Martin, l’enfant trouvé Tome de I à IV

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Martin, l’enfant trouvé Tome de I à IV by EUGÈNE SUE, GILBERT TEROL
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Author: EUGÈNE SUE ISBN: 1230000212918
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 25, 2014
Imprint: Language: French
Author: EUGÈNE SUE
ISBN: 1230000212918
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 25, 2014
Imprint:
Language: French

Cette partie de la Sologne, où viennent se confiner, du nord au sud, les départements du Loiret et du Loir-et-Cher, et dont une portion forme ce qu’on appelle le bassin de la Sauldre, offre une physionomie particulière : ce sont généralement d’immenses bois de sapins coupés çà et là par de grandes plaines de bruyères, ou par des terrains tourbeux, que submergent presque toujours les débordements des rivières et des ruisseaux. Ce sont encore de vastes étangs encadrés de touffes d’iris et de joncs fleuris, eaux dormantes souvent effleurées par le vol circulaire des courlis, des arcanettes ou des martins-pêcheurs ; çà et là quelques vallées, des prairies, semées de massifs de chênes, rompent l’aspect uniforme de ce paysage aux lignes planes et tranquilles.

Rien ne saurait rendre le calme mélancolique de ce pays désert, aux vastes horizons formés par les masses toujours vertes des forêts de sapins ; de ces solitudes profondes, où résonne, de temps à autre, le choc sonore de la cognée du bûcheron, et d’où s’élève, lorsque le vent souffle, un bruit sourd, prolongé, imposant, comme le lointain mugissement de la mer ; bruit causé par l’agitation et le frôlement des branchages des arbres verts ; ce n’est pas non plus un spectacle sans majesté que de voir le soleil s’abaisser lentement derrière ces plaines immenses, unies comme un lac, et couvertes de bruyères roses et d’ajoncs d’un jaune d’or que la brise du soir fait doucement onduler, ainsi qu’une nappe de verdure de fleurs.

Les oiseaux de proie, qui choisissent pour repaire les grands bois déserts, les jean-le-blancs, les aigles de Sologne, les bondrées, les faucons, sont aussi nombreux dans ces solitudes que les oiseaux aquatiques.

Ce qui donne, surtout l’hiver, à cette contrée un aspect singulier, c’est l’éternelle et sombre verdure de ses sapinières mêlées de taillis de bouleaux et de chênes, où gîtent toujours le renard, le chevreuil, le loup, et où s’aventurent souvent les cerfs et les sangliers des forêts voisines.

Aussi ce pays est-il la terre promise du chasseur et conséquemment du braconnier, car le lièvre, la perdrix rouge, le faisan y abondent, et le lapin y pullule de telle sorte que, depuis le riche propriétaire dont il ronge les jeunes bois, jusqu’aux pauvres cultivateurs dont il broute les maigres guérets, tous le regardent comme un fléau destructeur.

Vers la fin du mois d’octobre 1845, par une belle journée d’automne, deux groupes d’aspect différent, venant de côtés opposés, s’avançaient l’un vers l’autre à travers une vaste plaine de bruyères, bornée au nord par un rideau de bois qui s’étendait à perte de vue.

L’un de ces groupes se composait d’un piqueur à cheval et de deux valets de chiens à pied, conduisant, couplée, une belle meute d’une trentaine de chiens anglais de la pure race des Fox-Hounds ; leur pelage, blanc et orangé, était généralement mantelé de noir. Le piqueur, marchant au pas de son cheval, précédait la meute qui le suivait dans un ordre parfait, grâce au fouet régulateur des deux valets à pied formant l’arrière-garde.

Le piqueur, âgé de soixante ans environ, avait le teint basané, les yeux noirs et vifs, les cheveux blancs ; il portait une cape de chasse en cuir bouilli, une redingote marron à collet bleu clair, galonnée d’argent au collet et aux poches, des bottes à l’écuyère et une culotte de velours foncé. Les valets de chiens étaient vêtus de vestes de vénerie à la même livrée, leurs grandes guêtres de cuir fauve remplaçaient les bottes, et ils avaient en sautoir leurs trompes de cuivre bien brillantes.

Le groupe, qui s’avançait à l’encontre de celui-ci, était formé de quatre gendarmes à cheval, commandés par un maréchal-des-logis aux aiguillettes mi-partie bleue et argent.

