Histoire de Rome

Nonfiction, History, Ancient History, Rome
Cover of the book Histoire de Rome by AMMIEN MARCELLIN, GILBERT TEROL
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Author: AMMIEN MARCELLIN ISBN: 1230002694054
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 17, 2018
Imprint: Language: French
Author: AMMIEN MARCELLIN
ISBN: 1230002694054
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 17, 2018
Imprint:
Language: French

On avait traversé les hasards d’une lutte interminable, et l’abattement s’emparait des deux partis après cette succession terrible d’efforts et de périls. Mais les sons de la trompette n’avaient pas cessé, les troupes n’étaient pas rentrées dans leurs cantonnements, que déjà le courroux non désarmé de la fortune ouvrait à l’État une série nouvelle de calamités, par les forfaits du César Gallus. D’un excès d’abaissement monté bien jeune encore, et par un retour inespéré du sort, au plus haut rang après le rang suprême, ce prince franchit bientôt les limites du pouvoir qui lui était confié, et souilla toute son administration par des actes d’une cruauté sauvage. L’éclat d’une parenté avec la famille impériale, rehaussé du nom de Constance, dont il venait d’être décoré, exaltait au plus haut degré son arrogance, et il était visible pour tous que la force seule lui manquait pour porter ses fureurs jusqu’à l’auteur même de son élévation. Sa femme, par ses conseils, irritait encore ses féroces instincts. Fille de Constantin, qui l’avait, en premières noces, mariée au roi Annibalien, son neveu, elle était démesurément enorgueillie d’appeler l’empereur régnant son frère. C’était Mégère incarnée : non moins altérée que son mari du sang humain, sans cesse elle excitait son penchant à le répandre. L’âge chez un tel couple ne fit que développer de plus en plus la science du mal. Il s’était organisé une police ténébreuse, composée des agents les plus perfidement habiles à tout envenimer dans des rapports de complaisance ; et c’était par ces sourdes manœuvres que les accusations de se livrer à la magie ou de prétendre au trône allaient frapper les têtes les plus innocentes. La soudaine catastrophe de Clémace, personnage éminent d’Alexandrie, marque surtout l’essor d’une tyrannie qui ne s’arrête plus aux crimes vulgaires. La belle-mère de ce dernier, éprise, dit-on, pour lui d’une vive passion, et n’ayant pu l’amener à y répondre, était parvenue à se glisser dans le palais par une entrée secrète ; et là, faisant briller aux yeux de la reine un collier du plus grand prix, avait obtenu qu’un ordre d’exécution fût dépêché à Honorat, comte d’Orient. L’ordre reçu, Clémace, à qui l’on n’avait rien à imputer, est mis à mort avant d’avoir pu même ouvrir la bouche.

Après cet acte inouï, symptôme d’un arbitraire sans frein, chacun dut trembler pour d’autres victimes. En effet, sur l’ombre même d’un soupçon, les arrêts de mort, les confiscations se multiplièrent. Les infortunés qu’on arrachait à leurs pénates, sans leur laisser que la plainte et les larmes, en étaient réduits pour vivre à errer, tendant la main ; et jusqu’aux simples prescriptions de l’ordre public devenaient les auxiliaires d’un pouvoir impitoyable, en fermant à ces malheureux les portes des riches et des grands. On dédaignait de s’entourer des plus ordinaires précautions de la tyrannie. Pas un accusateur, même d’office, ne fit entendre sa voix subornée, ne fût-ce que pour jeter sur cet amas d’énormités une ombre de formes juridiques. Ce qu’une volonté de fer avait dicté était tenu pour légal et pour juste, et l’exécution suivait de près la sentence. On imagina encore de ramasser des gens sans aveu, de condition trop vile pour attirer l’attention de personne ; et on les envoyait à la découverte dans chaque rue d’Antioche. Ces misérables allaient, venaient d’un air d’indifférence, se mêlant surtout aux groupes des gens de distinction, pénétrant dans les maisons riches sous prétexte d’obtenir une aumône. La tournée finie, chacun d’eux rentrant au palais par quelque porte dérobée, y faisait rapport de ce qu’il avait entendu ou recueilli de la seconde main. Un concert remarquable existait entre ces relations, d’abord pour mentir ou amplifier du double, ensuite pour supprimer toute expression laudative que la terreur aurait pu arracher de quelques bouches. Plus d’une fois il arriva qu’un mot dit à l’oreille, dans le secret de l’intimité, par un mari à sa femme, même sans témoin domestique, fut le lendemain su par César, qui semblait posséder les facultés divinatoires des Amphiaraüs et des Marcius d’autrefois. On en vint à craindre d’avoir les murs même pour confidents.

