Napoléon le Petit

Nonfiction, History, France
Cover of the book Napoléon le Petit by Victor Hugo, GILBERT TEROL
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Author: Victor Hugo ISBN: 1230000212913
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 25, 2014
Imprint: Language: French
Author: Victor Hugo
ISBN: 1230000212913
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 25, 2014
Imprint:
Language: French

Le jeudi 20 décembre 1848, l’Assemblée constituante, entourée en ce moment-là d’un imposant déploiement de troupes, étant en séance, à la suite d’un rapport du représentant Waldeck-Rousseau, fait au nom de la commission chargée de dépouiller le scrutin pour l’élection à la présidence de la République, rapport où l’on avait remarqué cette phrase qui en résumait toute la pensée : « C’est le sceau de son inviolable puissance que la nation, par cette admirable exécution donnée à la loi fondamentale, pose elle-même sur la Constitution pour la rendre sainte et inviolable » ; au milieu du profond silence des neuf cents constituants réunis en foule et presque au complet, le président de l’Assemblée nationale constituante, Armand Marrast, se leva et dit :

« Au nom du peuple français,

« Attendu que le citoyen Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, né à Paris, remplit les conditions d’éligibilité prescrites par l’article 44 de la Constitution ;

« Attendu que dans le scrutin ouvert sur toute l’étendue du territoire de la République pour l’élection du président, il a réuni la majorité absolue des suffrages ;

« En vertu des articles 47 et 48 de la Constitution, l’Assemblée nationale le proclame président de la République depuis le présent jour jusqu’au deuxième dimanche de mai 1852. »

Un mouvement se fit sur les bancs et dans les tribunes pleines de peuple ; le président de l’Assemblée constituante ajouta :

« Aux termes du décret, j’invite le citoyen président de la République à vouloir bien se transporter à la tribune pour y prêter serment. »

Les représentants qui encombraient le couloir de droite remontèrent à leurs places et laissèrent le passage libre. Il était environ quatre heures du soir, la nuit tombait, l’immense salle de l’Assemblée était plongée à demi dans l’ombre, les lustres descendaient des plafonds, et les huissiers venaient d’apporter les lampes sur la tribune. Le président fit un signe et la porte de droite s’ouvrit.

On vit alors entrer dans la salle et monter rapidement à la tribune un homme jeune encore, vêtu de noir, ayant sur l’habit la plaque et le grand cordon de la légion d’honneur.

Toutes les têtes se tournèrent vers cet homme. Un visage blême dont les lampes à abat-jour faisaient saillir les angles osseux et amaigris, un nez gros et long, des moustaches, une mèche frisée sur un front étroit, l’œil petit et sans clarté, l’attitude timide et inquiète, nulle ressemblance avec l’empereur : c’était le citoyen Charles-Louis-Napoléon Bonaparte. Pendant l’espèce de rumeur qui suivit son entrée, il resta quelques instants la main droite dans son habit boutonné, debout et immobile sur la tribune dont le frontispice portait cette date : 22, 23, 24 février, et au-dessus de laquelle on lisait ces trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité.

Avant d’être élu président de la République, Charles-Louis-Napoléon Bonaparte était représentant du peuple. Il siégeait dans l’Assemblée depuis plusieurs mois, et, quoiqu’il assistât rarement à des séances entières, on l’avait vu assez souvent s’asseoir à la place qu’il avait choisie sur les bancs supérieurs de la gauche, dans la cinquième travée, dans cette zone communément appelée la Montagne, derrière son ancien précepteur, le représentant Vieillard. Cet homme n’était pas une nouvelle figure pour l’Assemblée, son entrée y produisit pourtant une émotion profonde. C’est que pour tous, pour ses amis comme pour ses adversaires, c’était l’avenir qui entrait, un avenir inconnu. Dans l’espèce d’immense murmure qui se formait de la parole de tous, son nom courait mêlé aux appréciations les plus diverses. Ses antagonistes racontaient ses aventures, ses coups de main, Strasbourg, Boulogne, l’aigle apprivoisé et le morceau de viande dans le petit chapeau. Ses amis alléguaient son exil, sa proscription, sa prison, un bon livre sur l’artillerie, ses écrits à Ham, empreints, à un certain degré, de l’esprit libéral, démocratique et socialiste, la maturité d’un âge plus sérieux ; et à ceux qui rappelaient ses folies ils rappelaient ses malheurs.

