On n’est pas que des bœufs

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book On n’est pas que des bœufs by ALPHONSE ALLAIS, GILBERT TEROL
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Author: ALPHONSE ALLAIS ISBN: 1230000244371
Publisher: GILBERT TEROL Publication: June 3, 2014
Imprint: Language: French
Author: ALPHONSE ALLAIS
ISBN: 1230000244371
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: June 3, 2014
Imprint:
Language: French

Une des causes — et non la moindre — du succès des troupes japonaises sur les armées chinoises, est dans l’utilisation faite par les Japonais des culs-de-jatte, considérés, jusqu’à présent, comme inaptes au combat.

En France, comme, d’ailleurs, dans tous les pays occidentaux, lorsqu’un cul-de-jatte se présente au conseil de révision, une vieille coutume veut qu’on ne lui mesure pas la largeur du thorax, qu’on ne le fasse même pas se redresser sous la toise. Le médecin, tout de suite, le déclare impropre au service militaire.

Cette façon d’agir fut consacrée, voilà deux ou trois ans, par une éloquente circulaire du général Poilloüe de Saint-Mars, commençant par ces mots :

« Le pied est un organe des plus utile au fonctionnement de tout bon fantassin. »

Au Japon, il en est tout autrement.

Les culs-de-jatte sont, au contraire, extrêmement recherchés par l’administration militaire.

On les incorpore dans un régiment qui porte un nom japonais assez compliqué dont je ne puis me souvenir. Cet oubli, que je compte bien réparer un de ces jours, est d’autant moins grave que je me rappelle la signification de ce nom japonais si compliqué. Il se traduit exactement ainsi : Régiment de culs-de-jatte.

Dans l’organisation militaire du Japon, le cul-de-jatte est doublement utilisé comme éclaireur et comme combattant.

Les services qu’un cul-de-jatte peut rendre comme éclaireur n’échapperont à personne. Sa petite taille lui permet de dissimuler sa présence à l’ennemi et de passer inaperçu dans des endroits où un brillant état-major à cheval, chamarré de dorures et de décorations, se ferait forcément remarquer de l’ennemi le moins perspicace.

Une disposition des plus ingénieuses ajoute encore à l’invisibilité de ces éclaireurs ; chaque cul-de-jatte est muni d’une série de légers costumes en podh-ball, affectant la forme de cache-poussière et teints en nuances différentes. Selon la couleur des milieux dans lesquels il évolue, l’éclaireur revêt un costume d’un ton analogue : gris sur les routes, verts dans la campagne, couleur caca dans les tableaux de Bonnat.

Le cul-de-jatte est installé, non point sur une selle de bois, comme en Europe, mais bien sur une sorte de tout petit véhicule automobile qui lui permet de garder la libre disposition de ses bras et de ses mains.

Rien de plus confortable que cette minuscule voiture fort bien suspendue, ma foi, sur d’excellents ressorts (système A. Boudin), et dont les roues sont garnies de ces fameux pneus gordiens dont Alexandre le Grand n’eut raison qu’à coups de sabre.

La machine adoptée est le moteur à gaz, système Armand Silvestre, si simple, et si pratique à la fois, puisque, en dehors de son rôle tracteur, il permet de remettre immédiatement le pneu en état, au cas où un accident l’aurait dégonflé.

Avec ce moteur, pas de combustible à emporter, pas de piles électriques ! Rien que cet accumulateur naturel qu’on nomme le haricot.

Au point de vue du combat, le cul-de-jatte n’est pas un auxiliaire moins précieux.

Dans les feux de salve, placé immédiatement devant la ligne des troupes, il évite aux premiers rangs la peine de se mettre à genoux. (Cette économie de fatigue permit souvent à l’armée japonaise de doubler les étapes et de tomber sur le poil des Chinois au moment où les fils du Ciel s’y attendaient le moins.)

En tirailleur, le cul-de-jatte devient un adversaire redoutable. Le moindre tronc d’arbre lui sert de rempart, la moindre taupinière de refuge.

De ces abris improvisés, il dirige sur l’ennemi un feu désastrifère et catastrophophore. Être frappé sans voir qui vous frappe ! Ô rage, ô désespoir !

Le bref espace dont je dispose me contraint malheureusement à écourter cette chronique militaire.

J’ai cru faire mon devoir en signalant à notre ministère de la guerre une innovation qui, bien comprise, pourrait faire de la France une nation prospère à l’intérieur, respectées au dehors.