Cette fureur d’inquisition était encore aiguillonnée par la reine, qui semblait pousser impatiemment la fortune de son mari vers le précipice. Mieux inspirée, elle eût exercé pour le faire rentrer dans les voies de la clémence et de la vérité ce don de persuasion que la nature a donné à son sexe. Elle avait un beau modèle à suivre dans la femme de l’empereur Maximin, cette princesse que l’histoire des deux Gordiens a montrée constamment occupée du soin d’adoucir son féroce époux.

On vit Gallus, en dernier lieu, ne pas reculer devant un moyen périlleux autant qu’infâme, et dont Gallien, dit-on, avait fait jadis l’essai à Rome, au grand déshonneur de son administration. C’était de parcourir sur le soir les carrefours et les tavernes avec un petit nombre de satellites qui cachaient des épées sous leurs robes, s’enquérant à chacun en grec, langue dont l’usage lui était familier, de ce qu’on pensait de César. Voilà ce qu’il osa faire au milieu d’une ville ou l’éclairage de nuit rivalise avec la clarté du jour. A la longue cependant l’incognito s’éventa. Gallus, voyant alors qu’il ne pouvait mettre le pied dehors sans être reconnu, ne se permit plus d’excursions qu’en plein jour, et seulement quand il se croyait appelé par un intérêt sérieux. Mais l’impression de dégoût causée par une telle pratique n’en fut pas moins longtemps à s’effacer.

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On avait traversé les hasards d’une lutte interminable, et l’abattement s’emparait des deux partis après cette succession terrible d’efforts et de périls. Mais les sons de la trompette n’avaient pas cessé, les troupes n’étaient pas rentrées dans leurs cantonnements, que déjà le courroux non désarmé de la fortune ouvrait à l’État une série nouvelle de calamités, par les forfaits du César Gallus. D’un excès d’abaissement monté bien jeune encore, et par un retour inespéré du sort, au plus haut rang après le rang suprême, ce prince franchit bientôt les limites du pouvoir qui lui était confié, et souilla toute son administration par des actes d’une cruauté sauvage. L’éclat d’une parenté avec la famille impériale, rehaussé du nom de Constance, dont il venait d’être décoré, exaltait au plus haut degré son arrogance, et il était visible pour tous que la force seule lui manquait pour porter ses fureurs jusqu’à l’auteur même de son élévation. Sa femme, par ses conseils, irritait encore ses féroces instincts. Fille de Constantin, qui l’avait, en premières noces, mariée au roi Annibalien, son neveu, elle était démesurément enorgueillie d’appeler l’empereur régnant son frère. C’était Mégère incarnée : non moins altérée que son mari du sang humain, sans cesse elle excitait son penchant à le répandre. L’âge chez un tel couple ne fit que développer de plus en plus la science du mal. Il s’était organisé une police ténébreuse, composée des agents les plus perfidement habiles à tout envenimer dans des rapports de complaisance ; et c’était par ces sourdes manœuvres que les accusations de se livrer à la magie ou de prétendre au trône allaient frapper les têtes les plus innocentes. La soudaine catastrophe de Clémace, personnage éminent d’Alexandrie, marque surtout l’essor d’une tyrannie qui ne s’arrête plus aux crimes vulgaires. La belle-mère de ce dernier, éprise, dit-on, pour lui d’une vive passion, et n’ayant pu l’amener à y répondre, était parvenue à se glisser dans le palais par une entrée secrète ; et là, faisant briller aux yeux de la reine un collier du plus grand prix, avait obtenu qu’un ordre d’exécution fût dépêché à Honorat, comte d’Orient. L’ordre reçu, Clémace, à qui l’on n’avait rien à imputer, est mis à mort avant d’avoir pu même ouvrir la bouche.

