LA COMTESSE DE RUDOLSTADT

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book LA COMTESSE DE RUDOLSTADT by GEORGE SAND, GILBERT TEROL
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Author: GEORGE SAND ISBN: 1230000211888
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 22, 2014
Imprint: Language: French
Author: GEORGE SAND
ISBN: 1230000211888
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 22, 2014
Imprint:
Language: French

La salle de l’Opéra italien de Berlin, bâtie durant les premières années du règne de Frédéric le Grand, était alors une des plus belles de l’Europe. L’entrée en était gratuite, le spectacle étant payé par le roi. Il fallait néanmoins des billets pour y être admis, car toutes les loges avaient leur destination fixe : ici les princes et princesses de la famille royale ; là le corps diplomatique, puis les voyageurs illustres, puis l’Académie, ailleurs les généraux ; enfin partout la famille du roi, la maison du roi, les salariés du roi, les protégés du roi ; et sans qu’on eût lieu de s’en plaindre, puisque c’étaient le théâtre du roi et les comédiens du roi. Restait, pour les bons habitants de la bonne ville de Berlin, une petite partie du parterre ; car la majeure partie était occupée par les militaires, chaque régiment ayant le droit d’y envoyer un certain nombre d’hommes par compagnie. Au lieu du peuple joyeux, impressionnable et intelligent de Paris, les artistes avaient donc sous les yeux un parterre de héros de six pieds, comme les appelait Voltaire, coiffés de hauts bonnets, et la plupart surmontés de leurs femmes qu’ils prenaient sur leurs épaules, le tout formant une société assez brutale, sentant fort le tabac et l’eau-de-vie, ne comprenant rien de rien, ouvrant de grands yeux, ne se permettant d’applaudir ni de siffler, par respect pour la consigne, et faisant néanmoins beaucoup de bruit par son mouvement perpétuel.

Il y avait infailliblement derrière ces messieurs deux rangs de loges d’où les spectateurs ne voyaient et n’entendaient rien ; mais, par convenance, ils étaient forcés d’assister régulièrement au spectacle que Sa Majesté avait la munificence de leur payer. Sa Majesté elle-même ne manquait aucune représentation. C’était une manière de tenir militairement sous ses yeux les nombreux membres de sa famille et l’inquiète fourmilière de ses courtisans. Son père, le Gros-Guillaume, lui avait donné cet exemple, dans une salle de planches mal jointes, où, en présence de mauvais histrions allemands, la famille royale et la cour se morfondaient douloureusement tous les soirs d’hiver, et recevaient la pluie sans sourciller, tandis que le roi dormait. Frédéric avait souffert de cette tyrannie domestique, il l’avait maudite, il l’avait subie, et il l’avait bientôt remise en vigueur dès qu’il avait été maître à son tour, ainsi que beaucoup d’autres coutumes beaucoup plus despotiques et cruelles, dont il avait reconnu l’excellence depuis qu’il était le seul de son royaume à n’en plus souffrir.

Cependant on n’osait se plaindre. Le local était superbe, l’Opéra monté avec luxe, les artistes remarquables ; et le roi, presque toujours debout à l’orchestre près de la rampe, la lorgnette braquée sur le théâtre, donnait l’exemple d’un dilettantisme infatigable.

On sait tous les éloges que Voltaire, dans les premiers temps de son installation à Berlin, donnait aux splendeurs de la cour du Salomon du Nord. Dédaigné par Louis XV, négligé par sa protectrice madame de Pompadour, persécuté par la plèbe des jésuites, sifflé au Théâtre-Français, il était venu chercher, dans un jour de dépit, des honneurs, des appointements, un titre de chambellan, un grand cordon et l’intimité d’un roi philosophe, plus flatteuse à ses yeux que le reste. Comme un grand enfant, le grand Voltaire boudait la France, et croyait faire crever de dépit ses ingrats compatriotes. Il était donc un peu enivré de sa nouvelle gloire lorsqu’il écrivait à ses amis que Berlin valait bien Versailles, que l’opéra de Phaéton était le plus beau spectacle qu’on pût voir, et que la prima donna avait la plus belle voix de l’Europe.