Certes, je ne mets pas en doute le patriotisme du grand état-major ; mais osera-t-il secouer l’indolence légendaire des bureaux et prendre sur lui d’accomplir quelque chose de véritablement neuf ? Je ne le crois pas.

Pauvre France !

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Une des causes — et non la moindre — du succès des troupes japonaises sur les armées chinoises, est dans l’utilisation faite par les Japonais des culs-de-jatte, considérés, jusqu’à présent, comme inaptes au combat.

En France, comme, d’ailleurs, dans tous les pays occidentaux, lorsqu’un cul-de-jatte se présente au conseil de révision, une vieille coutume veut qu’on ne lui mesure pas la largeur du thorax, qu’on ne le fasse même pas se redresser sous la toise. Le médecin, tout de suite, le déclare impropre au service militaire.

Cette façon d’agir fut consacrée, voilà deux ou trois ans, par une éloquente circulaire du général Poilloüe de Saint-Mars, commençant par ces mots :

« Le pied est un organe des plus utile au fonctionnement de tout bon fantassin. »

Au Japon, il en est tout autrement.

Les culs-de-jatte sont, au contraire, extrêmement recherchés par l’administration militaire.

On les incorpore dans un régiment qui porte un nom japonais assez compliqué dont je ne puis me souvenir. Cet oubli, que je compte bien réparer un de ces jours, est d’autant moins grave que je me rappelle la signification de ce nom japonais si compliqué. Il se traduit exactement ainsi : Régiment de culs-de-jatte.

Dans l’organisation militaire du Japon, le cul-de-jatte est doublement utilisé comme éclaireur et comme combattant.

Les services qu’un cul-de-jatte peut rendre comme éclaireur n’échapperont à personne. Sa petite taille lui permet de dissimuler sa présence à l’ennemi et de passer inaperçu dans des endroits où un brillant état-major à cheval, chamarré de dorures et de décorations, se ferait forcément remarquer de l’ennemi le moins perspicace.

Une disposition des plus ingénieuses ajoute encore à l’invisibilité de ces éclaireurs ; chaque cul-de-jatte est muni d’une série de légers costumes en podh-ball, affectant la forme de cache-poussière et teints en nuances différentes. Selon la couleur des milieux dans lesquels il évolue, l’éclaireur revêt un costume d’un ton analogue : gris sur les routes, verts dans la campagne, couleur caca dans les tableaux de Bonnat.

Le cul-de-jatte est installé, non point sur une selle de bois, comme en Europe, mais bien sur une sorte de tout petit véhicule automobile qui lui permet de garder la libre disposition de ses bras et de ses mains.

Rien de plus confortable que cette minuscule voiture fort bien suspendue, ma foi, sur d’excellents ressorts (système A. Boudin), et dont les roues sont garnies de ces fameux pneus gordiens dont Alexandre le Grand n’eut raison qu’à coups de sabre.

La machine adoptée est le moteur à gaz, système Armand Silvestre, si simple, et si pratique à la fois, puisque, en dehors de son rôle tracteur, il permet de remettre immédiatement le pneu en état, au cas où un accident l’aurait dégonflé.

Avec ce moteur, pas de combustible à emporter, pas de piles électriques ! Rien que cet accumulateur naturel qu’on nomme le haricot.

Au point de vue du combat, le cul-de-jatte n’est pas un auxiliaire moins précieux.

Dans les feux de salve, placé immédiatement devant la ligne des troupes, il évite aux premiers rangs la peine de se mettre à genoux. (Cette économie de fatigue permit souvent à l’armée japonaise de doubler les étapes et de tomber sur le poil des Chinois au moment où les fils du Ciel s’y attendaient le moins.)

En tirailleur, le cul-de-jatte devient un adversaire redoutable. Le moindre tronc d’arbre lui sert de rempart, la moindre taupinière de refuge.

De ces abris improvisés, il dirige sur l’ennemi un feu désastrifère et catastrophophore. Être frappé sans voir qui vous frappe ! Ô rage, ô désespoir !

Le bref espace dont je dispose me contraint malheureusement à écourter cette chronique militaire.

J’ai cru faire mon devoir en signalant à notre ministère de la guerre une innovation qui, bien comprise, pourrait faire de la France une nation prospère à l’intérieur, respectées au dehors.

Certes, je ne mets pas en doute le patriotisme du grand état-major ; mais osera-t-il secouer l’indolence légendaire des bureaux et prendre sur lui d’accomplir quelque chose de véritablement neuf ? Je ne le crois pas.

Pauvre France !

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