Terres vierges

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Terres vierges by Ivan Tourgueniev, GILBERT TEROL
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Author: Ivan Tourgueniev ISBN: 1230002804767
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 6, 2018
Imprint: Language: French
Author: Ivan Tourgueniev
ISBN: 1230002804767
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 6, 2018
Imprint:
Language: French

Au printemps de 1868, vers une heure de l’après-midi, un jeune homme d’environ vingt-sept ans, négligemment et même pauvrement vêtu, montait par l’escalier de service d’une maison à cinq étages situés dans la rue des Officiers, à Pétersbourg. Traînant avec bruit des galoches éculées et balançant gauchement sa lourde et lente personne, il atteignit enfin la dernière marche de l’escalier, s’arrêta devant une porte délabrée qui était restée entr’ouverte, puis, sans tirer le cordon, mais en toussant avec fracas pour annoncer sa présence, il pénétra dans une antichambre étroite et mal éclairée.

« Néjdanof est-il là ? cria-t-il d’une grosse voix de basse.

— Non, c’est moi, entrez ! répondit de la pièce voisine une voix de femme, assez rude aussi.

— Machourina ? demanda le nouveau venu.

— Oui… Et vous, Ostrodoumof ?

— Pimène Ostrodoumof, » répondit-il.

Aussitôt, il se débarrassa de ses galoches, pendit à un clou son manteau râpé, et entra dans la chambre d’où partait la voix de femme.

C’était une pièce malpropre, au plafond bas, aux murs badigeonnés d’une couleur vert sale, qu’éclairaient à peine deux petites fenêtres poussiéreuses. Elle avait pour tout mobilier un lit de fer dans un coin, une table au milieu, quelques chaises, et une étagère surchargée de livres.

Près de la table était assise, fumant une cigarette, une femme de trente ans environ, nu-tête, vêtue d’une robe de laine noire.

En voyant entrer Ostrodoumof, elle lui tendit silencieusement sa large main rouge. Celui-ci répondit non moins silencieusement à son étreinte, se laissa tomber sur une chaise, et tira de sa poche une moitié de cigare.

Machourina lui donna du feu, il alluma son cigare, et tous deux, sans échanger une parole, ni même un regard, se mirent à lancer des tourbillons de fumée bleuâtre dans l’air épais de la chambre, déjà saturé de tabac.

Les deux fumeurs ne se ressemblaient point par les traits du visage ; mais entre ces deux figures ingrates, aux lèvres épaisses, aux grosses dents, au nez mal taillé (Ostrodoumof, en outre, était grêlé), il y avait quelque chose de commun, une expression de loyauté et d’énergie laborieuse.

« Est-ce que vous avez vu Néjdanof ? demanda enfin Ostrodoumof.

— Oui ; il va venir. Il est allé porter des livres à la bibliothèque.

— Qu’est-ce qu’il a à courir comme ça depuis quelque temps ? dit Ostrodoumof en se détournant pour cracher. Il n’y a plus moyen de mettre la main sur lui. »

Machourina prit un second papiros, et l’allumant consciencieusement :

« Il s’ennuie, répondit-elle.

— Il s’ennuie ! répéta Ostrodoumof d’un ton de reproche. Quel enfantillage ! On dirait que nous n’avons rien à faire ! Nous nous demandons comment nous abattrons toute cette besogne, et lui, il s’ennuie !

— Y a-t-il une lettre de Moscou ? demanda Machourina au bout d’un moment.

— Oui ; depuis avant-hier.

— Vous l’avez lue ? »

Ostrodoumof fit un simple signe de tête affirmatif.

« Et que dit-elle ?

— Il faudra bientôt partir. »

Machourina retira le papiros de sa bouche.

« Pourquoi donc ? On m’avait dit que tout allait bien là-bas.

— Ça va son train. Mais il y a un monsieur qui n’est pas sûr… Vous comprenez… il faut le déplacer, ou bien il faudra peut-être le supprimer tout à fait. Et puis il y a encore différentes choses. Vous aussi, vous êtes convoquée.

— Dans la lettre ?

— Oui, dans la lettre. »

Machourina secoua sa lourde chevelure, qui, négligemment tordue et rattachée en arrière, lui retombait sur le front et les sourcils.

