Author: | ÉMILE GABORIAU | ISBN: | 1230002743578 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | October 26, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | ÉMILE GABORIAU |
ISBN: | 1230002743578 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | October 26, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Le 9 juillet 186.., un jeudi, Jean Bertaud, dit La Ripaille, et son fils, bien connus à Orcival pour vivre de braconnage et de maraude, se levèrent sur les trois heures du matin, avec le jour, pour aller à la pêche.
Chargés de leurs agrès, ils descendirent ce chemin charmant, ombragé d’acacias, qu’on aperçoit de la station d’Évry, et qui conduit du bourg d’Orcival à la Seine.
Ils se rendaient à leur bateau amarré d’ordinaire à une cinquantaine de mètres en amont du pont de fil de fer, le long d’une prairie joignant Valfeuillu, la belle propriété du comte de Trémorel.
Arrivés au bord de la rivière, ils se débarrassèrent de leurs engins de pêche, et Jean La Ripaille entra dans le bateau pour vider l’eau qu’il contenait.
Pendant que d’une main exercée il maniait l’écope, il s’aperçut qu’un des tolets de la vieille embarcation, usé par la rame, était sur le point de se rompre.
— Philippe, cria-t-il à son fils, occupé à démêler un épervier dont un garde-pêche eût trouvé les mailles trop serrées, Philippe, tâche donc de m’avoir un bout de bois pour refaire notre tolet.
— On y va, répondit Philippe.
Il n’y avait pas un arbre dans la prairie. Le jeune homme se dirigea donc vers le parc de Valfeuillu, distant de quelques pas seulement, et, peu soucieux de l’article 391 du Code pénal, il franchit le large fossé qui entoure la propriété de M. de Trémorel. Il se proposait de couper une branche à l’un des vieux saules qui, à cet endroit, trempent au fil de l’eau leurs branches éplorées.
Il avait à peine tiré son couteau de sa poche, tout en promenant autour de lui le regard inquiet du maraudeur, qu’il poussa un cri étouffé.
— Mon père ! eh ! mon père !
— Qu’y a-t-il ? répondit sans se déranger le vieux braconnier.
— Père, venez, continua Philippe, au nom du ciel, venez vite !
Jean La Ripaille comprit à la voix rauque de son fils, qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Il lâcha son écope, et, l’inquiétude aidant, en trois bonds il fut dans le parc.
Lui aussi, il resta épouvanté devant le spectacle qui avait terrifié Philippe.
Sur le bord de la rivière, parmi les joncs et les glaïeuls, le cadavre d’une femme gisait. Ses longs cheveux dénoués s’éparpillaient parmi les herbes aquatiques ; sa robe de soie grise en lambeaux était souillée de boue et de sang. Toute la partie supérieure du corps plongeait dans l’eau peu profonde, et le visage était enfoncé dans la vase.
— Un assassinat ! murmura Philippe dont la voix tremblait.
— Ça, c’est sûr, répondit La Ripaille d’un ton indifférent. Mais quelle peut être cette femme ? Vrai, on dirait la comtesse.
— Nous allons bien voir, dit le jeune homme.
Il fit un pas vers le cadavre ; son père l’arrêta par le bras.
— Que veux-tu faire malheureux ! prononça-t-il ; on ne doit jamais toucher au corps d’une personne assassinée, sans la justice.
— Vous croyez ?
— Certainement ! Il y a des peines pour cela.
— Alors, allons prévenir le maire.
— Pourquoi faire ? Les gens d’ici ne nous en veulent peut-être pas assez ! Qui sait si on ne nous accuserait pas ? …
— Cependant, mon père…
— Quoi ! si nous allons avertir M. Courtois, il nous demandera comment et pourquoi nous nous trouvions dans le parc de M. de Trémorel pour voir ce qu’il s’y passait. Qu’est-ce que cela te fait qu’on ait tué la comtesse ? On retrouvera bien son corps sans toi… viens, allons-nous-en.
Mais Philippe ne bougea pas. La tête baissée, le menton appuyé sur la paume de sa main, il réfléchissait.
— Il faut avertir, déclara-t-il d’un ton décidé ; on n’est pas des sauvages. Nous dirons à M. Courtois que c’est en côtoyant le parc dans notre bachot que nous avons aperçu le corps.
