Histoire socialiste de la France contemporaine Tome VI

Nonfiction, History, France
Cover of the book Histoire socialiste de la France contemporaine Tome VI by JEAN JAURÈS, GILBERT TEROL
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Author: JEAN JAURÈS ISBN: 1230002767369
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 31, 2018
Imprint: Language: French
Author: JEAN JAURÈS
ISBN: 1230002767369
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 31, 2018
Imprint:
Language: French

Pour comprendre l’histoire du nouveau gouvernement, la façon dont il a pu s’implanter et fixer des éléments multiples, épaves de tant de troubles et de tant de coups d’État, il est indispensable de rechercher quelle était, au moment où Bonaparte a renversé le Directoire, la situation respective des deux grandes classes de la nation : la classe possédante et la classe salariée. Dans cet exposé, nous pouvons laisser de côté la noblesse. Nous ne pensons pas qu’il faille, au lendemain du 18 brumaire, donner à celle-ci une place importante parmi les facteurs essentiels des événements à venir. De toute façon, le parti noble est le vaincu. Il pourra envisager l’acte de Bonaparte comme rendant possible une victoire future, mais non comme une victoire immédiate. « Plusieurs partis ont entrevu dans le lointain des espérances… », écrivait après l’événement Mallet du Pan[1]. Et il savait bien que « ces partis » signifiaient « son parti ». C’est ainsi que la noblesse et les monarchistes pourront espérer voir le général jouer un jour le rôle historique de Monck, mais ils ne disposent plus d’assez de force et d’assez de crédit pour, par eux-mêmes, aider ouvertement à l’effort qu’ils attendent. Nous laisserons donc pour l’instant la noblesse et envisagerons seulement la situation et l’état d’esprit de la masse immense de la nation partagée entre les « nantis » et le prolétariat. De ceux-là, en effet, dépend toujours l’avenir du pays. Dans quelles conditions sont-ils après le coup d’État et comment sont-ils préparés à l’envisager ?

A. — En haut de l’échelle sociale, écrasant tout le monde par leur luxe, donnant le ton à la « société » qui s’épuise à les vouloir imiter sans en posséder les moyens, des financiers, des agioteurs, sont dans la bourgeoisie les maîtres nouveaux. Dans un temps où l’argent était rare, c’est à ceux qui le possédaient qu’allait la toute-puissance. Les véritables maîtres, ce sont tous ces gens dont l’État a besoin pour entretenir les armées, pour aider à la répartition aussi égale que possible des grains sur le territoire, en un mot tous les détenteurs de la fortune publique accaparée par tous les moyens possibles. La puissance de tous ceux-là est absolue. Ils commandent dans les ministères, ils achètent les députés, comme le montre le procès qui se déroule peu après le coup d’État entre le tribun Courtois et les banquiers Fulchiron et consorts ; par leur argent, ils dominent et personne ne pourrait songer à leur ôter leur pouvoir. Il faut de l’argent pour subvenir aux services publics, il faut de l’argent pour acheter des canons, des fusils, des vivres. Or l’État ne disposant pas de fonds s’adresse aux financiers pour qu’ils assurent les dépenses. Il leur donne des « délégations » qui leur permettent de percevoir directement les contributions. Ils prennent eux-mêmes l’argent à la Monnaie pour recouvrer leurs créances [2]. Les Ouvrard, les Seguin : voilà les hommes indispensables dans l’État. Nous avons vu aux Archives nationales (F11 292) un rapport secret non daté, mais qui est évidemment des derniers jours du Directoire, montrant quel rôle capital peut être celui d’un de ces grands financiers. L’auteur du rapport expose la gêne qui existe dans la circulation et la répartition des blés sur le territoire de la République. Il y a trois récoltes entassées au nord et il n’y a rien dans le midi. Pour parer aux dangers de cette situation, le Directoire a permis l’exportation dans la République batave et en Helvétie, à condition du versement des 4/5 des mêmes quantités dans les départements du midi. Ce procédé est trop compliqué et trop difficile. D’un autre côté, on ne peut songer à une loi sur l’exportation, « le seul nom d’exportation de grains présenté à la tribune du Corps législatif ferait crier à la disette ». Les ministres des Finances et de l’Intérieur avaient proposé un moyen propre à « régulariser le mouvement et la valeur des grains, afin de maintenir l’abondance dans l’intérieur, de faire le bien des propriétaires et des consommateurs, et d’accélérer la rentrée des contributions ». Mais ce moyen remettait le soin des résultats à obtenir à cinq maisons de commerce, et le Directoire a vu là de grands inconvénients, surtout dans la difficulté qu’il y aurait à « tenir cachés les ressorts employés par le gouvernement ».

Les deux ministres ont alors remanié leur projet. « Une seule personne, connue dans toute l’Europe par son habileté, ses lumières et son activité pour le commerce des grains, dont la moralité et les moyens immenses sont parfaitement connus, sera chargée de toutes les opérations de ce genre que le gouvernement lui ordonnera de faire. Rien ne se fera qu’à mesure que les circonstances et les besoins l’exigeront ; point d’administration, point de bureaux montés, point de magasins, point d’employés, tout se dirigera par ses moyens, par ses agents, pour son compte et en son nom. Ce citoyen se soumettra à toute la responsabilité, sous la surveillance immédiate des ministres de l’Intérieur et des Finances, dont l’un dirigera ses achats ou ses ventes, et l’autre sa comptabilité. Non seulement il s’occupera immédiatement de régulariser le prix des grains dans toute la République, mais encore de tous les échanges que le gouvernement désirera ou des achats extérieurs qu’il pourrait juger nécessaires. » En conclusion à ce rapport, un arrêté commettait le grand financier Vanderbergh « pour les achats, ventes, ou versements de grains que le Directoire exécutif jugera à propos de lui ordonner, soit au dedans, soit au dehors de la République. »

