L’école de Yasnaïa Poliana

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book L’école de Yasnaïa Poliana by LÉON TOLSTOÏ, GILBERT TEROL
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Author: LÉON TOLSTOÏ ISBN: 1230002992570
Publisher: GILBERT TEROL Publication: December 14, 2018
Imprint: Language: French
Author: LÉON TOLSTOÏ
ISBN: 1230002992570
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: December 14, 2018
Imprint:
Language: French

Que de fois il m’est arrivé d’assister à des batailles d’enfants ! Le maître se jette entre eux pour les séparer, et les deux ennemis se regardent de travers ; incapables de se contenir même en présence d’un maître redouté, ils finissent par fondre l’un sur l’autre avec plus d’ardeur encore qu’avant. Que de fois, dans la même journée, je vois un Kiruchka, les dents serrées, tomber sur Tarasska, l’empoigner par les cheveux des tempes, le renverser à terre ; il semble qu’il veuille défigurer son ennemi, le laisser pour mort. Mais il ne s’est pas écoulé une minute que déjà Tarasska rit sous Kiruchka et lui rend la pareille ; avant cinq minutes, les voilà tous deux bons amis, assis côte à côte.

Il y a peu de temps, après la classe, dans un coin, deux garçons en vinrent aux mains : l’un, un remarquable mathématicien de neuf ans environ, élève de la seconde classe ; l’autre, un petit, aux yeux noirs, tondu, intelligent mais vindicatif, nommé Kisska. Kisska empoigna les longues boucles de cheveux du mathématicien, et lui poussa la tête contre le mur, tandis que le mathématicien s’efforçait vainement de saisir les soies de porc tondues de Kisska. Les yeux noirs de Kisska brillaient triomphalement. Quant au mathématicien, il avait peine à retenir ses larmes.

— Eh bien ! Eh bien ! Quoi ? Quoi ? disait-il.

Mais on voyait bien que ça lui faisait mal, et qu’il voulait seulement faire le brave. Cela continua assez longtemps, et j’étais indécis sur le parti à prendre.

— On se bat ! on se bat ! criaient les enfants.

Et ils s’entassaient dans le coin. Les petits riaient, mais les grands, quoique n’essayant point de séparer les combattants, les regardaient d’un air sérieux. Ces regards, ce silence ne furent point perdus pour Kisska. Il comprit que ce qu’il faisait-là n’était pas bien ; il se mit à sourire, et à lâcher peu à peu les cheveux du mathématicien. Ce dernier se dégagea, poussa Kisska, qui heurta de la nuque contre le mur, puis, satisfait, s’éloigna. Le petit se prit à pleurer et s’élançant à la poursuite de son ennemi, le battit de toutes ses forces sur la pelisse, mais sans lui faire mal. Le mathématicien allait riposter, mais au même instant retentirent des cris désapprobateurs.

— Voyez, il se commet avec un petit ! s’écriaient les spectateurs. Sauve-toi, Kisska !

L’affaire finit-là, sans laisser de trace, sauf, j’imagine, chez l’un et chez l’autre, la confuse conscience, que se battre est désagréable, parce que ça fait mal à tous les deux. On peut remarquer qu’ici le sentiment de la justice a été provoqué par la foule ; mais que d’affaires analogues se terminent, on ne peut comprendre en vertu de quelles lois, de manière à satisfaire les deux parties ! Combien sont arbitraires et injustes, en comparaison, tous les moyens employés en pareil cas !

— Vous êtes tous les deux coupables ; à genoux ! dit l’instituteur.

Et il n’a pas raison, car il n’y a qu’un seul coupable, un coupable qui triomphe en se mettant à genoux et en remâchant sa méchanceté, tandis que l’innocent est doublement puni.

Où :

— Tu es coupable d’avoir fait ceci et cela, et tu seras puni ! dira l’instituteur.

Et l’enfant puni n’en haïra que davantage son ennemi, à sentir à ses côtés une puissance despotique dont il ne reconnaît pas la légitimité.

Où :

— Pardonne-lui, ainsi le veut Dieu, et sois meilleur que lui, dira l’instituteur.

Vous lui dites : « Sois meilleur que lui », mais il ne veut qu’être plus fort ; « meilleur… » il ne comprend ni ne peut comprendre :

Où :

— Vous êtes coupables tous les deux : demandez-vous pardon l’un à l’autre et embrassez-vous, mes enfants.

Voilà le pire de tout, et parce que ce baiser ne sera pas sincère, et parce que le mauvais sentiment, un instant assoupi, risquera de se réveiller.