Le vieux La Ripaille résista d’abord, puis voyant que son fils irait sans lui, il parut se rendre à ses instances.
Le 9 juillet 186.., un jeudi, Jean Bertaud, dit La Ripaille, et son fils, bien connus à Orcival pour vivre de braconnage et de maraude, se levèrent sur les trois heures du matin, avec le jour, pour aller à la pêche.
Chargés de leurs agrès, ils descendirent ce chemin charmant, ombragé d’acacias, qu’on aperçoit de la station d’Évry, et qui conduit du bourg d’Orcival à la Seine.
Ils se rendaient à leur bateau amarré d’ordinaire à une cinquantaine de mètres en amont du pont de fil de fer, le long d’une prairie joignant Valfeuillu, la belle propriété du comte de Trémorel.
Arrivés au bord de la rivière, ils se débarrassèrent de leurs engins de pêche, et Jean La Ripaille entra dans le bateau pour vider l’eau qu’il contenait.
Pendant que d’une main exercée il maniait l’écope, il s’aperçut qu’un des tolets de la vieille embarcation, usé par la rame, était sur le point de se rompre.
— Philippe, cria-t-il à son fils, occupé à démêler un épervier dont un garde-pêche eût trouvé les mailles trop serrées, Philippe, tâche donc de m’avoir un bout de bois pour refaire notre tolet.
— On y va, répondit Philippe.
Il n’y avait pas un arbre dans la prairie. Le jeune homme se dirigea donc vers le parc de Valfeuillu, distant de quelques pas seulement, et, peu soucieux de l’article 391 du Code pénal, il franchit le large fossé qui entoure la propriété de M. de Trémorel. Il se proposait de couper une branche à l’un des vieux saules qui, à cet endroit, trempent au fil de l’eau leurs branches éplorées.
Il avait à peine tiré son couteau de sa poche, tout en promenant autour de lui le regard inquiet du maraudeur, qu’il poussa un cri étouffé.
— Mon père ! eh ! mon père !
— Qu’y a-t-il ? répondit sans se déranger le vieux braconnier.
— Père, venez, continua Philippe, au nom du ciel, venez vite !
Jean La Ripaille comprit à la voix rauque de son fils, qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Il lâcha son écope, et, l’inquiétude aidant, en trois bonds il fut dans le parc.
Lui aussi, il resta épouvanté devant le spectacle qui avait terrifié Philippe.
Sur le bord de la rivière, parmi les joncs et les glaïeuls, le cadavre d’une femme gisait. Ses longs cheveux dénoués s’éparpillaient parmi les herbes aquatiques ; sa robe de soie grise en lambeaux était souillée de boue et de sang. Toute la partie supérieure du corps plongeait dans l’eau peu profonde, et le visage était enfoncé dans la vase.
— Un assassinat ! murmura Philippe dont la voix tremblait.
— Ça, c’est sûr, répondit La Ripaille d’un ton indifférent. Mais quelle peut être cette femme ? Vrai, on dirait la comtesse.
— Nous allons bien voir, dit le jeune homme.
Il fit un pas vers le cadavre ; son père l’arrêta par le bras.
— Que veux-tu faire malheureux ! prononça-t-il ; on ne doit jamais toucher au corps d’une personne assassinée, sans la justice.
— Vous croyez ?
— Certainement ! Il y a des peines pour cela.
— Alors, allons prévenir le maire.
— Pourquoi faire ? Les gens d’ici ne nous en veulent peut-être pas assez ! Qui sait si on ne nous accuserait pas ? …
— Cependant, mon père…
— Quoi ! si nous allons avertir M. Courtois, il nous demandera comment et pourquoi nous nous trouvions dans le parc de M. de Trémorel pour voir ce qu’il s’y passait. Qu’est-ce que cela te fait qu’on ait tué la comtesse ? On retrouvera bien son corps sans toi… viens, allons-nous-en.
Mais Philippe ne bougea pas. La tête baissée, le menton appuyé sur la paume de sa main, il réfléchissait.
— Il faut avertir, déclara-t-il d’un ton décidé ; on n’est pas des sauvages. Nous dirons à M. Courtois que c’est en côtoyant le parc dans notre bachot que nous avons aperçu le corps.
Le vieux La Ripaille résista d’abord, puis voyant que son fils irait sans lui, il parut se rendre à ses instances.