Le Guide du bon sens

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Le Guide du bon sens by FRANC NOHAIN, GILBERT TEROL
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Author: FRANC NOHAIN ISBN: 1230002744100
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 26, 2018
Imprint: Language: French
Author: FRANC NOHAIN
ISBN: 1230002744100
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 26, 2018
Imprint:
Language: French

Le bon sens n’a pas une bonne réputation : mettez tous les orgueilleux et les sots contre lui, cela fait déjà beaucoup de monde.

Je ne verrais aucun inconvénient à ce qu’un Guide du Bon Sens débutât par un calembour, et il est exact que le « bon sens » peut s’entendre aussi de la direction, comme on dit « sens interdit » ou « sens unique ».

Cependant les calembours ne sont pas des règles de vie, pas plus d’ailleurs que l’on ne doit compter se diriger dans la vie uniquement avec du bon sens : le bon sens remplit l’office de frein et non de moteur. Il n’est pas là pour nous faire accomplir de grandes choses, mais pour nous empêcher de faire des bêtises. Or on constatera qu’une bêtise que l’on a évitée, cela vaut souvent mieux que n’importe quel exploit hardiment réalisé, et qu’il arrive aussi bien qu’elle tienne lieu de cet exploit même.

Sous prétexte que « qui ne risque rien n’a rien », on dénonce le rôle stérile du bon sens, que l’on représente comme l’ennemi du risque : c’est comme si l’on prétendait que l’ennemi du danseur de corde, c’est son balancier.

S’il faut un balancier à l’acrobate, il n’est entreprise si audacieuse qui ne soit à base de bon sens, qui ne repose sur une observation de bon sens, et, pour s’élancer vers le ciel, il faut avoir touché la terre.

D’aucuns voient et mettent le ciel tout entier dans les bulles de savon ; elles sont toute la fantaisie, toute la poésie, mais elles sont d’abord du savon, et sans ce savon, pas de bulles : et comme à l’origine des bulles de savon, il y a le savon, — corps gras, manufacturé, et aux destinations les moins poétiques, — à l’origine de toute fantaisie, de toute poésie, il y a le bon sens, si terre à terre, peu léger et grossier qu’il vous apparaisse…

Le bon sens est inné, c’est-à-dire que, dans toute personne saine, il est comme un sixième sens qui s’ajoute aux cinq autres : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher, — et le bon sens. Nombre de fautes contre le bon sens, en peinture, par exemple, en musique, ne se ramènent-elles pas justement à de véritables dépravations de l’ouïe, ou de la vue ? Et bon sens et bon goût ne s’associent-ils pas pour protester contre certaines chimies culinaires que l’on se flatte de nous imposer comme le fin du fin ?

Le bon sens, ce sont les cinq sous du Juif-Errant : on n’en a pas plus ou moins à sa disposition, plus ou moins à dépenser suivant les circonstances ; c’est affaire à l’intelligence de se montrer plus ou moins fine, alerte, avertie, et qui est toujours susceptible d’augmenter à mesure ; pas de nuances, pas de différences de qualité, pas de progression ou d’accroissement du bon sens, et parler d’un « gros » bon sens est une expression vide de sens, ou un pléonasme : le bon sens est le bon sens, qui est ce qu’il est, et jamais plus ou moins gros.

Tout le monde a du bon sens, toute personne normale et bien constituée, et le manque de bon sens ne serait pas une infériorité intellectuelle, mais une sorte d’infirmité physique ; il n’y a donc pas plus à se vanter d’avoir du bon sens, que d’avoir bon pied, bon œil ou bon estomac.

Cependant il n’est pas défendu de s’en réjouir et, en tout cas, si tu digères mal, si tu deviens myope ou presbyte, ou qu’un accès de goutte t’interdise de courir ou même de marcher, tu ne songeras pas à accueillir cet état fâcheux et nouveau avec cette sorte de coquetterie que l’on voit certains mettre à la perte momentanée mais volontaire de tout leur bon sens.

Car c’est un fait que l’on voit des gens qui, ayant du bon sens comme tout le monde, affectent de ne s’en point servir pour ne pas ressembler à tout le monde, parce que ressembler à tout le monde, penser, sentir, comme tout le monde, est, dirait-on, ce qu’ils craignent le plus au monde.

Le bon sens, c’est l’instinct des hommes ; or, avez-vous jamais vu des animaux renoncer par système à obéir à leur instinct ? Les bêtes ne sont pas si bêtes.

Il est vrai que les hannetons et les chauves-souris, par exemple, ont une façon de voler qui nous semble déraisonnable ; mais elle ne le semble ainsi qu’à nous autres dont ce n’est pas la fonction de voler.

Et si nous reprochons à cette poule de couver des œufs de cane, il est vrai que couver des œufs de cane, quand on est une poule, est un acte peu sensé, et qui, même, devrait apparaître en contradiction avec son instinct de poule ; mais cette poule ne sait pas qu’elle couve des œufs de cane, et surtout elle ne le fait pas exprès.

Qui va à l’encontre du bon sens le fait toujours exprès, ou par orgueil, ou par sottise : par sottise, il en a peur, par orgueil il en a honte. À l’origine du malheur des hommes, il y a, de toute évidence, une faute contre le bon sens : qu’est-ce autre chose, en effet, qu’un péché contre le bon sens, le péché originel ? Risquer le paradis, encourir la colère divine, tout ça pour une pomme, même si cette pomme était le fruit de la science : la science de quoi, je vous demande un peut !… N’était-ce pas déraisonnable ?