Le général Cavaignac, qui, n’ayant pas été nommé président, venait de déposer le pouvoir au sein de l’Assemblée avec ce laconisme tranquille qui sied aux républiques, assis à sa place habituelle en tête du banc des ministres à gauche de la tribune, à côté du ministre de la justice Marie, assistait, silencieux et les bras croisés, à cette installation de l’homme nouveau.

Enfin le silence se fit, le président de l’Assemblée frappa quelques coups de son couteau de bois sur la table, les dernières rumeurs s’éteignirent, et le président de l’Assemblée dit :

— Je vais lire la formule du serment.

Ce moment eut quelque chose de religieux. L’Assemblée n’était plus l’Assemblée, c’était un temple. Ce qui ajoutait à l’immense signification de ce serment, c’est qu’il était le seul qui fût prêté dans toute l’étendue du territoire de la République. Février avait aboli, avec raison, le serment politique, et la Constitution, avec raison également, n’avait conservé que le serment du président. Ce serment avait le double caractère de la nécessité et de la grandeur ; c’était le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné, qui le prêtait au pouvoir législatif, pouvoir supérieur ; c’était mieux que cela encore : à l’inverse de la fiction monarchique où le peuple prêtait serment à l’homme investi de la puissance, c’était l’homme investi de la puissance qui prêtait serment au peuple. Le président, fonctionnaire et serviteur, jurait fidélité au peuple souverain. Incliné devant la majesté nationale visible dans l’Assemblée omnipotente, il recevait de l’Assemblée la Constitution et lui jurait obéissance. Les représentants étaient inviolables, et lui ne l’était pas.

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Le jeudi 20 décembre 1848, l’Assemblée constituante, entourée en ce moment-là d’un imposant déploiement de troupes, étant en séance, à la suite d’un rapport du représentant Waldeck-Rousseau, fait au nom de la commission chargée de dépouiller le scrutin pour l’élection à la présidence de la République, rapport où l’on avait remarqué cette phrase qui en résumait toute la pensée : « C’est le sceau de son inviolable puissance que la nation, par cette admirable exécution donnée à la loi fondamentale, pose elle-même sur la Constitution pour la rendre sainte et inviolable » ; au milieu du profond silence des neuf cents constituants réunis en foule et presque au complet, le président de l’Assemblée nationale constituante, Armand Marrast, se leva et dit :

« Au nom du peuple français,

« Attendu que le citoyen Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, né à Paris, remplit les conditions d’éligibilité prescrites par l’article 44 de la Constitution ;

« Attendu que dans le scrutin ouvert sur toute l’étendue du territoire de la République pour l’élection du président, il a réuni la majorité absolue des suffrages ;

« En vertu des articles 47 et 48 de la Constitution, l’Assemblée nationale le proclame président de la République depuis le présent jour jusqu’au deuxième dimanche de mai 1852. »

Un mouvement se fit sur les bancs et dans les tribunes pleines de peuple ; le président de l’Assemblée constituante ajouta :

« Aux termes du décret, j’invite le citoyen président de la République à vouloir bien se transporter à la tribune pour y prêter serment. »

Les représentants qui encombraient le couloir de droite remontèrent à leurs places et laissèrent le passage libre. Il était environ quatre heures du soir, la nuit tombait, l’immense salle de l’Assemblée était plongée à demi dans l’ombre, les lustres descendaient des plafonds, et les huissiers venaient d’apporter les lampes sur la tribune. Le président fit un signe et la porte de droite s’ouvrit.

