La Fiancée de Lammermoor

Romance
Cover of the book La Fiancée de Lammermoor by Walter Scott, GILBERT TEROL
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Author: Walter Scott ISBN: 1230002801315
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 6, 2018
Imprint: Language: French
Author: Walter Scott
ISBN: 1230002801315
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 6, 2018
Imprint:
Language: French

Peu de personnes ont été dans mon secret, pendant que je compilais ces récits, et il n’est pas probable qu’ils soient jamais rendus publics tant que vivra leur auteur. Quand même ils verraient le jour, je n’ambitionne aucunement l’honorable distinction d’être montré au doigt. J’avoue que, dans la supposition qu’il n’y aurait aucun danger à se bercer de pareils rêves, j’éprouverais infiniment plus de satisfaction à me tenir derrière le rideau, comme l’ingénieux directeur du spectacle de Polichinelle et de sa femme Jeanne, où, sans être vu, j’aurais le plaisir de voir l’étonnement et d’entendre les conjectures de mes auditeurs. Alors peut-être je pourrais voir les productions de l’obscur Pierre Pattieson, louées par les esprits judicieux et admirées par les âmes sensibles, charmant la jeunesse, et intéressant même la vieillesse ; tandis que le critique en attribuerait la composition à un auteur de quelque célébrité, et que la question de savoir par qui et à quelle époque ces contes ont été écrits remplirait le vide de la conversation dans mille cercles et coteries. Il est très-possible que je ne jouisse pas de ce plaisir durant ma vie ; mais ce qu’il y a de bien certain, c’est que ma vanité ne me portera jamais à rien désirer au-delà.

Je tiens trop opiniâtrement à mes habitudes, et je suis trop ennemi de la gloire humaine, pour envier, ou pour rechercher les honneurs accordés à mes contemporains confrères en littérature. Je ne saurais avoir une plus haute opinion de mon propre mérite, quand même je serais jugé digne d’être offert en spectacle, jouant le rôle d’un lion, pendant un hiver, dans la grande métropole. Je ne pourrais me faire à l’idée de me lever, de me retourner, de déployer toutes les belles formes de mon corps, depuis ma longue et épaisse crinière jusqu’à la grosse touffe de ma queue, de rugir « d’une voix de rossignol, » et puis de me coucher de nouveau comme une bête bien élevée de spectacle forain, et tout cela pour la modique ration d’une tasse de café et d’une tartine de pain et de beurre aussi mince qu’une oublie. D’ailleurs je m’accommoderais peu de la flatterie fastidieuse que la dame de la soirée prodigue à ses animaux en pareilles occasions, de même qu’elle rassasie ses perroquets de dragées, pour les faire parler devant la compagnie. Je ne puis être tenté de me mettre en scène pour le plaisir de recevoir de pareilles distinctions, et, comme Samson captif, j’aimerais mieux, si telle était l’alternative, rester toute ma vie au moulin, occupé à tourner la meule, uniquement pour ma subsistance, que d’être amené pour servir de jouet aux seigneurs philistins et à leurs dames. Ce n’est pas l’effet d’une antipathie, réelle ou affectée, contre l’aristocratie des royaumes d’Angleterre ; mais chacun à sa place, et, comme le pot de fer et le pot de terre de la fable, nous ne pourrions guère nous heurter l’un contre l’autre sans que j’en fusse la victime. Il peut ne pas en être de même des feuilles que j’écris en ce moment. Mon livre peut être ouvert ou mis de côté, au gré de chacun ; en s’amusant à le parcourir, les grands n’exciteront aucune fausse espérance ; en le dédaignant, ou en le condamnant, ils ne blesseront aucun amour-propre : et combien il est rare qu’ils aient des relations avec ceux qui se sont fatigués pour leur procurer du plaisir sans faire l’un ou l’autre !

Plein d’un sentiment plus sage et plus réfléchi que celui qu’Ovide exprime dans un vers pour le rétracter dans le suivant, je puis dire à mon livre :

Parve, nec invideo, sine me, liber, ibis in urbem.