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Le bon sens n’a pas une bonne réputation : mettez tous les orgueilleux et les sots contre lui, cela fait déjà beaucoup de monde.

Je ne verrais aucun inconvénient à ce qu’un Guide du Bon Sens débutât par un calembour, et il est exact que le « bon sens » peut s’entendre aussi de la direction, comme on dit « sens interdit » ou « sens unique ».

Cependant les calembours ne sont pas des règles de vie, pas plus d’ailleurs que l’on ne doit compter se diriger dans la vie uniquement avec du bon sens : le bon sens remplit l’office de frein et non de moteur. Il n’est pas là pour nous faire accomplir de grandes choses, mais pour nous empêcher de faire des bêtises. Or on constatera qu’une bêtise que l’on a évitée, cela vaut souvent mieux que n’importe quel exploit hardiment réalisé, et qu’il arrive aussi bien qu’elle tienne lieu de cet exploit même.

Sous prétexte que « qui ne risque rien n’a rien », on dénonce le rôle stérile du bon sens, que l’on représente comme l’ennemi du risque : c’est comme si l’on prétendait que l’ennemi du danseur de corde, c’est son balancier.

S’il faut un balancier à l’acrobate, il n’est entreprise si audacieuse qui ne soit à base de bon sens, qui ne repose sur une observation de bon sens, et, pour s’élancer vers le ciel, il faut avoir touché la terre.

D’aucuns voient et mettent le ciel tout entier dans les bulles de savon ; elles sont toute la fantaisie, toute la poésie, mais elles sont d’abord du savon, et sans ce savon, pas de bulles : et comme à l’origine des bulles de savon, il y a le savon, — corps gras, manufacturé, et aux destinations les moins poétiques, — à l’origine de toute fantaisie, de toute poésie, il y a le bon sens, si terre à terre, peu léger et grossier qu’il vous apparaisse…

Le bon sens est inné, c’est-à-dire que, dans toute personne saine, il est comme un sixième sens qui s’ajoute aux cinq autres : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher, — et le bon sens. Nombre de fautes contre le bon sens, en peinture, par exemple, en musique, ne se ramènent-elles pas justement à de véritables dépravations de l’ouïe, ou de la vue ? Et bon sens et bon goût ne s’associent-ils pas pour protester contre certaines chimies culinaires que l’on se flatte de nous imposer comme le fin du fin ?

Le bon sens, ce sont les cinq sous du Juif-Errant : on n’en a pas plus ou moins à sa disposition, plus ou moins à dépenser suivant les circonstances ; c’est affaire à l’intelligence de se montrer plus ou moins fine, alerte, avertie, et qui est toujours susceptible d’augmenter à mesure ; pas de nuances, pas de différences de qualité, pas de progression ou d’accroissement du bon sens, et parler d’un « gros » bon sens est une expression vide de sens, ou un pléonasme : le bon sens est le bon sens, qui est ce qu’il est, et jamais plus ou moins gros.

Tout le monde a du bon sens, toute personne normale et bien constituée, et le manque de bon sens ne serait pas une infériorité intellectuelle, mais une sorte d’infirmité physique ; il n’y a donc pas plus à se vanter d’avoir du bon sens, que d’avoir bon pied, bon œil ou bon estomac.

Cependant il n’est pas défendu de s’en réjouir et, en tout cas, si tu digères mal, si tu deviens myope ou presbyte, ou qu’un accès de goutte t’interdise de courir ou même de marcher, tu ne songeras pas à accueillir cet état fâcheux et nouveau avec cette sorte de coquetterie que l’on voit certains mettre à la perte momentanée mais volontaire de tout leur bon sens.

Car c’est un fait que l’on voit des gens qui, ayant du bon sens comme tout le monde, affectent de ne s’en point servir pour ne pas ressembler à tout le monde, parce que ressembler à tout le monde, penser, sentir, comme tout le monde, est, dirait-on, ce qu’ils craignent le plus au monde.

Le bon sens, c’est l’instinct des hommes ; or, avez-vous jamais vu des animaux renoncer par système à obéir à leur instinct ? Les bêtes ne sont pas si bêtes.

Il est vrai que les hannetons et les chauves-souris, par exemple, ont une façon de voler qui nous semble déraisonnable ; mais elle ne le semble ainsi qu’à nous autres dont ce n’est pas la fonction de voler.

Et si nous reprochons à cette poule de couver des œufs de cane, il est vrai que couver des œufs de cane, quand on est une poule, est un acte peu sensé, et qui, même, devrait apparaître en contradiction avec son instinct de poule ; mais cette poule ne sait pas qu’elle couve des œufs de cane, et surtout elle ne le fait pas exprès.

Qui va à l’encontre du bon sens le fait toujours exprès, ou par orgueil, ou par sottise : par sottise, il en a peur, par orgueil il en a honte. À l’origine du malheur des hommes, il y a, de toute évidence, une faute contre le bon sens : qu’est-ce autre chose, en effet, qu’un péché contre le bon sens, le péché originel ? Risquer le paradis, encourir la colère divine, tout ça pour une pomme, même si cette pomme était le fruit de la science : la science de quoi, je vous demande un peut !… N’était-ce pas déraisonnable ?

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