Port Tarascon

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Port Tarascon by ALPHONSE DAUDET, GILBERT TEROL
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Author: ALPHONSE DAUDET ISBN: 1230002678177
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 14, 2018
Imprint: Language: French
Author: ALPHONSE DAUDET
ISBN: 1230002678177
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 14, 2018
Imprint:
Language: French

« Franquebalme, mon bon…, Je ne suis pas content de la France ! … Nos gouvernants nous font de tout. »

Proférées un soir par Tartarin devant la cheminée du cercle, avec le geste et l’accent qu’on imagine, ces paroles mémorables résument bien ce qui se pensait et disait à Tarascon-sur-Rhône deux ou trois mois avant l’émigration. Le Tarasconnais en général ne s’occupe pas de politique : indolent de nature, indifférent à tout ce qui ne l’atteint pas localement, il tient pour l’état de choses, comme il dit. Pas moins, depuis quelque temps, on lui reprochait un tas de choses, à l’état de choses !

« Nos gouvernants nous font de tout ! » disait Tartarin.

Dans ce « de tout » il y avait d’abord l’interdiction des courses de taureaux.

Vous connaissez sans doute l’histoire de ce Tarasconnais très mauvais chrétien et garnement de la pire espèce, lequel après sa mort s’étant introduit au Paradis par surprise, pendant que saint Pierre avait le dos tourné, n’en voulait plus sortir, malgré les supplications du divin porte-clefs. Alors, que fit le grand saint Pierre ? Il envoya toute une volée d’anges clamer devant le ciel autant qu’ils auraient de voix :

« Té ! té ! … les bœufs ! … Té ! té ! … Les bœufs ! … » Qui est le cri des courses tarasconnaises. Oyant cela, le bandit change de figure :

« Vous avez donc des courses, par ici, grand saint Pierre ?

– Des courses ? … Je crois bien magnifiques, mon bon.

– Où donc ça ? … où se font-elles, ces courses ?

– Devant le Paradis… Il y a du large, tu penses.

Du coup le Tarasconnais se précipite dehors pour voir, et les portes du ciel se referment sur lui à tout jamais.

Si je rappelle ici cette légende aussi vieille que les bancs du tour-de-ville, c’est afin d’indiquer la passion des gens de Tarascon pour les courses de taureaux et la colère où les mit la suppression de ce genre d’exercice.

Après, vint l’ordre d’expulser les Pères-Blancs de fermer leur joli couvent de Pampérigouste, perché sur une collinette toute grise de thym et de lavande installé là depuis des siècles aux portes de la ville, d’où l’on aperçoit, entre les pins, la dentelle de ses clochetons carillonnant dans les brises claires du matin avec le chant des alouettes, au crépuscule avec le cri mélancolique des courlis.

Les Tarasconnais les aimaient beaucoup, leurs Pères-Blancs, doux, bons, inoffensifs, et qui savaient tirer des herbes parfumées dont la montagnette est couverte un si excellent élixir ; ils les aimaient pareillement pour leurs pâtés d’hirondelles et leurs délicieux pains-poires, qui sont des coings enveloppés d’une pâte fine et dorée, d’où le nom de Pampérigouste donné à l’abbaye.

Aussi quand l’ordre officiel d’avoir à quitter leur couvent fut envoyé aux Pères et que ceux-ci refusèrent de sortir, quinze cents à deux mille Tarasconnais du commun, portefaix, décrotteurs, déchargeurs de bateaux du Rhône, ce que nous appelons la rafataille, vinrent s’enfermer dans Pampérigouste avec les bons moines.

La bourgeoisie tarasconnaise, les messieurs du cercle, Tartarin en tête, pensaient bien aussi à soutenir la sainte cause. Il n’y eut pas une minute d’hésitation. Mais on ne se jette pas dans une pareille entreprise sans préparatifs d’aucune sorte. Bon pour la rafataille, d’agir ainsi étourdiment.

Avant tout, il fallait des costumes. Et ils furent commandés ; de superbes costumes renouvelés de la croisade, longues lévites noires, avec une grande croix blanche sur la poitrine, et partout, devant, derrière, des entrelacements de fémurs soutachés. La soutache surtout prit beaucoup de temps.

Quand tout fut prêt, le couvent était déjà investi. Les troupes l’entouraient d’un triple cercle, campées dans les champs et sur les pentes pierreuses de la petite colline.

Les pantalons rouges de loin semblaient dans le thym et la lavande une floraison subite de coquelicots.

On rencontrait par les chemins de continuelles patrouilles de cavaliers, la carabine le long de la cuisse, le fourreau de sabre battant le flanc du cheval, l’étui de revolver à la ceinture.

Mais ce déploiement de forces n’était pas pour arrêter l’intrépide Tartarin, qui avait résolu de passer, ainsi qu’un gros de messieurs du cercle.

À la file indienne, rampant sur les mains et les genoux avec toutes les précautions, toutes les ruses classiques des sauvages de Fenimore, ils réussirent à se glisser à travers les lignes d’investissement, longeant les rangées des tentes endormies, tournant les sentinelles, les patrouilles, et de l’un à l’autre se signalant les passages dangereux par une imparfaite imitation de cris d’oiseaux.

Il en fallait du courage pour tenter l’aventure par ces nuits claires comme un plein jour ; Il est vrai de dire que les assiégeants avaient tout intérêt à laisser entrer le plus de monde possible.