Je ne partage pas le regret de cet illustre exilé de ne pouvoir accompagner lui-même en personne le volume qu’il envoyait à la ville devenue le centre de la littérature, du plaisir et des richesses. N’y eût-il pas cent exemples semblables à citer, le sort de mon pauvre ami et camarade d’école, Tinto, suffirait pour me mettre en garde contre le désir de chercher le bonheur dans la célébrité attachée à celui qui cultive les beaux-arts avec succès.

Dick Tinto, lorsqu’il se déclarait artiste, avait coutume de dire qu’il tirait son origine de l’ancienne famille de Tinto, de la ville du même nom, dans le comté de Lanark, et lorsque l’occasion s’en présentait, donnait à entendre qu’il avait en quelque sorte dérogé de ses nobles ancêtres en faisant du pinceau son seul moyen d’existence. Mais si la généalogie de Dick était exacte, quelqu’un de ses ayeux devait avoir cruellement dégénéré, puisque son brave homme de père exerçait le métier nécessaire, et j’espère, honnête, quoiqu’assurément peu distingué, de tailleur ordinaire du village de Langdirdum, dans la partie occidentale de l’Écosse. Ce fut sous son humble toit que naquit Richard, et ce fut dans l’humble métier de son père que Richard, bien contre son inclination, se vit de bonne heure mis légalement en apprentissage. Le vieux Tinto n’eut cependant pas lieu de se féliciter d’avoir forcé le génie naissant de son fils à se détourner de sa pente naturelle. Il eut le sort du jeune écolier qui essaie de boucher avec son doigt le tuyau par lequel s’écoule l’eau d’une citerne, tandis que le courant, irrité de cet obstacle, s’échappe par mille jets imprévus, et que tout ce que notre étourdi a gagné, c’est d’avoir été mouillé de la tête jusqu’aux pieds. C’est justement ce qui arriva au vieux Tinto. En effet son apprenti, sur lequel il fondait de si belles espérances, épuisa toute la craie non seulement en faisant des esquisses sur l’établi, mais encore en dessinant diverses caricatures des meilleures pratiques de son père, qui commencèrent à se plaindre hautement et à dire qu’il était trop dur de se voir défiguré par les vêtements du père, et en même temps tourné en ridicule par le crayon du fils. Voyant enfin son crédit et ses pratiques perdus, le vieux tailleur céda au destin et aux instances de son fils, et lui permît de tenter la fortune dans un état pour lequel il avait plus de dispositions.

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Peu de personnes ont été dans mon secret, pendant que je compilais ces récits, et il n’est pas probable qu’ils soient jamais rendus publics tant que vivra leur auteur. Quand même ils verraient le jour, je n’ambitionne aucunement l’honorable distinction d’être montré au doigt. J’avoue que, dans la supposition qu’il n’y aurait aucun danger à se bercer de pareils rêves, j’éprouverais infiniment plus de satisfaction à me tenir derrière le rideau, comme l’ingénieux directeur du spectacle de Polichinelle et de sa femme Jeanne, où, sans être vu, j’aurais le plaisir de voir l’étonnement et d’entendre les conjectures de mes auditeurs. Alors peut-être je pourrais voir les productions de l’obscur Pierre Pattieson, louées par les esprits judicieux et admirées par les âmes sensibles, charmant la jeunesse, et intéressant même la vieillesse ; tandis que le critique en attribuerait la composition à un auteur de quelque célébrité, et que la question de savoir par qui et à quelle époque ces contes ont été écrits remplirait le vide de la conversation dans mille cercles et coteries. Il est très-possible que je ne jouisse pas de ce plaisir durant ma vie ; mais ce qu’il y a de bien certain, c’est que ma vanité ne me portera jamais à rien désirer au-delà.

