Nouvelles Genevoise

Fiction & Literature, Historical
Cover of the book Nouvelles Genevoise by Rodolphe Töpffer, GILBERT TEROL
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Author: Rodolphe Töpffer ISBN: 1230002791692
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 4, 2018
Imprint: Language: French
Author: Rodolphe Töpffer
ISBN: 1230002791692
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 4, 2018
Imprint:
Language: French

Il y a des moments dans la vie où une heureuse réunion de circonstances semble fixer sur nous le bonheur. Le calme des passions, l’absence d’inquiétude nous prédisposent à jouir ; et, si au contentement d’esprit vient s’unir une situation matériellement douce, embellie par d’agréables sensations, les heures coulent alors délicieusement, et le sentiment de l’existence se pare de ses plus riantes couleurs.

C’est précisément le cas où se trouvaient les trois personnages que j’avais sous les yeux. Rien au monde dans leur physionomie qui trahît le moindre souci, le plus petit trouble, le plus faible remords ; au contraire, on devinait, au léger rengorgement de leur cou, ce légitime orgueil qui procède du contentement d’esprit : la gravité de leur démarche annonçait le calme de leur cœur, la moralité de leurs pensées ; et, dans ce moment même où, cédant aux molles influences d’un doux soleil, ils venaient de s’endormir, encore semblait-il que de leur sommeil s’exhalât un suave parfum d’innocence et de paix.

Pour moi (l’homme est sujet aux mauvaises pensées), depuis un moment je maniais une pierre. À la fin, fortement sollicité par un malin désir, je la lançai dans la mare tout à côté… Aussitôt les trois têtes sortirent en sursaut de dessous l’aile.

C’étaient trois canards, j’oubliais de le dire. Ils faisaient là leur sieste, tandis qu’assis au bord de la flaque je songeais, presque aussi heureux que mes paisibles compagnons.

Aux champs, l’heure de midi est celle du silence, du repos, de la rêverie. Pendant que le soleil darde à plomb ses rayons sur la plaine, hommes et animaux suspendent leur labeur ; le vent se tait, l’herbe se penche ; les insectes seuls, animés par la chaleur, bourdonnent à l’envi dans les airs, formant une lointaine musique qui semble augmenter le silence même.

À quoi je songeais ? à toutes sortes de choses, petites, grandes, indifférentes ou charmantes à mon cœur. J’écoutais le bruissement des grillons ; ou bien, étendu sur le dos, je regardais au firmament les métamorphoses d’un nuage ; d’autres fois, me couchant contre terre, je considérais, sur le pied d’un saule creux, une mousse humide, toute parsemée d’imperceptibles fleurs ; je découvrais bientôt dans ce petit monde, des montagnes, des vallées, d’ombreux sentiers, fréquentés par quelque insecte d’or, par une fourmi diligente. À tous ces objets s’attachait dans mon esprit une idée de mystère et de puissance qui m’élevait insensiblement de la terre au ciel, et alors, la présence du Créateur se faisant fortement sentir, mon cœur se nourrissait de grandes pensées.

Quelquefois, les yeux fixés sur les montagnes, je songeais à ce qui est derrière, au lointain pays, aux côtes sablonneuses, aux vastes mers ; et si, au milieu de ma course, je venais à heurter quelque autre idée, je la suivais où elle voulait me conduire, si bien que du bout de l’Océan je rebroussais subitement jusque sur le pré voisin, ou sur la manche de mon habit.

Il m’arrivait aussi de tourner les yeux sur le vieux presbytère, à cinquante pas de la mare, derrière moi. Je n’y manquais guère lorsque l’aiguille de l’horloge approchait de l’heure, et qu’à chaque seconde j’attendais de voir, au travers des vieux arceaux du clocher, le marteau s’ébranler, noir sur l’azur du ciel, et retomber sur l’airain. Surtout j’aimais à suivre de l’oreille le tintement sonore que laissait après lui le dernier coup, et j’en recueillais les ondes décroissantes, jusqu’à ce que leur mourante harmonie s’éteignît dans le silence des airs.

Je revenais alors au presbytère, à ses paisibles habitants, à Louise ; et, laissant retomber ma tête sur mon bras, j’errais, en compagnie de mille souvenirs, dans un monde connu de mon cœur seulement.

Ces souvenirs, c’étaient les jeux, les plaisirs, les agrestes passe-temps dans lesquels s’était écoulée notre enfance. Nous avions cultivé des jardins, élevé des oiseaux, fait des feux au coin de la prairie : nous avions mené les bêtes aux champs, monté sur l’âne, abattu les noix et folâtré dans les foins ; pas un cerisier du verger, pas un pêcher de ceux qui cachaient au midi le mur de la cure, qui ne se distinguât pour nous de tous ceux du monde entier par mille souvenirs que ramenait, comme les fruits, chaque saison nouvelle. J’avais (l’enfant est sujet aux mauvaises pensées), j’avais, pour elle, picoré les primeurs chez les notables du voisinage ; pour elle encore j’avais eu des affaires avec le chien, avec le garde champêtre, avec le municipal ; incorrigible tant qu’elle aima les primeurs. Dans ce temps-là, tout entier au présent, j’agissais, je courais, je grimpais ; je songeais peu, je rêvais moins encore, si ce n’est parfois, la nuit, au garde champêtre.

