Author: | Paul Féval | ISBN: | 1230000203710 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | December 18, 2013 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Paul Féval |
ISBN: | 1230000203710 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | December 18, 2013 |
Imprint: | |
Language: | French |
M. le marquis de Lorgères fut quatre mois au lit, à la suite de ses blessures. Les coups étaient portés de mains de maîtres : tous deux mortels, et Dupuytren put se vanter longtemps de cette cure.
Dans l’intervalle, la réponse du prince Jacobyi vint à Paris, — datée de son château de Chandor, — et favorable. Comme on peut le croire, Mme la princesse, tout en se fiant à la parole de M. le marquis, n’avait pas été sans prendre quelques renseignements auprès de ses cousins de Rohan, établis en Hongrie. Ceci, faisait, en somme, partie de son devoir de mère.
Les renseignements vinrent, comme la réponse du prince, favorables de tout point :
Le prince avait racheté ses terres ; le prince était comme devant, un des plus grands seigneurs de l’empire d’Autriche.
Le mariage du marquis de Lorgères avec la princesse Lénor fut célébré à Szeggedin, au commencement de mars 1826.
Un des premiers jours du mois d’avril de cette même année, un petit vieillard, au visage doux et débonnaire, cheminait sur le grand chemin de Pesth à Szeggedin, traînant dans une charrette à bras, un pauvre être qui ressemblait à un vivant cadavre et qui était en outre privé de la raison. Il y a, non loin de Szeggedin, en remontant le ruisseau de Morzau une fontaine où l’eau est blanche et qu’un petit minaret protège contre la poussière du chemin. L’eau de cette fontaine est sous la protection de saint Miklos et possède la vertu de guérir la folie.
Le petit vieillard était un bon père qui venait ainsi de la campagne d’Oten, charroyant son malheureux fils à petites journées. À les voir affligés comme ils étaient, tout le monde s’attendrissait au long de la route.
Nos ingénieurs français ont placé depuis ce temps-là quatre barres de fer parallèles, qui vont de Pesth à Belgrade, en passant par Szeggedin. Il suffit de quelques heures pour traverser ces plaines immenses comme la mer, où l’on voyageait pendant des semaines.
La dernière fois que j’ai vu Szeggedin, cet étrange village qui contiendrait tous les clochers réunis du pays de Beauce, il y avait un ancien élève de notre École polytechnique, qui était roi du pays. Il jetait en passant un pont de mille mètres sur la Theiss : un magnifique pont pour la voie ferrée. Les ingénieurs autrichiens venaient regarder les travaux, exécutés par une fourmilière humaine, où l’on aurait pu distinguer vingt races et qui parlait quinze langues.
Le pont sortait de l’eau, déjà appuyé sur ces grandes colonnes tabulaires, et je vis un appareil photographique qui braquait déjà sur les arches inachevées, l’œil rond de sa chambre noire. Notre civilisation est là.
Dieu veuille qu’elle n’y amène point avec elle nos impiétés, nos discordes, nos hontes et nos misères ! Ce que les hauts barons de notre féodalité matérialiste appellent le Progrès a des envers terribles, et certains peuples ont payé bien cher l’avantage douteux de voir leurs tribuns vivre en princes. Elle est assurément brillante la grande fête industrielle qui enivre et secoue la vieillesse du monde, mais elle recouvre une maladie profonde que chaque jour fait plus incurable, et je sais des esprits très éclairés, très « libéraux », très « avancés » même, qui hésiteraient avant d’inoculer de sang-froid, aux contrées les plus sauvages, la plaie qui se cache sous la splendeur menteuse de nos civilisations.
Ce n’est pas à dire qu’il ne faille rien améliorer, bien au contraire : il faut tout améliorer : l’élément moral aussi bien que le côté matériel des choses. Ce qui est laid et misérablement idiot, c’est de voir les villes subir leurs mœurs en nettoyant leurs rues.
En 1826, la grande route entrait dans le grand village magyare par un étang de boue en hiver, par un océan de poussière en été. La poussière de Szeggedin est célèbre en Hongrie, sa boue aussi. Les magyars ingénieux mettent bout à bout quelques planches pour traverser ces précipices, mais il est ordonné aux voitures de passer à côté des planches, afin de ne les point user, et le piéton confiant qui ose y mettre le pied est à peu près sûr de faire la culbute.
