Marthe, histoire d'une fille Annoté

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Marthe, histoire d'une fille Annoté by JORIS KARL HUYSMANS, GILBERT TEROL, GILBERT TEROL
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Author: JORIS KARL HUYSMANS, GILBERT TEROL ISBN: 1230000619448
Publisher: GILBERT TEROL Publication: August 20, 2015
Imprint: Language: French
Author: JORIS KARL HUYSMANS, GILBERT TEROL
ISBN: 1230000619448
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: August 20, 2015
Imprint:
Language: French

Extrait :

La salle sentait la vapeur refroidie du tabac, l’odeur particulière aux estaminets. Le vieil homme reniflait en somnolant et Maria, l’amie de Marthe, assise sur une banquette, bâillait aux mouches. Après qu’elles se furent embrassées, Maria, entraînant Marthe dans la cuisine, lui dit précipitamment :

— As-tu reçu ma lettre ?

— Non.

— Mais la police est à tes trousses, ma chère. C’est le petit rouge qui me l’a dit ; hier au soir, tu as été reconnue par un agent qui avait perdu tes traces, mais qui vient de les retrouver.

Elle demeura comme ahurie. Ses craintes étaient donc réalisées ! Le dispensaire allait lui demander compte de sa fuite ! On irait chez Léo ; la concierge saurait tout et lui dirait quand il serait de retour, qui elle était, quelle vie elle avait menée. Elle se résolut à ne plus retourner chez lui.

— Je t’offrirais bien de te cacher pendant quelques jours chez moi, disait la fille, mais je n’habite pas seule et mon monsieur se fâcherait. Va plutôt chez Titine.

— Où demeure-t-elle ?

— Ah ! Je ne sais pas au juste ; elle habite, m’a-t-on dit, près des halles, mais j’ignore le nom et le numéro de sa rue. Mais reste toujours jusqu’à la tombée de la nuit, tu verras après. D’ici-là tu auras le temps de réfléchir et de prendre un parti.

Le soir vint et Marthe ne savait à quoi se résoudre. Craignant les limiers de la police qui faisaient des râfles de femmes dans tous les caboulots du quartier, elle s’enfuit de la boutique et, ne sachant où se réfugier, elle chemina le long des quais jusqu’au pont-neuf, se répétant, sans y croire, que le hasard lui serait propice, qu’elle rencontrerait son amie en route.

Arrivée sur le pont, elle se sentit si lasse, si désolée, qu’elle s’agenouilla sur un banc, dans une de ces demi-lunes qui surmontent chaque pile. Elle regarda, les larmes aux yeux, les remous qui clapotaient au tournant des arches.

La Seine charriait ce soir-là des eaux couleur de plomb, rayées çà et là par le reflétement des réverbères. À droite, dans un bateau de charbon, amarré à un rond de fer grand comme un cerceau, des ombres d’hommes et de femmes se mouvaient confusément ; à gauche, se dressait le terre-plein du pont avec la statue du roi. Planté au bas, près d’un concert, un arbre déchiquetait ses linéaments frêles sur le gris ardoisé du ciel. Plus loin enfin, le pont des arts s’estompait dans la brume avec sa couronne de becs de gaz et l’ombre de ses piliers se mourait dans le fleuve en une longue tache noire. Une mouche fila sous l’arcade du pont, jetant une bouffée de vapeur tiède au visage de Marthe, laissant derrière elle un long sillage de mousse blanche qui s’éteignit peu à peu dans la suie des eaux. Une pluie fine commençait à tomber.

Marthe ne pensait plus à rien.

Elle regardait la Seine, sans même la voir. La pluie tomba plus drue, de plus larges gouttes lui fouettèrent le visage. Elle se réveilla comme d’un songe. Le spectre de la police se dressa devant elle, implacable ; elle se pencha sur le parapet, eut, pendant une seconde, l’idée d’en finir avec tous ses maux, puis elle eut peur, recula et, effarée, voulut s’enfuir, quand un homme ineffablement ivre lui prit le bras.

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Extrait :

La salle sentait la vapeur refroidie du tabac, l’odeur particulière aux estaminets. Le vieil homme reniflait en somnolant et Maria, l’amie de Marthe, assise sur une banquette, bâillait aux mouches. Après qu’elles se furent embrassées, Maria, entraînant Marthe dans la cuisine, lui dit précipitamment :

— As-tu reçu ma lettre ?

— Non.

— Mais la police est à tes trousses, ma chère. C’est le petit rouge qui me l’a dit ; hier au soir, tu as été reconnue par un agent qui avait perdu tes traces, mais qui vient de les retrouver.

Elle demeura comme ahurie. Ses craintes étaient donc réalisées ! Le dispensaire allait lui demander compte de sa fuite ! On irait chez Léo ; la concierge saurait tout et lui dirait quand il serait de retour, qui elle était, quelle vie elle avait menée. Elle se résolut à ne plus retourner chez lui.

— Je t’offrirais bien de te cacher pendant quelques jours chez moi, disait la fille, mais je n’habite pas seule et mon monsieur se fâcherait. Va plutôt chez Titine.

— Où demeure-t-elle ?

— Ah ! Je ne sais pas au juste ; elle habite, m’a-t-on dit, près des halles, mais j’ignore le nom et le numéro de sa rue. Mais reste toujours jusqu’à la tombée de la nuit, tu verras après. D’ici-là tu auras le temps de réfléchir et de prendre un parti.

Le soir vint et Marthe ne savait à quoi se résoudre. Craignant les limiers de la police qui faisaient des râfles de femmes dans tous les caboulots du quartier, elle s’enfuit de la boutique et, ne sachant où se réfugier, elle chemina le long des quais jusqu’au pont-neuf, se répétant, sans y croire, que le hasard lui serait propice, qu’elle rencontrerait son amie en route.

Arrivée sur le pont, elle se sentit si lasse, si désolée, qu’elle s’agenouilla sur un banc, dans une de ces demi-lunes qui surmontent chaque pile. Elle regarda, les larmes aux yeux, les remous qui clapotaient au tournant des arches.

La Seine charriait ce soir-là des eaux couleur de plomb, rayées çà et là par le reflétement des réverbères. À droite, dans un bateau de charbon, amarré à un rond de fer grand comme un cerceau, des ombres d’hommes et de femmes se mouvaient confusément ; à gauche, se dressait le terre-plein du pont avec la statue du roi. Planté au bas, près d’un concert, un arbre déchiquetait ses linéaments frêles sur le gris ardoisé du ciel. Plus loin enfin, le pont des arts s’estompait dans la brume avec sa couronne de becs de gaz et l’ombre de ses piliers se mourait dans le fleuve en une longue tache noire. Une mouche fila sous l’arcade du pont, jetant une bouffée de vapeur tiède au visage de Marthe, laissant derrière elle un long sillage de mousse blanche qui s’éteignit peu à peu dans la suie des eaux. Une pluie fine commençait à tomber.

Marthe ne pensait plus à rien.

Elle regardait la Seine, sans même la voir. La pluie tomba plus drue, de plus larges gouttes lui fouettèrent le visage. Elle se réveilla comme d’un songe. Le spectre de la police se dressa devant elle, implacable ; elle se pencha sur le parapet, eut, pendant une seconde, l’idée d’en finir avec tous ses maux, puis elle eut peur, recula et, effarée, voulut s’enfuir, quand un homme ineffablement ivre lui prit le bras.

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