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Il y a des moments dans la vie où une heureuse réunion de circonstances semble fixer sur nous le bonheur. Le calme des passions, l’absence d’inquiétude nous prédisposent à jouir ; et, si au contentement d’esprit vient s’unir une situation matériellement douce, embellie par d’agréables sensations, les heures coulent alors délicieusement, et le sentiment de l’existence se pare de ses plus riantes couleurs.

C’est précisément le cas où se trouvaient les trois personnages que j’avais sous les yeux. Rien au monde dans leur physionomie qui trahît le moindre souci, le plus petit trouble, le plus faible remords ; au contraire, on devinait, au léger rengorgement de leur cou, ce légitime orgueil qui procède du contentement d’esprit : la gravité de leur démarche annonçait le calme de leur cœur, la moralité de leurs pensées ; et, dans ce moment même où, cédant aux molles influences d’un doux soleil, ils venaient de s’endormir, encore semblait-il que de leur sommeil s’exhalât un suave parfum d’innocence et de paix.

Pour moi (l’homme est sujet aux mauvaises pensées), depuis un moment je maniais une pierre. À la fin, fortement sollicité par un malin désir, je la lançai dans la mare tout à côté… Aussitôt les trois têtes sortirent en sursaut de dessous l’aile.

C’étaient trois canards, j’oubliais de le dire. Ils faisaient là leur sieste, tandis qu’assis au bord de la flaque je songeais, presque aussi heureux que mes paisibles compagnons.

Aux champs, l’heure de midi est celle du silence, du repos, de la rêverie. Pendant que le soleil darde à plomb ses rayons sur la plaine, hommes et animaux suspendent leur labeur ; le vent se tait, l’herbe se penche ; les insectes seuls, animés par la chaleur, bourdonnent à l’envi dans les airs, formant une lointaine musique qui semble augmenter le silence même.

À quoi je songeais ? à toutes sortes de choses, petites, grandes, indifférentes ou charmantes à mon cœur. J’écoutais le bruissement des grillons ; ou bien, étendu sur le dos, je regardais au firmament les métamorphoses d’un nuage ; d’autres fois, me couchant contre terre, je considérais, sur le pied d’un saule creux, une mousse humide, toute parsemée d’imperceptibles fleurs ; je découvrais bientôt dans ce petit monde, des montagnes, des vallées, d’ombreux sentiers, fréquentés par quelque insecte d’or, par une fourmi diligente. À tous ces objets s’attachait dans mon esprit une idée de mystère et de puissance qui m’élevait insensiblement de la terre au ciel, et alors, la présence du Créateur se faisant fortement sentir, mon cœur se nourrissait de grandes pensées.

Quelquefois, les yeux fixés sur les montagnes, je songeais à ce qui est derrière, au lointain pays, aux côtes sablonneuses, aux vastes mers ; et si, au milieu de ma course, je venais à heurter quelque autre idée, je la suivais où elle voulait me conduire, si bien que du bout de l’Océan je rebroussais subitement jusque sur le pré voisin, ou sur la manche de mon habit.

Il m’arrivait aussi de tourner les yeux sur le vieux presbytère, à cinquante pas de la mare, derrière moi. Je n’y manquais guère lorsque l’aiguille de l’horloge approchait de l’heure, et qu’à chaque seconde j’attendais de voir, au travers des vieux arceaux du clocher, le marteau s’ébranler, noir sur l’azur du ciel, et retomber sur l’airain. Surtout j’aimais à suivre de l’oreille le tintement sonore que laissait après lui le dernier coup, et j’en recueillais les ondes décroissantes, jusqu’à ce que leur mourante harmonie s’éteignît dans le silence des airs.

Je revenais alors au presbytère, à ses paisibles habitants, à Louise ; et, laissant retomber ma tête sur mon bras, j’errais, en compagnie de mille souvenirs, dans un monde connu de mon cœur seulement.

Ces souvenirs, c’étaient les jeux, les plaisirs, les agrestes passe-temps dans lesquels s’était écoulée notre enfance. Nous avions cultivé des jardins, élevé des oiseaux, fait des feux au coin de la prairie : nous avions mené les bêtes aux champs, monté sur l’âne, abattu les noix et folâtré dans les foins ; pas un cerisier du verger, pas un pêcher de ceux qui cachaient au midi le mur de la cure, qui ne se distinguât pour nous de tous ceux du monde entier par mille souvenirs que ramenait, comme les fruits, chaque saison nouvelle. J’avais (l’enfant est sujet aux mauvaises pensées), j’avais, pour elle, picoré les primeurs chez les notables du voisinage ; pour elle encore j’avais eu des affaires avec le chien, avec le garde champêtre, avec le municipal ; incorrigible tant qu’elle aima les primeurs. Dans ce temps-là, tout entier au présent, j’agissais, je courais, je grimpais ; je songeais peu, je rêvais moins encore, si ce n’est parfois, la nuit, au garde champêtre.

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