L’Interdiction

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book L’Interdiction by HONORE DE BALZAC, GILBERT TEROL
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Author: HONORE DE BALZAC ISBN: 1230002755717
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 29, 2018
Imprint: Language: French
Author: HONORE DE BALZAC
ISBN: 1230002755717
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 29, 2018
Imprint:
Language: French

En 1828, vers une heure du matin, deux personnes sortaient d’un hôtel situé dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, près de l’Élysée-Bourbon : l’une était un médecin célèbre, Horace Bianchon ; l’autre un des hommes les plus élégants de Paris, le baron de Rastignac, tous deux amis depuis long-temps. Chacun d’eux avait renvoyé sa voiture, il ne s’en trouva point dans le faubourg ; mais la nuit était belle et le pavé sec.

— Allons à pied jusqu’au boulevard, dit Eugène de Rastignac à Bianchon, tu prendras une voiture au Cercle ; il y en a là jusqu’au matin. Tu m’accompagneras jusque chez moi.

— Volontiers.

— Eh ! bien, mon cher, qu’en dis-tu ?

— De cette femme ? répondit froidement le docteur.

— Je reconnais mon Bianchon, s’écria Rastignac.

— Hé ! bien, quoi ?

— Mais tu parles, mon cher, de la marquise d’Espard comme d’une malade à placer dans ton hôpital.

— Veux-tu savoir ce que je pense, Eugène ? Si tu quittes madame de Nucingen pour cette marquise, tu changeras ton cheval borgne contre un aveugle.

— Madame de Nucingen a trente-six ans, Bianchon.

— Et celle-ci en a trente-trois, répliqua vivement le docteur.

— Ses plus cruelles ennemies ne lui en donnent que vingt-six.

— Mon cher, quand tu auras intérêt à connaître l’âge d’une femme, regarde ses tempes et le bout de son nez. Quoi que fassent les femmes avec leurs cosmétiques, elles ne peuvent rien sur ces incorruptibles témoins de leurs agitations. Là chacune de leurs années a laissé ses stigmates. Quand les tempes d’une femme sont attendries, rayées, fanées d’une certaine façon ; quand au bout de son nez il se trouve de ces petits points qui ressemblent aux imperceptibles parcelles noires que font pleuvoir à Londres les cheminées où l’on brûle du charbon de terre, votre serviteur ! la femme a passé trente ans. Elle sera belle, elle sera spirituelle, elle sera aimante, elle sera tout ce que tu voudras ; mais elle aura passé trente ans, mais elle arrive à sa maturité. Je ne blâme pas ceux qui s’attachent à ces sortes de femmes ; seulement, un homme aussi distingué que tu l’es ne doit pas prendre une reinette de février pour une petite pomme d’api qui sourit sur sa branche et demande un coup de dent. L’amour ne va jamais consulter les registres de l’État Civil ; personne n’aime une femme parce qu’elle a tel ou tel âge, parce qu’elle est belle ou laide, bête ou spirituelle : on aime parce qu’on aime.

— Eh ! bien, moi, je l’aime par bien d’autres raisons. Elle est marquise d’Espard, elle est née Blamont-Chauvry, elle est à la mode, elle a de l’âme, elle a un pied aussi joli que celui de la duchesse de Berri, elle a peut-être cent mille livres de rente, et je l’épouserai peut-être un jour ! enfin elle payera mes dettes.

— Je te croyais riche, dit Bianchon en interrompant Rastignac.

— Bah ! j’ai quinze mille livres de rente, précisément ce qu’il faut pour mon écurie. J’ai été roué, mon cher, dans l’affaire de monsieur de Nucingen, je te raconterai cette histoire-là. J’ai marié mes sœurs, voilà le plus clair de ce que j’ai gagné depuis que nous nous sommes vus, et j’aime mieux les avoir établies que de posséder cent mille écus de rente. Maintenant que veux-tu que je devienne ? J’ai de l’ambition. Où peut me mener madame de Nucingen ? Encore un an, je serai chiffré, casé, comme l’est un homme marié. J’ai tous les désagréments du mariage et ceux du célibat sans avoir les avantages ni de l’un ni de l’autre, situation fausse, à laquelle arrivent tous ceux qui restent trop long-temps attachés à une même jupe. — Eh ! crois-tu donc trouver ici la pie au nid ? dit Bianchon. Ta marquise, mon cher, ne me revient pas du tout.

— Tes opinions libérales te troublent l’œil. Si madame d’Espard était une madame Rabourdin…

— Écoute, mon cher, noble ou bourgeoise, elle serait toujours sans âme, elle serait toujours le type le plus achevé de l’égoïsme. Crois-moi, les médecins sont habitués à juger les hommes et les choses ; les plus habiles d’entre nous confessent l’âme en confessant le corps. Malgré ce joli boudoir où nous avons passé la soirée, malgré le luxe de cet hôtel, il serait possible que madame la marquise fût endettée.