M. le marquis de Lorgères fut quatre mois au lit, à la suite de ses blessures. Les coups étaient portés de mains de maîtres : tous deux mortels, et Dupuytren put se vanter longtemps de cette cure.
Dans l’intervalle, la réponse du prince Jacobyi vint à Paris, — datée de son château de Chandor, — et favorable. Comme on peut le croire, Mme la princesse, tout en se fiant à la parole de M. le marquis, n’avait pas été sans prendre quelques renseignements auprès de ses cousins de Rohan, établis en Hongrie. Ceci, faisait, en somme, partie de son devoir de mère.
Les renseignements vinrent, comme la réponse du prince, favorables de tout point :
Le prince avait racheté ses terres ; le prince était comme devant, un des plus grands seigneurs de l’empire d’Autriche.
Le mariage du marquis de Lorgères avec la princesse Lénor fut célébré à Szeggedin, au commencement de mars 1826.
Un des premiers jours du mois d’avril de cette même année, un petit vieillard, au visage doux et débonnaire, cheminait sur le grand chemin de Pesth à Szeggedin, traînant dans une charrette à bras, un pauvre être qui ressemblait à un vivant cadavre et qui était en outre privé de la raison. Il y a, non loin de Szeggedin, en remontant le ruisseau de Morzau une fontaine où l’eau est blanche et qu’un petit minaret protège contre la poussière du chemin. L’eau de cette fontaine est sous la protection de saint Miklos et possède la vertu de guérir la folie.
Le petit vieillard était un bon père qui venait ainsi de la campagne d’Oten, charroyant son malheureux fils à petites journées. À les voir affligés comme ils étaient, tout le monde s’attendrissait au long de la route.
Nos ingénieurs français ont placé depuis ce temps-là quatre barres de fer parallèles, qui vont de Pesth à Belgrade, en passant par Szeggedin. Il suffit de quelques heures pour traverser ces plaines immenses comme la mer, où l’on voyageait pendant des semaines.
La dernière fois que j’ai vu Szeggedin, cet étrange village qui contiendrait tous les clochers réunis du pays de Beauce, il y avait un ancien élève de notre École polytechnique, qui était roi du pays. Il jetait en passant un pont de mille mètres sur la Theiss : un magnifique pont pour la voie ferrée. Les ingénieurs autrichiens venaient regarder les travaux, exécutés par une fourmilière humaine, où l’on aurait pu distinguer vingt races et qui parlait quinze langues.
Le pont sortait de l’eau, déjà appuyé sur ces grandes colonnes tabulaires, et je vis un appareil photographique qui braquait déjà sur les arches inachevées, l’œil rond de sa chambre noire. Notre civilisation est là.
Dieu veuille qu’elle n’y amène point avec elle nos impiétés, nos discordes, nos hontes et nos misères ! Ce que les hauts barons de notre féodalité matérialiste appellent le Progrès a des envers terribles, et certains peuples ont payé bien cher l’avantage douteux de voir leurs tribuns vivre en princes. Elle est assurément brillante la grande fête industrielle qui enivre et secoue la vieillesse du monde, mais elle recouvre une maladie profonde que chaque jour fait plus incurable, et je sais des esprits très éclairés, très « libéraux », très « avancés » même, qui hésiteraient avant d’inoculer de sang-froid, aux contrées les plus sauvages, la plaie qui se cache sous la splendeur menteuse de nos civilisations.
Ce n’est pas à dire qu’il ne faille rien améliorer, bien au contraire : il faut tout améliorer : l’élément moral aussi bien que le côté matériel des choses. Ce qui est laid et misérablement idiot, c’est de voir les villes subir leurs mœurs en nettoyant leurs rues.
En 1826, la grande route entrait dans le grand village magyare par un étang de boue en hiver, par un océan de poussière en été. La poussière de Szeggedin est célèbre en Hongrie, sa boue aussi. Les magyars ingénieux mettent bout à bout quelques planches pour traverser ces précipices, mais il est ordonné aux voitures de passer à côté des planches, afin de ne les point user, et le piéton confiant qui ose y mettre le pied est à peu près sûr de faire la culbute.