Author: | CHARLES RENEL | ISBN: | 1230000212282 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | CHARLES RENEL |
ISBN: | 1230000212282 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Ce matin-là, Ranaivou le mpisikidy était sorti de sa case dès l’aurore. Toute la nuit, la faim l’avait tenaillée, la faim horrible qui depuis quatre lunes épuisait le Pays-d ’en-Haut. Jamais, de mémoire d’homme, la saison des pluies n’avait été si en retard : les jours étaient brûlés par le soleil, les nuits n’avaient point de rosée ; partout le riz déjà repiqué séchait sur place, les germes mouraient dans la terre aride. Depuis longtemps les silos étaient vides de grains, les animaux domestiques avaient tous péri, les chenilles avaient dévoré les feuilles des arbres et les hommes avaient mangé les chenilles. On était allé très loin dans la brousse déterrer les racines, on avait cuit toutes sortes de plantes, dont le suc rendait malade ; des gens moururent, pour s’être nourris de fruits rouges inconnus, cueillis dans la forêt.
Ranaivou, sans rien dire aux siens, était allé vers la rivière, avec sa ligne, pour pêcher des fiana. Il en avait attrapé deux quand son hameçon fut emporté par un troisième. Résigné, il reprit le chemin du village. Il avait faim. Il se contenait pour ne pas dévorer, crus et vivants, les poissons argentés qui palpitaient dans l’herbe humide au fond de sa soubika. Son désir de mordre dans de la chair lui contractait les mâchoires, le faisait grincer des dents. Un beau repas, en vérité, qu’il apportait à sa famille. Une part d’enfant pour sept personnes ! Ne valait-il pas mieux soutenir sa propre existence, la plus utile de toutes, plutôt que de prolonger quelques heures à peine les souffrances de ses malheureux enfants ? Il les aimait, pourtant ; mais « l’amour se tait, quand crie la faim ». Dès ce moment, il sacrifia en son cœur sa femme et ses petits au désir effréné de manger qui lui tordait les entrailles. A l’entrée du village, il s’accroupit pour se reposer, au bord d’un trou d’eau. Tout à coup un soubresaut d’un des poissons renversa la corbeille, les deux bêtes palpitantes tombèrent dans la source transparente. Ranaivou, décidé à s’en nourrir, ne les reprit pas de suite ; il méditait de les faire cuire à la maison, et il imagina une ruse compliquée, afin que personne autre que lui n’y eût part. Rentré dans la case les mains vides, il envoya deux de ses enfants chercher de l’eau. Quand ils virent les poissons vivants au fond de la source claire, les petits rentrèrent tout effarés sans oser remplir leurs cruches. Le père feignit une extrême surprise et une grande peur.
— Hélas ! Quelle aventure extraordinaire ! C’est mauvais signe s’il y a des fiana dans la source ! Le Vazimba qui habite la grosse pierre près de l’eau est sûrement fâché contre nous. C’est lui qui, pour nous tenter, a suscité des poissons Fady. Je vais tout de suite consulter le Sikidy.
Il décrocha de la cheville où elle était suspendue, dans le coin Nord-Est de la case, une natte souple en fibre de manarana, la développa, s’accroupit devant et tira de sa ceinture le sac de peau contenant les grains sacrés. Il les répandit tous à terre, les fruits rouges de l’arbre fanou, Maîtres de la Chance, et les baies noires de la liane fameloundindou, Mères des Destinées, et les graines jaunes du Katsaka, Annonciatrices des Paroles Anciennes. De ses doigts pieux il les remua doucement et souffla sur elles, pour les réveiller, en prononçant les mots d’usage.
— Réveille-toi, Sikidy ! Réveillez-vous, graines sacrées ! Vous n’avez pas d’yeux, pourtant vous voyez ; vous n’avez pas d’oreilles, pourtant vous entendez ; vous n’avez pas de bouche, pourtant vous parlez. Que lundi réveille mardi ! Que mardi réveille mercredi ! Que mercredi réveille jeudi ! Que jeudi réveille vendredi ! Que vendredi réveille samedi ! Que samedi réveille dimanche ! Les sept jours sont revenus, et le huitième est de retour ! Ne nous trompez pas, ne nous abusez pas, ne mettez pas ensemble le bon et le mauvais ! Que nous sachions qui doit vivre et qui doit mourir ! Que nous trouvions le faditra qui délivre, le sacrifice qui protège !
Après cette invocation, il disposa les graines en deux rangées de huit lignes chacune, d’abord de droite à gauche, puis de gauche à droite. Trois fois de suite les figures se trouvèrent taraiky et le Sikidy ne voulut point parler. La quatrième fois, des figures dzama se manifestèrent, mais leur sens restait obscur. Le sort appelé fianahy qui représente une plante avec ses fleurs, une bête avec ses petits, une mère avec ses enfants, vint en conjonction avec le sort lalanaretina, le Chemin des Maladies ; coïncidence d’autant plus fâcheuse que les fiana, motif de la consultation, étaient clairement désignés par le commencement du mot fianahy. Pour le consultant lui-même, le Sikidy ne révélait aucun danger immédiat.