Après cet acte inouï, symptôme d’un arbitraire sans frein, chacun dut trembler pour d’autres victimes. En effet, sur l’ombre même d’un soupçon, les arrêts de mort, les confiscations se multiplièrent. Les infortunés qu’on arrachait à leurs pénates, sans leur laisser que la plainte et les larmes, en étaient réduits pour vivre à errer, tendant la main ; et jusqu’aux simples prescriptions de l’ordre public devenaient les auxiliaires d’un pouvoir impitoyable, en fermant à ces malheureux les portes des riches et des grands. On dédaignait de s’entourer des plus ordinaires précautions de la tyrannie. Pas un accusateur, même d’office, ne fit entendre sa voix subornée, ne fût-ce que pour jeter sur cet amas d’énormités une ombre de formes juridiques. Ce qu’une volonté de fer avait dicté était tenu pour légal et pour juste, et l’exécution suivait de près la sentence. On imagina encore de ramasser des gens sans aveu, de condition trop vile pour attirer l’attention de personne ; et on les envoyait à la découverte dans chaque rue d’Antioche. Ces misérables allaient, venaient d’un air d’indifférence, se mêlant surtout aux groupes des gens de distinction, pénétrant dans les maisons riches sous prétexte d’obtenir une aumône. La tournée finie, chacun d’eux rentrant au palais par quelque porte dérobée, y faisait rapport de ce qu’il avait entendu ou recueilli de la seconde main. Un concert remarquable existait entre ces relations, d’abord pour mentir ou amplifier du double, ensuite pour supprimer toute expression laudative que la terreur aurait pu arracher de quelques bouches. Plus d’une fois il arriva qu’un mot dit à l’oreille, dans le secret de l’intimité, par un mari à sa femme, même sans témoin domestique, fut le lendemain su par César, qui semblait posséder les facultés divinatoires des Amphiaraüs et des Marcius d’autrefois. On en vint à craindre d’avoir les murs même pour confidents.

Cette fureur d’inquisition était encore aiguillonnée par la reine, qui semblait pousser impatiemment la fortune de son mari vers le précipice. Mieux inspirée, elle eût exercé pour le faire rentrer dans les voies de la clémence et de la vérité ce don de persuasion que la nature a donné à son sexe. Elle avait un beau modèle à suivre dans la femme de l’empereur Maximin, cette princesse que l’histoire des deux Gordiens a montrée constamment occupée du soin d’adoucir son féroce époux.

On vit Gallus, en dernier lieu, ne pas reculer devant un moyen périlleux autant qu’infâme, et dont Gallien, dit-on, avait fait jadis l’essai à Rome, au grand déshonneur de son administration. C’était de parcourir sur le soir les carrefours et les tavernes avec un petit nombre de satellites qui cachaient des épées sous leurs robes, s’enquérant à chacun en grec, langue dont l’usage lui était familier, de ce qu’on pensait de César. Voilà ce qu’il osa faire au milieu d’une ville ou l’éclairage de nuit rivalise avec la clarté du jour. A la longue cependant l’incognito s’éventa. Gallus, voyant alors qu’il ne pouvait mettre le pied dehors sans être reconnu, ne se permit plus d’excursions qu’en plein jour, et seulement quand il se croyait appelé par un intérêt sérieux. Mais l’impression de dégoût causée par une telle pratique n’en fut pas moins longtemps à s’effacer.

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