La physionomie de ce sous-officier, homme plus que mûr, offrait un assez grotesque mélange de niaiserie et d’outrecuidance ; le tricorne carrément placé sur son front pointu, le sourcil haut, le nez camard et au vent, les favoris en croissant, la poitrine bombée sous son uniforme bleu croisé d’une buffleterie jaune, les reins cambrés dans le ceinturon de son grand sabre, les jambes raidies dans ses bottes fortes, le poignet droit appuyé sur sa cuisse, M. Beaucadet, maréchal-des-logis, chef de la gendarmerie départementale, s’avançait au pas, jetant parfois un coup d’œil impérieux sur son escorte.

Cette physionomie était, pour ainsi dire, la physionomie officielle de M. Beaucadet ; mais, quoique gendarme, il n’en était pas moins homme… et homme aimable, ainsi qu’il se plaisait à l’affirmer lui-même, car, malgré la maturité de son âge, il ne renonçait pas à plaire, et le bruit de ses amours, non moins célèbre que ses procès-verbaux, retentissait de Salbres à Romorantin ; les fonctions à la fois civiles et militaires de M. Beaucadet, impassible instrument de la loi, l’obligeant à un certain décorum, son libertinage sournois lui donnait des allures de bailli de village, hypocrite et luxurieux. En un mot, que l’on jette la robe du commissaire (ancienne comédie) sur l’uniforme d’un vieux soudard, et l’on aura le portrait complet de M. Beaucadet, type précieux de la bêtise magistrale et satisfaite de soi.

Les veneurs et les gendarmes arrivant par deux routes opposées, devaient inévitablement se rencontrer à un carrefour, ouvert du côté de la plaine, et bordé du côté des bois par un taillis très-épais.

— Ah ! voici M. Beaucadet, — dit avec une sorte d’inquiétude le vieux piqueur à ses valets de chiens, en arrêtant son cheval auprès d’une croix élevée au milieu du carrefour, — il faut dire poliment bonjour à ce digne gendarme, car voyez-vous, mes garçons, le gendarme se salue toujours, vu que, le dimanche, il fait la police des cabarets, et comme il n’ose pas boire, ça le rend féroce pour la soif des autres.

M. Beaucadet rejoignit bientôt les veneurs, arrêta son cheval auprès du vieux piqueur, et s’adressant à ce dernier, il lui dit d’une voix ronflante et d’un ton à la fois important et goguenard :

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Cette partie de la Sologne, où viennent se confiner, du nord au sud, les départements du Loiret et du Loir-et-Cher, et dont une portion forme ce qu’on appelle le bassin de la Sauldre, offre une physionomie particulière : ce sont généralement d’immenses bois de sapins coupés çà et là par de grandes plaines de bruyères, ou par des terrains tourbeux, que submergent presque toujours les débordements des rivières et des ruisseaux. Ce sont encore de vastes étangs encadrés de touffes d’iris et de joncs fleuris, eaux dormantes souvent effleurées par le vol circulaire des courlis, des arcanettes ou des martins-pêcheurs ; çà et là quelques vallées, des prairies, semées de massifs de chênes, rompent l’aspect uniforme de ce paysage aux lignes planes et tranquilles.

Rien ne saurait rendre le calme mélancolique de ce pays désert, aux vastes horizons formés par les masses toujours vertes des forêts de sapins ; de ces solitudes profondes, où résonne, de temps à autre, le choc sonore de la cognée du bûcheron, et d’où s’élève, lorsque le vent souffle, un bruit sourd, prolongé, imposant, comme le lointain mugissement de la mer ; bruit causé par l’agitation et le frôlement des branchages des arbres verts ; ce n’est pas non plus un spectacle sans majesté que de voir le soleil s’abaisser lentement derrière ces plaines immenses, unies comme un lac, et couvertes de bruyères roses et d’ajoncs d’un jaune d’or que la brise du soir fait doucement onduler, ainsi qu’une nappe de verdure de fleurs.

Les oiseaux de proie, qui choisissent pour repaire les grands bois déserts, les jean-le-blancs, les aigles de Sologne, les bondrées, les faucons, sont aussi nombreux dans ces solitudes que les oiseaux aquatiques.

Ce qui donne, surtout l’hiver, à cette contrée un aspect singulier, c’est l’éternelle et sombre verdure de ses sapinières mêlées de taillis de bouleaux et de chênes, où gîtent toujours le renard, le chevreuil, le loup, et où s’aventurent souvent les cerfs et les sangliers des forêts voisines.