Ce matin-là, Ranaivou le mpisikidy était sorti de sa case dès l’aurore. Toute la nuit, la faim l’avait tenaillée, la faim horrible qui depuis quatre lunes épuisait le Pays-d ’en-Haut. Jamais, de mémoire d’homme, la saison des pluies n’avait été si en retard : les jours étaient brûlés par le soleil, les nuits n’avaient point de rosée ; partout le riz déjà repiqué séchait sur place, les germes mouraient dans la terre aride. Depuis longtemps les silos étaient vides de grains, les animaux domestiques avaient tous péri, les chenilles avaient dévoré les feuilles des arbres et les hommes avaient mangé les chenilles. On était allé très loin dans la brousse déterrer les racines, on avait cuit toutes sortes de plantes, dont le suc rendait malade ; des gens moururent, pour s’être nourris de fruits rouges inconnus, cueillis dans la forêt.
Ranaivou, sans rien dire aux siens, était allé vers la rivière, avec sa ligne, pour pêcher des fiana. Il en avait attrapé deux quand son hameçon fut emporté par un troisième. Résigné, il reprit le chemin du village. Il avait faim. Il se contenait pour ne pas dévorer, crus et vivants, les poissons argentés qui palpitaient dans l’herbe humide au fond de sa soubika. Son désir de mordre dans de la chair lui contractait les mâchoires, le faisait grincer des dents. Un beau repas, en vérité, qu’il apportait à sa famille. Une part d’enfant pour sept personnes ! Ne valait-il pas mieux soutenir sa propre existence, la plus utile de toutes, plutôt que de prolonger quelques heures à peine les souffrances de ses malheureux enfants ? Il les aimait, pourtant ; mais « l’amour se tait, quand crie la faim ». Dès ce moment, il sacrifia en son cœur sa femme et ses petits au désir effréné de manger qui lui tordait les entrailles. A l’entrée du village, il s’accroupit pour se reposer, au bord d’un trou d’eau. Tout à coup un soubresaut d’un des poissons renversa la corbeille, les deux bêtes palpitantes tombèrent dans la source transparente. Ranaivou, décidé à s’en nourrir, ne les reprit pas de suite ; il méditait de les faire cuire à la maison, et il imagina une ruse compliquée, afin que personne autre que lui n’y eût part. Rentré dans la case les mains vides, il envoya deux de ses enfants chercher de l’eau. Quand ils virent les poissons vivants au fond de la source claire, les petits rentrèrent tout effarés sans oser remplir leurs cruches. Le père feignit une extrême surprise et une grande peur.
— Hélas ! Quelle aventure extraordinaire ! C’est mauvais signe s’il y a des fiana dans la source ! Le Vazimba qui habite la grosse pierre près de l’eau est sûrement fâché contre nous. C’est lui qui, pour nous tenter, a suscité des poissons Fady. Je vais tout de suite consulter le Sikidy.
Il décrocha de la cheville où elle était suspendue, dans le coin Nord-Est de la case, une natte souple en fibre de manarana, la développa, s’accroupit devant et tira de sa ceinture le sac de peau contenant les grains sacrés. Il les répandit tous à terre, les fruits rouges de l’arbre fanou, Maîtres de la Chance, et les baies noires de la liane fameloundindou, Mères des Destinées, et les graines jaunes du Katsaka, Annonciatrices des Paroles Anciennes. De ses doigts pieux il les remua doucement et souffla sur elles, pour les réveiller, en prononçant les mots d’usage.
— Réveille-toi, Sikidy ! Réveillez-vous, graines sacrées ! Vous n’avez pas d’yeux, pourtant vous voyez ; vous n’avez pas d’oreilles, pourtant vous entendez ; vous n’avez pas de bouche, pourtant vous parlez. Que lundi réveille mardi ! Que mardi réveille mercredi ! Que mercredi réveille jeudi ! Que jeudi réveille vendredi ! Que vendredi réveille samedi ! Que samedi réveille dimanche ! Les sept jours sont revenus, et le huitième est de retour ! Ne nous trompez pas, ne nous abusez pas, ne mettez pas ensemble le bon et le mauvais ! Que nous sachions qui doit vivre et qui doit mourir ! Que nous trouvions le faditra qui délivre, le sacrifice qui protège !
Après cette invocation, il disposa les graines en deux rangées de huit lignes chacune, d’abord de droite à gauche, puis de gauche à droite. Trois fois de suite les figures se trouvèrent taraiky et le Sikidy ne voulut point parler. La quatrième fois, des figures dzama se manifestèrent, mais leur sens restait obscur. Le sort appelé fianahy qui représente une plante avec ses fleurs, une bête avec ses petits, une mère avec ses enfants, vint en conjonction avec le sort lalanaretina, le Chemin des Maladies ; coïncidence d’autant plus fâcheuse que les fiana, motif de la consultation, étaient clairement désignés par le commencement du mot fianahy. Pour le consultant lui-même, le Sikidy ne révélait aucun danger immédiat.