Les Catacombes T III

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Les Catacombes T III by Jules Janin, GILBERT TEROL
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Author: Jules Janin ISBN: 1230003189221
Publisher: GILBERT TEROL Publication: April 17, 2019
Imprint: Language: French
Author: Jules Janin
ISBN: 1230003189221
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: April 17, 2019
Imprint:
Language: French

Par un beau jour d’été parisien, quand la ville a pris ses habits de fête, quand chaque maison a lavé le seuil de sa porte, quand l’eau de la borne voisine a coulé à longs flots dans le ruisseau, quand le pavé de la rue éclate et brille comme le carreau de vitre d’une ménagère hollandaise, il y a là en effet un instant de propreté luisante et de calme bien-être qui vous fait penser malgré-vous à la minutieuse et patiente toilette que fait chaque matin tout bon village flamand de la vieille origine. Quand Paris s’est mis ainsi, calme et joyeux, dans ses atours du dimanche, quand il n’y a ni boue ni bruits dans ses rues, alors en effet vous trouver que c’est la plus belle ville du monde. Le Parisien, tout fier de sa ville prend sa femme et sa fille à son bras, et ils s’en vont les uns et les autres, sans même relever leur robe d’indienne, dans les villages environnants, ou tout au moins au jardin des Tuileries si l’honnête famille est voisine du Luxembourg, au jardin du Luxembourg si elle est voisine des Tuileries. Et là, voyant les marronniers en fleurs, les plates-bandes en boutons, le gazon dans son bel habit vert des jours de fête, tous ces enfants qui dansent, toutes ces jeunes filles qui rient doucement, le Parisien se dit à lui-même avec orgueil : — Vive la charte, la garde nationale et le préfet de police ! Ma bonne ville de Paris est en effet la ville la mieux peignée, la mieux lavée, la mieux vêtue et la plus chaste de l’univers !

Hélas s’il savait, l’honnête Parisien, combien ce sont là des apparences trompeuses, combien il y a de fange au-dessous de ses pieds, de vices au-dessus de sa tête, combien de gaz délétères et de vices encore plus délétères entourent ses poumons et son cœur ; s’il savait toute la boue que cache ce pavé luisant, toutes les corruptions que recèlent ces maisons si nettes au dehors ; s’il savait tous les fumiers infects qui, manquant à leur loi de fumier, étouffent les germes naissants dans les campagnes ; s’il savait tout ce qu’il y avait de sang gâté dans le bœuf dont il a déjeuné, d’ordures dans le fruit qu’il a mangé, tout ce qu’il y a de sueur dans le pain qu’il mange, de venin dans la servante qui le sert ; s’il savait que la mort et la corruption s’échappent de toutes parts, à chaque instant de la nuit et du jour, de l’amphithéâtre où le chirurgien dissèque les cadavres, de l’hôpital où il les interroge, du cimetière où il les enterre s’il savait que, pour Paris, tout cheval qui tombe, tout rat qui court, toute rivière qui coule apporte son infection et sa peste ; s’il savait tout ce que recèlent de putride et d’infect les fosses ouvertes la nuit par ces tristes et pâles victimes qu’on prendrait de loin pour des fossoyeurs ; s’il savait que tout l’attend au passage pour abréger sa vie : le bitume qui fond, le chanvre qui rouit, te tabac qui fume, le bois qui flotte, le tapis qu’on bat au grand air ; s’il savait qu’en effet Paris est bâti sur un vaste cloaque, et que la plus chaste maison ne sert qu’à masquer un égout, et que la prostitution parisienne, aussi bien que la boue et les gaz délétères, le presse, le pousse et le menace de toutes parts, comme le pauvre homme s’estimerait malheureux ! Il me semble que je le vois d’ici qui pâlit d’effroi, et que je l’entends qui dit à sa femme et à sa fille, au milieu de leur promenade commencée : Rentrons !

