Author: | PIERRE KROPOTKINE | ISBN: | 1230000212300 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | PIERRE KROPOTKINE |
ISBN: | 1230000212300 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Si quelqu’un doutait de la nécessité dans laquelle se trouvait la Révolution, d’éloigner de la Convention les principaux hommes du parti de la Gironde, il n’aurait qu’à jeter un coup d’œil sur l’œuvre législative que la Convention se mit à accomplir, dès que l’opposition de la droite fut brisée.
L’impôt forcé sur les riches, pour subvenir aux frais immenses de la guerre, la fixation du prix maximum des denrées, le retour aux communes des terres que les seigneurs leur avaient enlevées dès 1669, l’abolition définitive et sans rachat des droits féodaux, les lois sur les successions, faites pour disséminer les fortunes et les égaliser, la Constitution démocratique de 1793, — toutes ces mesures se suivirent rapidement, dès que les Droites furent affaiblies par l’expulsion des chefs girondins.
Cette période, qui dura du 31 mai 1793 au 27 juillet 1794 (9 thermidor de l’an II de la République), représente la période la plus importante de toute la Révolution. Les grands changements dans les rapports entre citoyens, dont l’Assemblée constituante ébaucha le programme pendant la nuit du 4 août 1789, s’accomplissaient enfin, après quatre ans de résistance, par la Convention épurée, sous la pression de la révolution populaire. Et c’est le peuple, ce sont les « sans-culottes », comme on disait alors, qui, non seulement forcent la Convention à légiférer dans ce sens, après lui en avoir donné le moyen, par l’insurrection du 31 mai ; mais ce sont encore eux qui mettent ces mesures à exécution sur place, par le moyen des sociétés populaires, auxquelles s’adressent les conventionnels en mission lorsqu’ils doivent créer sur les lieux la force exécutive.
La famine continue à régner pendant cette période, et la guerre, que la République doit soutenir contre la coalition du roi de Prusse, de l’empereur d’Allemagne, du roi de Sardaigne, et du roi d’Espagne, poussés et soudoyés par l’Angleterre, prend des proportions terribles. Les besoins de cette guerre sont immenses ; on ne s’en fait pas même idée si on ne prend pas note des menus détails qui se rencontrent dans les documents de l’époque et qui figurent la pénurie, la ruine à laquelle la France est acculée par l’invasion. Dans ces circonstances vraiment tragiques, lorsque tout manque, — le pain, les souliers, les bêtes de trait, le fer, le plomb, le salpêtre, et lorsque rien ne peut entrer ni par terre, à travers les quatre cent mille hommes lancés contre la France par les alliés, ni par mer, à travers le cercle de vaisseaux anglais qui font le blocus, — dans ces circonstances se débattent les sans-culottes pour sauver la Révolution qui semble prête à sombrer.
En même temps, tout ce qui tient pour l’ancien régime, tout ce qui occupait jadis des positions privilégiées et tout ce qui espère, soit reprendre ces positions, soit s’en créer de nouvelles sous le régime monarchiste, dès qu’il sera rétabli — le clergé, les nobles, les bourgeois enrichis par la Révolution — tous conspirent contre elle. Ceux qui lui restent fidèles doivent se débattre entre ce cercle de baïonnettes et de canons qui se serre autour d’eux, et la conspiration intérieure qui cherche à les frapper dans le dos.
Voyant cela, les sans-culottes s’empressent de faire en sorte que lorsque la réaction aura repris le dessus, elle trouve une France nouvelle, régénérée : le paysan en possession de la terre, le travailleur des villes accoutumé à l’égalité et à la démocratie, l’aristocratie et le clergé dépouillés des fortunes qui faisaient leur vraie force, et ces fortunes passées déjà en des milliers d’autres mains, morcelées, entièrement changées d’aspect, méconnaissables, pour ainsi dire, impossibles à restituer.
La vraie histoire de ces treize mois — juin 1793 à juillet 1794 — n’a encore jamais été faite. Les documents qui serviront un jour pour l’écrire existent dans les archives provinciales, dans les rapports et lettres des Conventionnels en mission, dans les minutes des municipalités, des sociétés populaires, etc. Mais ils n’ont pas encore été dépouillés avec le soin qui a été donné aux actes concernant la législation de la Révolution, et il faudrait se presser pourtant, puisqu’ils disparaissent rapidement. Cela demandera sans doute le travail d’une d’une vie ; mais sans ce travail l’histoire de la Révolution restera inachevée.
Ce que les historiens ont surtout étudié pendant cette période, c’est la guerre — et la Terreur. Et cependant-là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est l’œuvre immense de dispersement des propriétés foncières, l’œuvre de démocratisation et de déchristianisation de la France qui fut accomplie pendant ces treize mois. Raconter ce travail immense, avec toutes les luttes auxquelles il donna naissance sur les lieux, dans chaque ville et chaque hameau de la France — sera l’œuvre d’un futur historien. Tout ce que nous pouvons faire aujourd’hui, c’est d’en relever quelques traits principaux.