Aussi ce pays est-il la terre promise du chasseur et conséquemment du braconnier, car le lièvre, la perdrix rouge, le faisan y abondent, et le lapin y pullule de telle sorte que, depuis le riche propriétaire dont il ronge les jeunes bois, jusqu’aux pauvres cultivateurs dont il broute les maigres guérets, tous le regardent comme un fléau destructeur.

Vers la fin du mois d’octobre 1845, par une belle journée d’automne, deux groupes d’aspect différent, venant de côtés opposés, s’avançaient l’un vers l’autre à travers une vaste plaine de bruyères, bornée au nord par un rideau de bois qui s’étendait à perte de vue.

L’un de ces groupes se composait d’un piqueur à cheval et de deux valets de chiens à pied, conduisant, couplée, une belle meute d’une trentaine de chiens anglais de la pure race des Fox-Hounds ; leur pelage, blanc et orangé, était généralement mantelé de noir. Le piqueur, marchant au pas de son cheval, précédait la meute qui le suivait dans un ordre parfait, grâce au fouet régulateur des deux valets à pied formant l’arrière-garde.

Le piqueur, âgé de soixante ans environ, avait le teint basané, les yeux noirs et vifs, les cheveux blancs ; il portait une cape de chasse en cuir bouilli, une redingote marron à collet bleu clair, galonnée d’argent au collet et aux poches, des bottes à l’écuyère et une culotte de velours foncé. Les valets de chiens étaient vêtus de vestes de vénerie à la même livrée, leurs grandes guêtres de cuir fauve remplaçaient les bottes, et ils avaient en sautoir leurs trompes de cuivre bien brillantes.

Le groupe, qui s’avançait à l’encontre de celui-ci, était formé de quatre gendarmes à cheval, commandés par un maréchal-des-logis aux aiguillettes mi-partie bleue et argent.

La physionomie de ce sous-officier, homme plus que mûr, offrait un assez grotesque mélange de niaiserie et d’outrecuidance ; le tricorne carrément placé sur son front pointu, le sourcil haut, le nez camard et au vent, les favoris en croissant, la poitrine bombée sous son uniforme bleu croisé d’une buffleterie jaune, les reins cambrés dans le ceinturon de son grand sabre, les jambes raidies dans ses bottes fortes, le poignet droit appuyé sur sa cuisse, M. Beaucadet, maréchal-des-logis, chef de la gendarmerie départementale, s’avançait au pas, jetant parfois un coup d’œil impérieux sur son escorte.

Cette physionomie était, pour ainsi dire, la physionomie officielle de M. Beaucadet ; mais, quoique gendarme, il n’en était pas moins homme… et homme aimable, ainsi qu’il se plaisait à l’affirmer lui-même, car, malgré la maturité de son âge, il ne renonçait pas à plaire, et le bruit de ses amours, non moins célèbre que ses procès-verbaux, retentissait de Salbres à Romorantin ; les fonctions à la fois civiles et militaires de M. Beaucadet, impassible instrument de la loi, l’obligeant à un certain décorum, son libertinage sournois lui donnait des allures de bailli de village, hypocrite et luxurieux. En un mot, que l’on jette la robe du commissaire (ancienne comédie) sur l’uniforme d’un vieux soudard, et l’on aura le portrait complet de M. Beaucadet, type précieux de la bêtise magistrale et satisfaite de soi.

Les veneurs et les gendarmes arrivant par deux routes opposées, devaient inévitablement se rencontrer à un carrefour, ouvert du côté de la plaine, et bordé du côté des bois par un taillis très-épais.

— Ah ! voici M. Beaucadet, — dit avec une sorte d’inquiétude le vieux piqueur à ses valets de chiens, en arrêtant son cheval auprès d’une croix élevée au milieu du carrefour, — il faut dire poliment bonjour à ce digne gendarme, car voyez-vous, mes garçons, le gendarme se salue toujours, vu que, le dimanche, il fait la police des cabarets, et comme il n’ose pas boire, ça le rend féroce pour la soif des autres.

M. Beaucadet rejoignit bientôt les veneurs, arrêta son cheval auprès du vieux piqueur, et s’adressant à ce dernier, il lui dit d’une voix ronflante et d’un ton à la fois important et goguenard :

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