Isoline et la Fleur Serpent

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Isoline et la Fleur Serpent by JUDITH GAUTIER, GILBERT TEROL
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Author: JUDITH GAUTIER ISBN: 1230000210910
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 19, 2014
Imprint: Language: French
Author: JUDITH GAUTIER
ISBN: 1230000210910
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 19, 2014
Imprint:
Language: French

Un soir gris descend sur la mer ; les nuages lourds, que pousse une brise très âpre, s’écroulent vers l’horizon, faisant craindre une nouvelle averse ; la pluie qui vient de tomber rend glissante la cale de Saint-Servan, dont la pente s’enfonce sous l’eau houleuse ; elle assombrit les pierres grises de la haute tour Solidor, qui semble avoir pris racine dans les rochers qui lui servent d’assises et ont fourni les matériaux de ses murailles.

De chaque côté de la cale, des bateaux de pêche, la voile à demi ployée, dansent avec une sorte d’affolement. Des matelots, des femmes chargées de paniers descendent la pente mouillée et interpellent d’une voix dolente les barques qui accostent le quai ; un teinturier, les bras bleus jusqu’au-dessus du coude, trempe diverses loques dans l’eau qui roule sur la chaussée de pierres, et, pour un instant, teinte les premières lames de nuances invraisemblables.

Là, tout près, ballottée d’une façon inquiétante, une vieille embarcation aux planches vermoulues, dont toute trace de peinture a disparu, emplie déjà de passagers, semble attendre le moment du départ. Ceux qui s’entassent dans cette barque sont des ouvriers en habit de travail, souillés de plâtre et de boue, des paysannes proprettes, le petit fichu de couleur croisé sur la poitrine, la jolie coiffe bretonne, dont chaque bourg change la forme, palpitant sur leurs cheveux. À l’arrière deux sœurs trinitaires, le visage encadré d’un bonnet plissé sous le voile noir, font bruire les croix et les chapelets perdus dans les plis de leur robe de bure.

La barque est plus que pleine et pourtant de nouveaux arrivants la hèlent et sautent sur l’avant encombré, sans que les passagers paraissent surpris de cette surcharge.

Ils échangent seulement quelques phrases insignifiantes :

— « Tu ne t’en viens donc pas aujourd’hui ?

— Si bien ! il est encore temps.

— La marée n’attend pas,

— Tout de même ! le vent est bon, on marchera. »

Et on se serre encore, les uns s’asseyent sur le rebord du bateau, d’autres se tiennent debout.

— « En route ! » cria enfin le patron, que rien dans son costume ne distingue de ses compagnons.

La voile est hissée par dessus les têtes qui se baissent, une grossière voile carrée qui se déploie lentement.

Mais au moment où une pesée sur la gaffe va éloigner du quai la lourde barque, des pas pressés résonnent sur les pavés et deux personnes dévalent de la ville : l’une est un prêtre qui fait des signaux véhéments à l’embarcation prête à s’éloigner ; l’autre, un jeune officier de marine suivi d’un matelot portant une malle sur l’épaule et à la main une valise.

Ceux-ci se dirigent vers un joli sloop qui appareille au bord du quai, tandis que la barque se rapproche, répondant aux appels du prêtre :

— « Il n’était que temps, monsieur l’abbé.

— Vous ne serez guère bien !

— Allons, serrez-vous !

— Comment voulez-vous que j’embarque ? s’écrie le prêtre d’une voix brusque. Vous êtes déjà chargés à sombrer !

— Oh ! il n’y a pas de soin, dit le patron.

— Si je mets le pied là-dessus, vous coulez bas sans aucun doute : je suis trop bon chrétien pour vouloir causer la mort de n’importe qui. Comme c’est amusant ! continua-t-il avec mauvaise humeur. »

Et il jeta un regard vers le sloop dans lequel l’officier de marine venait de sauter.

— « Allez-vous à Dinan, capitaine ? lui crie-t-il alors en s’avançant au bord du quai, tandis que le vent tracasse les plis noirs de son manteau.

— Oui, monsieur, je vais à Dinan, répond l’officier en saluant légèrement.

— Alors donnez-moi une petite place dans votre grand bateau où vous êtes tout seul ?

— Soit, monsieur, avec plaisir, » dit le jeune marin en dissimulant à peine son peu d’empressement.

Tout en manœuvrant, le plus âgé des matelots hoche la tête et grommelle tout bas contre le sans-gêne de l’homme d’Église.

— « Ils sont fous ! » dit le prêtre déjà installé dans le sloop, en indiquant la barque surchargée qui prend le large.

Mais le sloop l’a bientôt rejointe et dépassée. Toutes ses voiles gonflées, il s’incline, prend le vent et file comme une flèche. Ce n’est pas sans embarquer quelques paquets de mer, ni sans rouler violemment.