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Pour comprendre l’histoire du nouveau gouvernement, la façon dont il a pu s’implanter et fixer des éléments multiples, épaves de tant de troubles et de tant de coups d’État, il est indispensable de rechercher quelle était, au moment où Bonaparte a renversé le Directoire, la situation respective des deux grandes classes de la nation : la classe possédante et la classe salariée. Dans cet exposé, nous pouvons laisser de côté la noblesse. Nous ne pensons pas qu’il faille, au lendemain du 18 brumaire, donner à celle-ci une place importante parmi les facteurs essentiels des événements à venir. De toute façon, le parti noble est le vaincu. Il pourra envisager l’acte de Bonaparte comme rendant possible une victoire future, mais non comme une victoire immédiate. « Plusieurs partis ont entrevu dans le lointain des espérances… », écrivait après l’événement Mallet du Pan[1]. Et il savait bien que « ces partis » signifiaient « son parti ». C’est ainsi que la noblesse et les monarchistes pourront espérer voir le général jouer un jour le rôle historique de Monck, mais ils ne disposent plus d’assez de force et d’assez de crédit pour, par eux-mêmes, aider ouvertement à l’effort qu’ils attendent. Nous laisserons donc pour l’instant la noblesse et envisagerons seulement la situation et l’état d’esprit de la masse immense de la nation partagée entre les « nantis » et le prolétariat. De ceux-là, en effet, dépend toujours l’avenir du pays. Dans quelles conditions sont-ils après le coup d’État et comment sont-ils préparés à l’envisager ?

A. — En haut de l’échelle sociale, écrasant tout le monde par leur luxe, donnant le ton à la « société » qui s’épuise à les vouloir imiter sans en posséder les moyens, des financiers, des agioteurs, sont dans la bourgeoisie les maîtres nouveaux. Dans un temps où l’argent était rare, c’est à ceux qui le possédaient qu’allait la toute-puissance. Les véritables maîtres, ce sont tous ces gens dont l’État a besoin pour entretenir les armées, pour aider à la répartition aussi égale que possible des grains sur le territoire, en un mot tous les détenteurs de la fortune publique accaparée par tous les moyens possibles. La puissance de tous ceux-là est absolue. Ils commandent dans les ministères, ils achètent les députés, comme le montre le procès qui se déroule peu après le coup d’État entre le tribun Courtois et les banquiers Fulchiron et consorts ; par leur argent, ils dominent et personne ne pourrait songer à leur ôter leur pouvoir. Il faut de l’argent pour subvenir aux services publics, il faut de l’argent pour acheter des canons, des fusils, des vivres. Or l’État ne disposant pas de fonds s’adresse aux financiers pour qu’ils assurent les dépenses. Il leur donne des « délégations » qui leur permettent de percevoir directement les contributions. Ils prennent eux-mêmes l’argent à la Monnaie pour recouvrer leurs créances [2]. Les Ouvrard, les Seguin : voilà les hommes indispensables dans l’État. Nous avons vu aux Archives nationales (F11 292) un rapport secret non daté, mais qui est évidemment des derniers jours du Directoire, montrant quel rôle capital peut être celui d’un de ces grands financiers. L’auteur du rapport expose la gêne qui existe dans la circulation et la répartition des blés sur le territoire de la République. Il y a trois récoltes entassées au nord et il n’y a rien dans le midi. Pour parer aux dangers de cette situation, le Directoire a permis l’exportation dans la République batave et en Helvétie, à condition du versement des 4/5 des mêmes quantités dans les départements du midi. Ce procédé est trop compliqué et trop difficile. D’un autre côté, on ne peut songer à une loi sur l’exportation, « le seul nom d’exportation de grains présenté à la tribune du Corps législatif ferait crier à la disette ». Les ministres des Finances et de l’Intérieur avaient proposé un moyen propre à « régulariser le mouvement et la valeur des grains, afin de maintenir l’abondance dans l’intérieur, de faire le bien des propriétaires et des consommateurs, et d’accélérer la rentrée des contributions ». Mais ce moyen remettait le soin des résultats à obtenir à cinq maisons de commerce, et le Directoire a vu là de grands inconvénients, surtout dans la difficulté qu’il y aurait à « tenir cachés les ressorts employés par le gouvernement ».

Les deux ministres ont alors remanié leur projet. « Une seule personne, connue dans toute l’Europe par son habileté, ses lumières et son activité pour le commerce des grains, dont la moralité et les moyens immenses sont parfaitement connus, sera chargée de toutes les opérations de ce genre que le gouvernement lui ordonnera de faire. Rien ne se fera qu’à mesure que les circonstances et les besoins l’exigeront ; point d’administration, point de bureaux montés, point de magasins, point d’employés, tout se dirigera par ses moyens, par ses agents, pour son compte et en son nom. Ce citoyen se soumettra à toute la responsabilité, sous la surveillance immédiate des ministres de l’Intérieur et des Finances, dont l’un dirigera ses achats ou ses ventes, et l’autre sa comptabilité. Non seulement il s’occupera immédiatement de régulariser le prix des grains dans toute la République, mais encore de tous les échanges que le gouvernement désirera ou des achats extérieurs qu’il pourrait juger nécessaires. » En conclusion à ce rapport, un arrêté commettait le grand financier Vanderbergh « pour les achats, ventes, ou versements de grains que le Directoire exécutif jugera à propos de lui ordonner, soit au dedans, soit au dehors de la République. »

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