Cependant, à l’époque où nous reprenons notre récit (et, pour ne pas faire travailler l’esprit de nos lectrices, nous les avertirons qu’un an s’est presque écoulé depuis les dernières aventures de Consuelo), l’hiver se faisant sentir dans toute sa rigueur à Berlin, et le grand roi s’étant un peu montré sous son véritable jour, Voltaire commençait à se désillusionner singulièrement de la Prusse. Il était là dans sa loge entre d’Argens et La Mettrie, ne faisant plus semblant d’aimer la musique, qu’il n’avait jamais sentie plus que la véritable poésie. Il avait des douleurs d’entrailles, et il se rappelait mélancoliquement cet ingrat public des brûlantes banquettes de Paris, dont la résistance lui avait été si amère, dont les applaudissements lui avaient été si doux, dont le contact, en un mot, l’avait si terriblement ému qu’il avait juré de ne plus s’y e

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La salle de l’Opéra italien de Berlin, bâtie durant les premières années du règne de Frédéric le Grand, était alors une des plus belles de l’Europe. L’entrée en était gratuite, le spectacle étant payé par le roi. Il fallait néanmoins des billets pour y être admis, car toutes les loges avaient leur destination fixe : ici les princes et princesses de la famille royale ; là le corps diplomatique, puis les voyageurs illustres, puis l’Académie, ailleurs les généraux ; enfin partout la famille du roi, la maison du roi, les salariés du roi, les protégés du roi ; et sans qu’on eût lieu de s’en plaindre, puisque c’étaient le théâtre du roi et les comédiens du roi. Restait, pour les bons habitants de la bonne ville de Berlin, une petite partie du parterre ; car la majeure partie était occupée par les militaires, chaque régiment ayant le droit d’y envoyer un certain nombre d’hommes par compagnie. Au lieu du peuple joyeux, impressionnable et intelligent de Paris, les artistes avaient donc sous les yeux un parterre de héros de six pieds, comme les appelait Voltaire, coiffés de hauts bonnets, et la plupart surmontés de leurs femmes qu’ils prenaient sur leurs épaules, le tout formant une société assez brutale, sentant fort le tabac et l’eau-de-vie, ne comprenant rien de rien, ouvrant de grands yeux, ne se permettant d’applaudir ni de siffler, par respect pour la consigne, et faisant néanmoins beaucoup de bruit par son mouvement perpétuel.

Il y avait infailliblement derrière ces messieurs deux rangs de loges d’où les spectateurs ne voyaient et n’entendaient rien ; mais, par convenance, ils étaient forcés d’assister régulièrement au spectacle que Sa Majesté avait la munificence de leur payer. Sa Majesté elle-même ne manquait aucune représentation. C’était une manière de tenir militairement sous ses yeux les nombreux membres de sa famille et l’inquiète fourmilière de ses courtisans. Son père, le Gros-Guillaume, lui avait donné cet exemple, dans une salle de planches mal jointes, où, en présence de mauvais histrions allemands, la famille royale et la cour se morfondaient douloureusement tous les soirs d’hiver, et recevaient la pluie sans sourciller, tandis que le roi dormait. Frédéric avait souffert de cette tyrannie domestique, il l’avait maudite, il l’avait subie, et il l’avait bientôt remise en vigueur dès qu’il avait été maître à son tour, ainsi que beaucoup d’autres coutumes beaucoup plus despotiques et cruelles, dont il avait reconnu l’excellence depuis qu’il était le seul de son royaume à n’en plus souffrir.

Cependant on n’osait se plaindre. Le local était superbe, l’Opéra monté avec luxe, les artistes remarquables ; et le roi, presque toujours debout à l’orchestre près de la rampe, la lorgnette braquée sur le théâtre, donnait l’exemple d’un dilettantisme infatigable.

On sait tous les éloges que Voltaire, dans les premiers temps de son installation à Berlin, donnait aux splendeurs de la cour du Salomon du Nord. Dédaigné par Louis XV, négligé par sa protectrice madame de Pompadour, persécuté par la plèbe des jésuites, sifflé au Théâtre-Français, il était venu chercher, dans un jour de dépit, des honneurs, des appointements, un titre de chambellan, un grand cordon et l’intimité d’un roi philosophe, plus flatteuse à ses yeux que le reste. Comme un grand enfant, le grand Voltaire boudait la France, et croyait faire crever de dépit ses ingrats compatriotes. Il était donc un peu enivré de sa nouvelle gloire lorsqu’il écrivait à ses amis que Berlin valait bien Versailles, que l’opéra de Phaéton était le plus beau spectacle qu’on pût voir, et que la prima donna avait la plus belle voix de l’Europe.

Cependant, à l’époque où nous reprenons notre récit (et, pour ne pas faire travailler l’esprit de nos lectrices, nous les avertirons qu’un an s’est presque écoulé depuis les dernières aventures de Consuelo), l’hiver se faisant sentir dans toute sa rigueur à Berlin, et le grand roi s’étant un peu montré sous son véritable jour, Voltaire commençait à se désillusionner singulièrement de la Prusse. Il était là dans sa loge entre d’Argens et La Mettrie, ne faisant plus semblant d’aimer la musique, qu’il n’avait jamais sentie plus que la véritable poésie. Il avait des douleurs d’entrailles, et il se rappelait mélancoliquement cet ingrat public des brûlantes banquettes de Paris, dont la résistance lui avait été si amère, dont les applaudissements lui avaient été si doux, dont le contact, en un mot, l’avait si terriblement ému qu’il avait juré de ne plus s’y e

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