie, chez les Campardon, pendant le dîner. Octave tâchait de les faire causer. Mais, comme Angèle écoutait, jetant des regards sournois à Lisa, en train de servir un gigot d’un air sérieux, les parents d’abord se répandirent en éloges. L’architecte, d’ailleurs, défendait toujours la « respectabilité » de la maison, avec une conviction de locataire vaniteux, qui semblait en tirer toute une honnêteté personnelle.

— Oh ! mon cher, des gens convenables… Vous les avez vus chez les Josserand. Le mari n’est pas une bête : il est plein d’idées, il finira par trouver quelque chose de très fort. Quant à la femme, elle a du cachet, comme nous disons, nous autres artistes.

Madame Campardon, plus souffrante depuis la veille, couchée à demi, bien que sa maladie ne l’empêchât pas de manger de fortes tranches saignantes, murmurait à son tour, languissamment :

— Ce pauvre monsieur Théophile, il est comme moi, il traîne… Allez, Valérie a du mérite, car ce n’est pas gai, d’avoir sans cesse près de soi un homme tremblant la fièvre, et que le mal rend le plus souvent tracassier et injuste.

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