« Très bien, dit-elle ; puisque c’est l’ordre, il n’y a pas à discuter.

— Naturellement. Mais sans argent, pas moyen ; et où le trouver, l’argent ? »

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Au printemps de 1868, vers une heure de l’après-midi, un jeune homme d’environ vingt-sept ans, négligemment et même pauvrement vêtu, montait par l’escalier de service d’une maison à cinq étages situés dans la rue des Officiers, à Pétersbourg. Traînant avec bruit des galoches éculées et balançant gauchement sa lourde et lente personne, il atteignit enfin la dernière marche de l’escalier, s’arrêta devant une porte délabrée qui était restée entr’ouverte, puis, sans tirer le cordon, mais en toussant avec fracas pour annoncer sa présence, il pénétra dans une antichambre étroite et mal éclairée.

« Néjdanof est-il là ? cria-t-il d’une grosse voix de basse.

— Non, c’est moi, entrez ! répondit de la pièce voisine une voix de femme, assez rude aussi.

— Machourina ? demanda le nouveau venu.

— Oui… Et vous, Ostrodoumof ?

— Pimène Ostrodoumof, » répondit-il.

Aussitôt, il se débarrassa de ses galoches, pendit à un clou son manteau râpé, et entra dans la chambre d’où partait la voix de femme.

C’était une pièce malpropre, au plafond bas, aux murs badigeonnés d’une couleur vert sale, qu’éclairaient à peine deux petites fenêtres poussiéreuses. Elle avait pour tout mobilier un lit de fer dans un coin, une table au milieu, quelques chaises, et une étagère surchargée de livres.

Près de la table était assise, fumant une cigarette, une femme de trente ans environ, nu-tête, vêtue d’une robe de laine noire.

En voyant entrer Ostrodoumof, elle lui tendit silencieusement sa large main rouge. Celui-ci répondit non moins silencieusement à son étreinte, se laissa tomber sur une chaise, et tira de sa poche une moitié de cigare.

Machourina lui donna du feu, il alluma son cigare, et tous deux, sans échanger une parole, ni même un regard, se mirent à lancer des tourbillons de fumée bleuâtre dans l’air épais de la chambre, déjà saturé de tabac.

Les deux fumeurs ne se ressemblaient point par les traits du visage ; mais entre ces deux figures ingrates, aux lèvres épaisses, aux grosses dents, au nez mal taillé (Ostrodoumof, en outre, était grêlé), il y avait quelque chose de commun, une expression de loyauté et d’énergie laborieuse.

« Est-ce que vous avez vu Néjdanof ? demanda enfin Ostrodoumof.

— Oui ; il va venir. Il est allé porter des livres à la bibliothèque.

— Qu’est-ce qu’il a à courir comme ça depuis quelque temps ? dit Ostrodoumof en se détournant pour cracher. Il n’y a plus moyen de mettre la main sur lui. »

Machourina prit un second papiros, et l’allumant consciencieusement :

« Il s’ennuie, répondit-elle.

— Il s’ennuie ! répéta Ostrodoumof d’un ton de reproche. Quel enfantillage ! On dirait que nous n’avons rien à faire ! Nous nous demandons comment nous abattrons toute cette besogne, et lui, il s’ennuie !

— Y a-t-il une lettre de Moscou ? demanda Machourina au bout d’un moment.

— Oui ; depuis avant-hier.

— Vous l’avez lue ? »

Ostrodoumof fit un simple signe de tête affirmatif.

« Et que dit-elle ?

— Il faudra bientôt partir. »

Machourina retira le papiros de sa bouche.

« Pourquoi donc ? On m’avait dit que tout allait bien là-bas.

— Ça va son train. Mais il y a un monsieur qui n’est pas sûr… Vous comprenez… il faut le déplacer, ou bien il faudra peut-être le supprimer tout à fait. Et puis il y a encore différentes choses. Vous aussi, vous êtes convoquée.

— Dans la lettre ?

— Oui, dans la lettre. »

Machourina secoua sa lourde chevelure, qui, négligemment tordue et rattachée en arrière, lui retombait sur le front et les sourcils.

« Très bien, dit-elle ; puisque c’est l’ordre, il n’y a pas à discuter.

— Naturellement. Mais sans argent, pas moyen ; et où le trouver, l’argent ? »

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