On vit alors entrer dans la salle et monter rapidement à la tribune un homme jeune encore, vêtu de noir, ayant sur l’habit la plaque et le grand cordon de la légion d’honneur.

Toutes les têtes se tournèrent vers cet homme. Un visage blême dont les lampes à abat-jour faisaient saillir les angles osseux et amaigris, un nez gros et long, des moustaches, une mèche frisée sur un front étroit, l’œil petit et sans clarté, l’attitude timide et inquiète, nulle ressemblance avec l’empereur : c’était le citoyen Charles-Louis-Napoléon Bonaparte. Pendant l’espèce de rumeur qui suivit son entrée, il resta quelques instants la main droite dans son habit boutonné, debout et immobile sur la tribune dont le frontispice portait cette date : 22, 23, 24 février, et au-dessus de laquelle on lisait ces trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité.

Avant d’être élu président de la République, Charles-Louis-Napoléon Bonaparte était représentant du peuple. Il siégeait dans l’Assemblée depuis plusieurs mois, et, quoiqu’il assistât rarement à des séances entières, on l’avait vu assez souvent s’asseoir à la place qu’il avait choisie sur les bancs supérieurs de la gauche, dans la cinquième travée, dans cette zone communément appelée la Montagne, derrière son ancien précepteur, le représentant Vieillard. Cet homme n’était pas une nouvelle figure pour l’Assemblée, son entrée y produisit pourtant une émotion profonde. C’est que pour tous, pour ses amis comme pour ses adversaires, c’était l’avenir qui entrait, un avenir inconnu. Dans l’espèce d’immense murmure qui se formait de la parole de tous, son nom courait mêlé aux appréciations les plus diverses. Ses antagonistes racontaient ses aventures, ses coups de main, Strasbourg, Boulogne, l’aigle apprivoisé et le morceau de viande dans le petit chapeau. Ses amis alléguaient son exil, sa proscription, sa prison, un bon livre sur l’artillerie, ses écrits à Ham, empreints, à un certain degré, de l’esprit libéral, démocratique et socialiste, la maturité d’un âge plus sérieux ; et à ceux qui rappelaient ses folies ils rappelaient ses malheurs.

Le général Cavaignac, qui, n’ayant pas été nommé président, venait de déposer le pouvoir au sein de l’Assemblée avec ce laconisme tranquille qui sied aux républiques, assis à sa place habituelle en tête du banc des ministres à gauche de la tribune, à côté du ministre de la justice Marie, assistait, silencieux et les bras croisés, à cette installation de l’homme nouveau.

Enfin le silence se fit, le président de l’Assemblée frappa quelques coups de son couteau de bois sur la table, les dernières rumeurs s’éteignirent, et le président de l’Assemblée dit :

— Je vais lire la formule du serment.

Ce moment eut quelque chose de religieux. L’Assemblée n’était plus l’Assemblée, c’était un temple. Ce qui ajoutait à l’immense signification de ce serment, c’est qu’il était le seul qui fût prêté dans toute l’étendue du territoire de la République. Février avait aboli, avec raison, le serment politique, et la Constitution, avec raison également, n’avait conservé que le serment du président. Ce serment avait le double caractère de la nécessité et de la grandeur ; c’était le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné, qui le prêtait au pouvoir législatif, pouvoir supérieur ; c’était mieux que cela encore : à l’inverse de la fiction monarchique où le peuple prêtait serment à l’homme investi de la puissance, c’était l’homme investi de la puissance qui prêtait serment au peuple. Le président, fonctionnaire et serviteur, jurait fidélité au peuple souverain. Incliné devant la majesté nationale visible dans l’Assemblée omnipotente, il recevait de l’Assemblée la Constitution et lui jurait obéissance. Les représentants étaient inviolables, et lui ne l’était pas.

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