— Qui te le fait croire ?

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En 1828, vers une heure du matin, deux personnes sortaient d’un hôtel situé dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, près de l’Élysée-Bourbon : l’une était un médecin célèbre, Horace Bianchon ; l’autre un des hommes les plus élégants de Paris, le baron de Rastignac, tous deux amis depuis long-temps. Chacun d’eux avait renvoyé sa voiture, il ne s’en trouva point dans le faubourg ; mais la nuit était belle et le pavé sec.

— Allons à pied jusqu’au boulevard, dit Eugène de Rastignac à Bianchon, tu prendras une voiture au Cercle ; il y en a là jusqu’au matin. Tu m’accompagneras jusque chez moi.

— Volontiers.

— Eh ! bien, mon cher, qu’en dis-tu ?

— De cette femme ? répondit froidement le docteur.

— Je reconnais mon Bianchon, s’écria Rastignac.

— Hé ! bien, quoi ?

— Mais tu parles, mon cher, de la marquise d’Espard comme d’une malade à placer dans ton hôpital.

— Veux-tu savoir ce que je pense, Eugène ? Si tu quittes madame de Nucingen pour cette marquise, tu changeras ton cheval borgne contre un aveugle.

— Madame de Nucingen a trente-six ans, Bianchon.

— Et celle-ci en a trente-trois, répliqua vivement le docteur.

— Ses plus cruelles ennemies ne lui en donnent que vingt-six.

— Mon cher, quand tu auras intérêt à connaître l’âge d’une femme, regarde ses tempes et le bout de son nez. Quoi que fassent les femmes avec leurs cosmétiques, elles ne peuvent rien sur ces incorruptibles témoins de leurs agitations. Là chacune de leurs années a laissé ses stigmates. Quand les tempes d’une femme sont attendries, rayées, fanées d’une certaine façon ; quand au bout de son nez il se trouve de ces petits points qui ressemblent aux imperceptibles parcelles noires que font pleuvoir à Londres les cheminées où l’on brûle du charbon de terre, votre serviteur ! la femme a passé trente ans. Elle sera belle, elle sera spirituelle, elle sera aimante, elle sera tout ce que tu voudras ; mais elle aura passé trente ans, mais elle arrive à sa maturité. Je ne blâme pas ceux qui s’attachent à ces sortes de femmes ; seulement, un homme aussi distingué que tu l’es ne doit pas prendre une reinette de février pour une petite pomme d’api qui sourit sur sa branche et demande un coup de dent. L’amour ne va jamais consulter les registres de l’État Civil ; personne n’aime une femme parce qu’elle a tel ou tel âge, parce qu’elle est belle ou laide, bête ou spirituelle : on aime parce qu’on aime.

— Eh ! bien, moi, je l’aime par bien d’autres raisons. Elle est marquise d’Espard, elle est née Blamont-Chauvry, elle est à la mode, elle a de l’âme, elle a un pied aussi joli que celui de la duchesse de Berri, elle a peut-être cent mille livres de rente, et je l’épouserai peut-être un jour ! enfin elle payera mes dettes.

— Je te croyais riche, dit Bianchon en interrompant Rastignac.

— Bah ! j’ai quinze mille livres de rente, précisément ce qu’il faut pour mon écurie. J’ai été roué, mon cher, dans l’affaire de monsieur de Nucingen, je te raconterai cette histoire-là. J’ai marié mes sœurs, voilà le plus clair de ce que j’ai gagné depuis que nous nous sommes vus, et j’aime mieux les avoir établies que de posséder cent mille écus de rente. Maintenant que veux-tu que je devienne ? J’ai de l’ambition. Où peut me mener madame de Nucingen ? Encore un an, je serai chiffré, casé, comme l’est un homme marié. J’ai tous les désagréments du mariage et ceux du célibat sans avoir les avantages ni de l’un ni de l’autre, situation fausse, à laquelle arrivent tous ceux qui restent trop long-temps attachés à une même jupe. — Eh ! crois-tu donc trouver ici la pie au nid ? dit Bianchon. Ta marquise, mon cher, ne me revient pas du tout.

— Tes opinions libérales te troublent l’œil. Si madame d’Espard était une madame Rabourdin…

— Écoute, mon cher, noble ou bourgeoise, elle serait toujours sans âme, elle serait toujours le type le plus achevé de l’égoïsme. Crois-moi, les médecins sont habitués à juger les hommes et les choses ; les plus habiles d’entre nous confessent l’âme en confessant le corps. Malgré ce joli boudoir où nous avons passé la soirée, malgré le luxe de cet hôtel, il serait possible que madame la marquise fût endettée.

— Qui te le fait croire ?

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