Qui le croirait ? Il s’est pourtant rencontré à la fin un homme d’un grand talent, d’un rare esprit, d’une vertu éprouvée, chrétien, catholique, apostolique et romain de père en fils dans !’âme et dans le cœur, un homme qui était né et qui avait passé sa vie au milieu des mœurs les plus élégantes comme les plus correctes, un savant élevé par sa mère, son maître de latin, qui cependant, poussé par cette force irrésistible qu’on appelle devoir, a consenti à descendre, lui si délicatement élevé par sa noble famille, dans ces immondes cloaques, dans ces égouts pestilentiels, et, ce qui était plus terrible pour lui, à descendre dans les plus horribles repaires de la prostitution parisienne ! Cet homme descendait en droite ligne de la riante et studieuse retraite de Port-Royal-des-Champs ; il s’était habitué de bonne heure à contempler avec admiration les chastes et sévères clartés du grand siècle ; il était ce qu’on appelle dans le meilleur monde un homme du monde, esprit distingué, cœur excellent : eh bien voilà son dévouement chrétien à l’humanité qui le force à passer la plus belle part de sa vie dans la boue corrompue, dans le sang vicié, dans le fumier qui n’est même plus du fumier, dans la prostitution à l’état chronique, dans toutes les fanges, dans toutes les misères sociales, ce je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, comme dit Tertullien ! En un mot cet homme qui avait appris à lire dans les Pensées de Pascal, ce grand médecin qui était l’ami de Haller, il est mort l’autre jour, jeune encore, asphyxié sans doute par ses terribles études. Et devinez les livres qu’il a laissés : — Histoire des Égouts et des Cloques, — Histoire de la Prostitution, lui, un saint, Parent-Du-châtelet !

« J’ai pénétré, dit-il, dans les lieux les plus abjects, j’ai connu ce qu’il y a de plus immoral, j’ai conversé avec ce qu’il y a de plus méprisable, j’ai analysé des actions infâmes ; ce que les hommes de mauvaise vie ne voient eux-mêmes qu en secret, ce qu’ils cachent, je l’ai vu et je viens vous le raconter au grand jour ; je l’ai vu et je ne suis pas souillé. »

Suivons-le donc, nous autres, si nous avons du cœur, cet homme de tant de courage, de sang-froid et de vertu, dans les cloaques, dans quelques-uns des égouts où il a dû descendre. Cet air vicié a été purifié par lui. Suivons-le, le front haut et triste ; et, pourvu que nous marchions avec lui, sur ses pas, dans ce chemin difficile qu’il s’est tracé au milieu des vices, des fanges et des immondices de tout genre, nous pourrons dire aussi comme lui, quand notre tâche sera accomplie : Nous ne sommes pas souillés.

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Par un beau jour d’été parisien, quand la ville a pris ses habits de fête, quand chaque maison a lavé le seuil de sa porte, quand l’eau de la borne voisine a coulé à longs flots dans le ruisseau, quand le pavé de la rue éclate et brille comme le carreau de vitre d’une ménagère hollandaise, il y a là en effet un instant de propreté luisante et de calme bien-être qui vous fait penser malgré-vous à la minutieuse et patiente toilette que fait chaque matin tout bon village flamand de la vieille origine. Quand Paris s’est mis ainsi, calme et joyeux, dans ses atours du dimanche, quand il n’y a ni boue ni bruits dans ses rues, alors en effet vous trouver que c’est la plus belle ville du monde. Le Parisien, tout fier de sa ville prend sa femme et sa fille à son bras, et ils s’en vont les uns et les autres, sans même relever leur robe d’indienne, dans les villages environnants, ou tout au moins au jardin des Tuileries si l’honnête famille est voisine du Luxembourg, au jardin du Luxembourg si elle est voisine des Tuileries. Et là, voyant les marronniers en fleurs, les plates-bandes en boutons, le gazon dans son bel habit vert des jours de fête, tous ces enfants qui dansent, toutes ces jeunes filles qui rient doucement, le Parisien se dit à lui-même avec orgueil : — Vive la charte, la garde nationale et le préfet de police ! Ma bonne ville de Paris est en effet la ville la mieux peignée, la mieux lavée, la mieux vêtue et la plus chaste de l’univers !