Si quelqu’un doutait de la nécessité dans laquelle se trouvait la Révolution, d’éloigner de la Convention les principaux hommes du parti de la Gironde, il n’aurait qu’à jeter un coup d’œil sur l’œuvre législative que la Convention se mit à accomplir, dès que l’opposition de la droite fut brisée.
L’impôt forcé sur les riches, pour subvenir aux frais immenses de la guerre, la fixation du prix maximum des denrées, le retour aux communes des terres que les seigneurs leur avaient enlevées dès 1669, l’abolition définitive et sans rachat des droits féodaux, les lois sur les successions, faites pour disséminer les fortunes et les égaliser, la Constitution démocratique de 1793, — toutes ces mesures se suivirent rapidement, dès que les Droites furent affaiblies par l’expulsion des chefs girondins.
Cette période, qui dura du 31 mai 1793 au 27 juillet 1794 (9 thermidor de l’an II de la République), représente la période la plus importante de toute la Révolution. Les grands changements dans les rapports entre citoyens, dont l’Assemblée constituante ébaucha le programme pendant la nuit du 4 août 1789, s’accomplissaient enfin, après quatre ans de résistance, par la Convention épurée, sous la pression de la révolution populaire. Et c’est le peuple, ce sont les « sans-culottes », comme on disait alors, qui, non seulement forcent la Convention à légiférer dans ce sens, après lui en avoir donné le moyen, par l’insurrection du 31 mai ; mais ce sont encore eux qui mettent ces mesures à exécution sur place, par le moyen des sociétés populaires, auxquelles s’adressent les conventionnels en mission lorsqu’ils doivent créer sur les lieux la force exécutive.
La famine continue à régner pendant cette période, et la guerre, que la République doit soutenir contre la coalition du roi de Prusse, de l’empereur d’Allemagne, du roi de Sardaigne, et du roi d’Espagne, poussés et soudoyés par l’Angleterre, prend des proportions terribles. Les besoins de cette guerre sont immenses ; on ne s’en fait pas même idée si on ne prend pas note des menus détails qui se rencontrent dans les documents de l’époque et qui figurent la pénurie, la ruine à laquelle la France est acculée par l’invasion. Dans ces circonstances vraiment tragiques, lorsque tout manque, — le pain, les souliers, les bêtes de trait, le fer, le plomb, le salpêtre, et lorsque rien ne peut entrer ni par terre, à travers les quatre cent mille hommes lancés contre la France par les alliés, ni par mer, à travers le cercle de vaisseaux anglais qui font le blocus, — dans ces circonstances se débattent les sans-culottes pour sauver la Révolution qui semble prête à sombrer.
En même temps, tout ce qui tient pour l’ancien régime, tout ce qui occupait jadis des positions privilégiées et tout ce qui espère, soit reprendre ces positions, soit s’en créer de nouvelles sous le régime monarchiste, dès qu’il sera rétabli — le clergé, les nobles, les bourgeois enrichis par la Révolution — tous conspirent contre elle. Ceux qui lui restent fidèles doivent se débattre entre ce cercle de baïonnettes et de canons qui se serre autour d’eux, et la conspiration intérieure qui cherche à les frapper dans le dos.
Voyant cela, les sans-culottes s’empressent de faire en sorte que lorsque la réaction aura repris le dessus, elle trouve une France nouvelle, régénérée : le paysan en possession de la terre, le travailleur des villes accoutumé à l’égalité et à la démocratie, l’aristocratie et le clergé dépouillés des fortunes qui faisaient leur vraie force, et ces fortunes passées déjà en des milliers d’autres mains, morcelées, entièrement changées d’aspect, méconnaissables, pour ainsi dire, impossibles à restituer.
La vraie histoire de ces treize mois — juin 1793 à juillet 1794 — n’a encore jamais été faite. Les documents qui serviront un jour pour l’écrire existent dans les archives provinciales, dans les rapports et lettres des Conventionnels en mission, dans les minutes des municipalités, des sociétés populaires, etc. Mais ils n’ont pas encore été dépouillés avec le soin qui a été donné aux actes concernant la législation de la Révolution, et il faudrait se presser pourtant, puisqu’ils disparaissent rapidement. Cela demandera sans doute le travail d’une d’une vie ; mais sans ce travail l’histoire de la Révolution restera inachevée.
Ce que les historiens ont surtout étudié pendant cette période, c’est la guerre — et la Terreur. Et cependant-là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est l’œuvre immense de dispersement des propriétés foncières, l’œuvre de démocratisation et de déchristianisation de la France qui fut accomplie pendant ces treize mois. Raconter ce travail immense, avec toutes les luttes auxquelles il donna naissance sur les lieux, dans chaque ville et chaque hameau de la France — sera l’œuvre d’un futur historien. Tout ce que nous pouvons faire aujourd’hui, c’est d’en relever quelques traits principaux.