Je tiens trop opiniâtrement à mes habitudes, et je suis trop ennemi de la gloire humaine, pour envier, ou pour rechercher les honneurs accordés à mes contemporains confrères en littérature. Je ne saurais avoir une plus haute opinion de mon propre mérite, quand même je serais jugé digne d’être offert en spectacle, jouant le rôle d’un lion, pendant un hiver, dans la grande métropole. Je ne pourrais me faire à l’idée de me lever, de me retourner, de déployer toutes les belles formes de mon corps, depuis ma longue et épaisse crinière jusqu’à la grosse touffe de ma queue, de rugir « d’une voix de rossignol, » et puis de me coucher de nouveau comme une bête bien élevée de spectacle forain, et tout cela pour la modique ration d’une tasse de café et d’une tartine de pain et de beurre aussi mince qu’une oublie. D’ailleurs je m’accommoderais peu de la flatterie fastidieuse que la dame de la soirée prodigue à ses animaux en pareilles occasions, de même qu’elle rassasie ses perroquets de dragées, pour les faire parler devant la compagnie. Je ne puis être tenté de me mettre en scène pour le plaisir de recevoir de pareilles distinctions, et, comme Samson captif, j’aimerais mieux, si telle était l’alternative, rester toute ma vie au moulin, occupé à tourner la meule, uniquement pour ma subsistance, que d’être amené pour servir de jouet aux seigneurs philistins et à leurs dames. Ce n’est pas l’effet d’une antipathie, réelle ou affectée, contre l’aristocratie des royaumes d’Angleterre ; mais chacun à sa place, et, comme le pot de fer et le pot de terre de la fable, nous ne pourrions guère nous heurter l’un contre l’autre sans que j’en fusse la victime. Il peut ne pas en être de même des feuilles que j’écris en ce moment. Mon livre peut être ouvert ou mis de côté, au gré de chacun ; en s’amusant à le parcourir, les grands n’exciteront aucune fausse espérance ; en le dédaignant, ou en le condamnant, ils ne blesseront aucun amour-propre : et combien il est rare qu’ils aient des relations avec ceux qui se sont fatigués pour leur procurer du plaisir sans faire l’un ou l’autre !

Plein d’un sentiment plus sage et plus réfléchi que celui qu’Ovide exprime dans un vers pour le rétracter dans le suivant, je puis dire à mon livre :

Parve, nec invideo, sine me, liber, ibis in urbem.

Je ne partage pas le regret de cet illustre exilé de ne pouvoir accompagner lui-même en personne le volume qu’il envoyait à la ville devenue le centre de la littérature, du plaisir et des richesses. N’y eût-il pas cent exemples semblables à citer, le sort de mon pauvre ami et camarade d’école, Tinto, suffirait pour me mettre en garde contre le désir de chercher le bonheur dans la célébrité attachée à celui qui cultive les beaux-arts avec succès.

Dick Tinto, lorsqu’il se déclarait artiste, avait coutume de dire qu’il tirait son origine de l’ancienne famille de Tinto, de la ville du même nom, dans le comté de Lanark, et lorsque l’occasion s’en présentait, donnait à entendre qu’il avait en quelque sorte dérogé de ses nobles ancêtres en faisant du pinceau son seul moyen d’existence. Mais si la généalogie de Dick était exacte, quelqu’un de ses ayeux devait avoir cruellement dégénéré, puisque son brave homme de père exerçait le métier nécessaire, et j’espère, honnête, quoiqu’assurément peu distingué, de tailleur ordinaire du village de Langdirdum, dans la partie occidentale de l’Écosse. Ce fut sous son humble toit que naquit Richard, et ce fut dans l’humble métier de son père que Richard, bien contre son inclination, se vit de bonne heure mis légalement en apprentissage. Le vieux Tinto n’eut cependant pas lieu de se féliciter d’avoir forcé le génie naissant de son fils à se détourner de sa pente naturelle. Il eut le sort du jeune écolier qui essaie de boucher avec son doigt le tuyau par lequel s’écoule l’eau d’une citerne, tandis que le courant, irrité de cet obstacle, s’échappe par mille jets imprévus, et que tout ce que notre étourdi a gagné, c’est d’avoir été mouillé de la tête jusqu’aux pieds. C’est justement ce qui arriva au vieux Tinto. En effet son apprenti, sur lequel il fondait de si belles espérances, épuisa toute la craie non seulement en faisant des esquisses sur l’établi, mais encore en dessinant diverses caricatures des meilleures pratiques de son père, qui commencèrent à se plaindre hautement et à dire qu’il était trop dur de se voir défiguré par les vêtements du père, et en même temps tourné en ridicule par le crayon du fils. Voyant enfin son crédit et ses pratiques perdus, le vieux tailleur céda au destin et aux instances de son fils, et lui permît de tenter la fortune dans un état pour lequel il avait plus de dispositions.

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