Hélas s’il savait, l’honnête Parisien, combien ce sont là des apparences trompeuses, combien il y a de fange au-dessous de ses pieds, de vices au-dessus de sa tête, combien de gaz délétères et de vices encore plus délétères entourent ses poumons et son cœur ; s’il savait toute la boue que cache ce pavé luisant, toutes les corruptions que recèlent ces maisons si nettes au dehors ; s’il savait tous les fumiers infects qui, manquant à leur loi de fumier, étouffent les germes naissants dans les campagnes ; s’il savait tout ce qu’il y avait de sang gâté dans le bœuf dont il a déjeuné, d’ordures dans le fruit qu’il a mangé, tout ce qu’il y a de sueur dans le pain qu’il mange, de venin dans la servante qui le sert ; s’il savait que la mort et la corruption s’échappent de toutes parts, à chaque instant de la nuit et du jour, de l’amphithéâtre où le chirurgien dissèque les cadavres, de l’hôpital où il les interroge, du cimetière où il les enterre s’il savait que, pour Paris, tout cheval qui tombe, tout rat qui court, toute rivière qui coule apporte son infection et sa peste ; s’il savait tout ce que recèlent de putride et d’infect les fosses ouvertes la nuit par ces tristes et pâles victimes qu’on prendrait de loin pour des fossoyeurs ; s’il savait que tout l’attend au passage pour abréger sa vie : le bitume qui fond, le chanvre qui rouit, te tabac qui fume, le bois qui flotte, le tapis qu’on bat au grand air ; s’il savait qu’en effet Paris est bâti sur un vaste cloaque, et que la plus chaste maison ne sert qu’à masquer un égout, et que la prostitution parisienne, aussi bien que la boue et les gaz délétères, le presse, le pousse et le menace de toutes parts, comme le pauvre homme s’estimerait malheureux ! Il me semble que je le vois d’ici qui pâlit d’effroi, et que je l’entends qui dit à sa femme et à sa fille, au milieu de leur promenade commencée : Rentrons !

Qui le croirait ? Il s’est pourtant rencontré à la fin un homme d’un grand talent, d’un rare esprit, d’une vertu éprouvée, chrétien, catholique, apostolique et romain de père en fils dans !’âme et dans le cœur, un homme qui était né et qui avait passé sa vie au milieu des mœurs les plus élégantes comme les plus correctes, un savant élevé par sa mère, son maître de latin, qui cependant, poussé par cette force irrésistible qu’on appelle devoir, a consenti à descendre, lui si délicatement élevé par sa noble famille, dans ces immondes cloaques, dans ces égouts pestilentiels, et, ce qui était plus terrible pour lui, à descendre dans les plus horribles repaires de la prostitution parisienne ! Cet homme descendait en droite ligne de la riante et studieuse retraite de Port-Royal-des-Champs ; il s’était habitué de bonne heure à contempler avec admiration les chastes et sévères clartés du grand siècle ; il était ce qu’on appelle dans le meilleur monde un homme du monde, esprit distingué, cœur excellent : eh bien voilà son dévouement chrétien à l’humanité qui le force à passer la plus belle part de sa vie dans la boue corrompue, dans le sang vicié, dans le fumier qui n’est même plus du fumier, dans la prostitution à l’état chronique, dans toutes les fanges, dans toutes les misères sociales, ce je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, comme dit Tertullien ! En un mot cet homme qui avait appris à lire dans les Pensées de Pascal, ce grand médecin qui était l’ami de Haller, il est mort l’autre jour, jeune encore, asphyxié sans doute par ses terribles études. Et devinez les livres qu’il a laissés : — Histoire des Égouts et des Cloques, — Histoire de la Prostitution, lui, un saint, Parent-Du-châtelet !

« J’ai pénétré, dit-il, dans les lieux les plus abjects, j’ai connu ce qu’il y a de plus immoral, j’ai conversé avec ce qu’il y a de plus méprisable, j’ai analysé des actions infâmes ; ce que les hommes de mauvaise vie ne voient eux-mêmes qu en secret, ce qu’ils cachent, je l’ai vu et je viens vous le raconter au grand jour ; je l’ai vu et je ne suis pas souillé. »

Suivons-le donc, nous autres, si nous avons du cœur, cet homme de tant de courage, de sang-froid et de vertu, dans les cloaques, dans quelques-uns des égouts où il a dû descendre. Cet air vicié a été purifié par lui. Suivons-le, le front haut et triste ; et, pourvu que nous marchions avec lui, sur ses pas, dans ce chemin difficile qu’il s’est tracé au milieu des vices, des fanges et des immondices de tout genre, nous pourrons dire aussi comme lui, quand notre tâche sera accomplie : Nous ne sommes pas souillés.

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