Ce qu’on voulait, c’était affamer l’abbaye plutôt que l’emporter de vive force. Aussi les soldats détournaient-ils volontiers la tête en voyant ces ombres errantes au clair de la lune et des étoiles. Plus d’un officier, qui avait pris l’absinthe au cercle avec l’illustre tueur de lions, le reconnut de loin malgré son déguisement et le salua d’un appel familier :

« Bonne nuit, monsieur Tartarin ! »

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« Franquebalme, mon bon…, Je ne suis pas content de la France ! … Nos gouvernants nous font de tout. »

Proférées un soir par Tartarin devant la cheminée du cercle, avec le geste et l’accent qu’on imagine, ces paroles mémorables résument bien ce qui se pensait et disait à Tarascon-sur-Rhône deux ou trois mois avant l’émigration. Le Tarasconnais en général ne s’occupe pas de politique : indolent de nature, indifférent à tout ce qui ne l’atteint pas localement, il tient pour l’état de choses, comme il dit. Pas moins, depuis quelque temps, on lui reprochait un tas de choses, à l’état de choses !

« Nos gouvernants nous font de tout ! » disait Tartarin.

Dans ce « de tout » il y avait d’abord l’interdiction des courses de taureaux.

Vous connaissez sans doute l’histoire de ce Tarasconnais très mauvais chrétien et garnement de la pire espèce, lequel après sa mort s’étant introduit au Paradis par surprise, pendant que saint Pierre avait le dos tourné, n’en voulait plus sortir, malgré les supplications du divin porte-clefs. Alors, que fit le grand saint Pierre ? Il envoya toute une volée d’anges clamer devant le ciel autant qu’ils auraient de voix :

« Té ! té ! … les bœufs ! … Té ! té ! … Les bœufs ! … » Qui est le cri des courses tarasconnaises. Oyant cela, le bandit change de figure :

« Vous avez donc des courses, par ici, grand saint Pierre ?

– Des courses ? … Je crois bien magnifiques, mon bon.

– Où donc ça ? … où se font-elles, ces courses ?

– Devant le Paradis… Il y a du large, tu penses.

Du coup le Tarasconnais se précipite dehors pour voir, et les portes du ciel se referment sur lui à tout jamais.

Si je rappelle ici cette légende aussi vieille que les bancs du tour-de-ville, c’est afin d’indiquer la passion des gens de Tarascon pour les courses de taureaux et la colère où les mit la suppression de ce genre d’exercice.

Après, vint l’ordre d’expulser les Pères-Blancs de fermer leur joli couvent de Pampérigouste, perché sur une collinette toute grise de thym et de lavande installé là depuis des siècles aux portes de la ville, d’où l’on aperçoit, entre les pins, la dentelle de ses clochetons carillonnant dans les brises claires du matin avec le chant des alouettes, au crépuscule avec le cri mélancolique des courlis.

Les Tarasconnais les aimaient beaucoup, leurs Pères-Blancs, doux, bons, inoffensifs, et qui savaient tirer des herbes parfumées dont la montagnette est couverte un si excellent élixir ; ils les aimaient pareillement pour leurs pâtés d’hirondelles et leurs délicieux pains-poires, qui sont des coings enveloppés d’une pâte fine et dorée, d’où le nom de Pampérigouste donné à l’abbaye.

Aussi quand l’ordre officiel d’avoir à quitter leur couvent fut envoyé aux Pères et que ceux-ci refusèrent de sortir, quinze cents à deux mille Tarasconnais du commun, portefaix, décrotteurs, déchargeurs de bateaux du Rhône, ce que nous appelons la rafataille, vinrent s’enfermer dans Pampérigouste avec les bons moines.

La bourgeoisie tarasconnaise, les messieurs du cercle, Tartarin en tête, pensaient bien aussi à soutenir la sainte cause. Il n’y eut pas une minute d’hésitation. Mais on ne se jette pas dans une pareille entreprise sans préparatifs d’aucune sorte. Bon pour la rafataille, d’agir ainsi étourdiment.

Avant tout, il fallait des costumes. Et ils furent commandés ; de superbes costumes renouvelés de la croisade, longues lévites noires, avec une grande croix blanche sur la poitrine, et partout, devant, derrière, des entrelacements de fémurs soutachés. La soutache surtout prit beaucoup de temps.

Quand tout fut prêt, le couvent était déjà investi. Les troupes l’entouraient d’un triple cercle, campées dans les champs et sur les pentes pierreuses de la petite colline.

Les pantalons rouges de loin semblaient dans le thym et la lavande une floraison subite de coquelicots.

On rencontrait par les chemins de continuelles patrouilles de cavaliers, la carabine le long de la cuisse, le fourreau de sabre battant le flanc du cheval, l’étui de revolver à la ceinture.

Mais ce déploiement de forces n’était pas pour arrêter l’intrépide Tartarin, qui avait résolu de passer, ainsi qu’un gros de messieurs du cercle.

À la file indienne, rampant sur les mains et les genoux avec toutes les précautions, toutes les ruses classiques des sauvages de Fenimore, ils réussirent à se glisser à travers les lignes d’investissement, longeant les rangées des tentes endormies, tournant les sentinelles, les patrouilles, et de l’un à l’autre se signalant les passages dangereux par une imparfaite imitation de cris d’oiseaux.

Il en fallait du courage pour tenter l’aventure par ces nuits claires comme un plein jour ; Il est vrai de dire que les assiégeants avaient tout intérêt à laisser entrer le plus de monde possible.

Ce qu’on voulait, c’était affamer l’abbaye plutôt que l’emporter de vive force. Aussi les soldats détournaient-ils volontiers la tête en voyant ces ombres errantes au clair de la lune et des étoiles. Plus d’un officier, qui avait pris l’absinthe au cercle avec l’illustre tueur de lions, le reconnut de loin malgré son déguisement et le salua d’un appel familier :

« Bonne nuit, monsieur Tartarin ! »

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