L’abbe se retient de la main à la banquette.

— « Ne prendrons-nous pas quelque ris ? dit-il.

— Avez-vous peur ? » ricane le matelot.

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Un soir gris descend sur la mer ; les nuages lourds, que pousse une brise très âpre, s’écroulent vers l’horizon, faisant craindre une nouvelle averse ; la pluie qui vient de tomber rend glissante la cale de Saint-Servan, dont la pente s’enfonce sous l’eau houleuse ; elle assombrit les pierres grises de la haute tour Solidor, qui semble avoir pris racine dans les rochers qui lui servent d’assises et ont fourni les matériaux de ses murailles.

De chaque côté de la cale, des bateaux de pêche, la voile à demi ployée, dansent avec une sorte d’affolement. Des matelots, des femmes chargées de paniers descendent la pente mouillée et interpellent d’une voix dolente les barques qui accostent le quai ; un teinturier, les bras bleus jusqu’au-dessus du coude, trempe diverses loques dans l’eau qui roule sur la chaussée de pierres, et, pour un instant, teinte les premières lames de nuances invraisemblables.

Là, tout près, ballottée d’une façon inquiétante, une vieille embarcation aux planches vermoulues, dont toute trace de peinture a disparu, emplie déjà de passagers, semble attendre le moment du départ. Ceux qui s’entassent dans cette barque sont des ouvriers en habit de travail, souillés de plâtre et de boue, des paysannes proprettes, le petit fichu de couleur croisé sur la poitrine, la jolie coiffe bretonne, dont chaque bourg change la forme, palpitant sur leurs cheveux. À l’arrière deux sœurs trinitaires, le visage encadré d’un bonnet plissé sous le voile noir, font bruire les croix et les chapelets perdus dans les plis de leur robe de bure.

La barque est plus que pleine et pourtant de nouveaux arrivants la hèlent et sautent sur l’avant encombré, sans que les passagers paraissent surpris de cette surcharge.

Ils échangent seulement quelques phrases insignifiantes :

— « Tu ne t’en viens donc pas aujourd’hui ?

— Si bien ! il est encore temps.

— La marée n’attend pas,

— Tout de même ! le vent est bon, on marchera. »

Et on se serre encore, les uns s’asseyent sur le rebord du bateau, d’autres se tiennent debout.

— « En route ! » cria enfin le patron, que rien dans son costume ne distingue de ses compagnons.

La voile est hissée par dessus les têtes qui se baissent, une grossière voile carrée qui se déploie lentement.

Mais au moment où une pesée sur la gaffe va éloigner du quai la lourde barque, des pas pressés résonnent sur les pavés et deux personnes dévalent de la ville : l’une est un prêtre qui fait des signaux véhéments à l’embarcation prête à s’éloigner ; l’autre, un jeune officier de marine suivi d’un matelot portant une malle sur l’épaule et à la main une valise.

Ceux-ci se dirigent vers un joli sloop qui appareille au bord du quai, tandis que la barque se rapproche, répondant aux appels du prêtre :

— « Il n’était que temps, monsieur l’abbé.

— Vous ne serez guère bien !

— Allons, serrez-vous !

— Comment voulez-vous que j’embarque ? s’écrie le prêtre d’une voix brusque. Vous êtes déjà chargés à sombrer !

— Oh ! il n’y a pas de soin, dit le patron.

— Si je mets le pied là-dessus, vous coulez bas sans aucun doute : je suis trop bon chrétien pour vouloir causer la mort de n’importe qui. Comme c’est amusant ! continua-t-il avec mauvaise humeur. »

Et il jeta un regard vers le sloop dans lequel l’officier de marine venait de sauter.

— « Allez-vous à Dinan, capitaine ? lui crie-t-il alors en s’avançant au bord du quai, tandis que le vent tracasse les plis noirs de son manteau.

— Oui, monsieur, je vais à Dinan, répond l’officier en saluant légèrement.

— Alors donnez-moi une petite place dans votre grand bateau où vous êtes tout seul ?

— Soit, monsieur, avec plaisir, » dit le jeune marin en dissimulant à peine son peu d’empressement.

Tout en manœuvrant, le plus âgé des matelots hoche la tête et grommelle tout bas contre le sans-gêne de l’homme d’Église.

— « Ils sont fous ! » dit le prêtre déjà installé dans le sloop, en indiquant la barque surchargée qui prend le large.

Mais le sloop l’a bientôt rejointe et dépassée. Toutes ses voiles gonflées, il s’incline, prend le vent et file comme une flèche. Ce n’est pas sans embarquer quelques paquets de mer, ni sans rouler violemment.

L’abbe se retient de la main à la banquette.

— « Ne prendrons-nous pas quelque ris ? dit-il.

— Avez-vous peur ? » ricane le matelot.

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