Laissez-les donc seuls, si vous n’êtes ni le père, ni la mère, qui, tout pitié pour leur fils, ont toujours raison de tirer les cheveux à qui le leur bat ; laissez-les et voyez comme tout s’arrange, tout s’apaise, simplement, naturellement.

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Que de fois il m’est arrivé d’assister à des batailles d’enfants ! Le maître se jette entre eux pour les séparer, et les deux ennemis se regardent de travers ; incapables de se contenir même en présence d’un maître redouté, ils finissent par fondre l’un sur l’autre avec plus d’ardeur encore qu’avant. Que de fois, dans la même journée, je vois un Kiruchka, les dents serrées, tomber sur Tarasska, l’empoigner par les cheveux des tempes, le renverser à terre ; il semble qu’il veuille défigurer son ennemi, le laisser pour mort. Mais il ne s’est pas écoulé une minute que déjà Tarasska rit sous Kiruchka et lui rend la pareille ; avant cinq minutes, les voilà tous deux bons amis, assis côte à côte.

Il y a peu de temps, après la classe, dans un coin, deux garçons en vinrent aux mains : l’un, un remarquable mathématicien de neuf ans environ, élève de la seconde classe ; l’autre, un petit, aux yeux noirs, tondu, intelligent mais vindicatif, nommé Kisska. Kisska empoigna les longues boucles de cheveux du mathématicien, et lui poussa la tête contre le mur, tandis que le mathématicien s’efforçait vainement de saisir les soies de porc tondues de Kisska. Les yeux noirs de Kisska brillaient triomphalement. Quant au mathématicien, il avait peine à retenir ses larmes.

— Eh bien ! Eh bien ! Quoi ? Quoi ? disait-il.

Mais on voyait bien que ça lui faisait mal, et qu’il voulait seulement faire le brave. Cela continua assez longtemps, et j’étais indécis sur le parti à prendre.

— On se bat ! on se bat ! criaient les enfants.

Et ils s’entassaient dans le coin. Les petits riaient, mais les grands, quoique n’essayant point de séparer les combattants, les regardaient d’un air sérieux. Ces regards, ce silence ne furent point perdus pour Kisska. Il comprit que ce qu’il faisait-là n’était pas bien ; il se mit à sourire, et à lâcher peu à peu les cheveux du mathématicien. Ce dernier se dégagea, poussa Kisska, qui heurta de la nuque contre le mur, puis, satisfait, s’éloigna. Le petit se prit à pleurer et s’élançant à la poursuite de son ennemi, le battit de toutes ses forces sur la pelisse, mais sans lui faire mal. Le mathématicien allait riposter, mais au même instant retentirent des cris désapprobateurs.

— Voyez, il se commet avec un petit ! s’écriaient les spectateurs. Sauve-toi, Kisska !

L’affaire finit-là, sans laisser de trace, sauf, j’imagine, chez l’un et chez l’autre, la confuse conscience, que se battre est désagréable, parce que ça fait mal à tous les deux. On peut remarquer qu’ici le sentiment de la justice a été provoqué par la foule ; mais que d’affaires analogues se terminent, on ne peut comprendre en vertu de quelles lois, de manière à satisfaire les deux parties ! Combien sont arbitraires et injustes, en comparaison, tous les moyens employés en pareil cas !

— Vous êtes tous les deux coupables ; à genoux ! dit l’instituteur.

Et il n’a pas raison, car il n’y a qu’un seul coupable, un coupable qui triomphe en se mettant à genoux et en remâchant sa méchanceté, tandis que l’innocent est doublement puni.

Où :

— Tu es coupable d’avoir fait ceci et cela, et tu seras puni ! dira l’instituteur.

Et l’enfant puni n’en haïra que davantage son ennemi, à sentir à ses côtés une puissance despotique dont il ne reconnaît pas la légitimité.

Où :

— Pardonne-lui, ainsi le veut Dieu, et sois meilleur que lui, dira l’instituteur.

Vous lui dites : « Sois meilleur que lui », mais il ne veut qu’être plus fort ; « meilleur… » il ne comprend ni ne peut comprendre :

Où :

— Vous êtes coupables tous les deux : demandez-vous pardon l’un à l’autre et embrassez-vous, mes enfants.

Voilà le pire de tout, et parce que ce baiser ne sera pas sincère, et parce que le mauvais sentiment, un instant assoupi, risquera de se réveiller.

Laissez-les donc seuls, si vous n’êtes ni le père, ni la mère, qui, tout pitié pour leur fils, ont toujours raison de tirer les cheveux à qui le leur bat ; laissez-les et voyez comme tout s’arrange, tout s’apaise, simplement, naturellement.

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