Les pieds fourchus

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Les pieds fourchus by GUSTAVE AIMARD, JULES-BERLIOZ D'AURIAC, GILBERT TEROL
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Author: GUSTAVE AIMARD, JULES-BERLIOZ D'AURIAC ISBN: 1230001111330
Publisher: GILBERT TEROL Publication: May 12, 2016
Imprint: Language: French
Author: GUSTAVE AIMARD, JULES-BERLIOZ D'AURIAC
ISBN: 1230001111330
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: May 12, 2016
Imprint:
Language: French

Les nombreuses superstitions qui régnaient dans la Nouvelle-Angleterre, avant la guerre de l’Indépendance, ont survécu dans beaucoup de contrées. Malgré les progrès de la civilisation, elles maintiennent leur empire sur l’inculte population des frontières.

Si l’on eût consulté l’almanach, le printemps était arrivé ; mais on pouvait se croire en plein hiver dans le District du Maine, si l’on regardait les neiges entassées sur les montagnes, les glaces flottant sur le cours des rivières, sur les ondes paisibles des lacs ; l’horreur sombre des brouillards serpentait jour et nuit sur les montagnes, l’âpre concert des tempêtes rugissait dans les grands bois, le désert était sillonné par les tourmentes.

Au lieu de l’aubépine joyeuse, des fleurs de mai, des jeunes pousses de l’Érable à sucre, on voyait partout un blanc manteau de neige : c’était la joie des enfants, qui, peu soucieux de la saison, bâtissaient des maisons fondantes, se lançaient des boules faciles à briser, glissaient, tombaient et se poursuivaient joyeusement, se lançant en l’air leurs chaudes haleines qui formaient de petits nuages éphémères.

Cependant, à l’hôtellerie de l’Oncle Jerry, nonobstant nuages et tempêtes, se faisaient de merveilleux préparatifs de noces. Tous les voisins du New-Hampshire et du Vermont, à quarante milles à la ronde, étaient prévenus qu’on ne pouvait manquer un tel rendez-vous, les sentiers fussent-ils rompus, les passages des montagnes interceptés, les ruisseaux débordés ; jamais pareille assemblée n’aurait été vue, depuis l’inauguration de la nouvelle église.

Confortablement installée à la cime d’un « bon et honnête coteau, » la vieille maison était vaste mais laide ; on y trouvait toutes les dépendances qu’exige la paisible installation du voyageur : écuries, remises, étables, bassins, et jusqu’au grand banc de pierre où l’on se repose au soleil, tout y était au grand complet.

Et elle n’était pas trop grande lorsqu’on y célébrait une noce, une fête militaire, une réunion de trappeurs, ou lorsque quelques amis éprouvaient le besoin d’être en la compagnie de l’oncle Jerry.

On l’appelait souvent « le Brigadier ; » d’autres le surnommaient « le Quadrumane. » Ce dernier sobriquet faisait allusion à sa stature gigantesque et à sa force prodigieuse ; c’était une flatteuse assimilation avec l’orang-outang, ce terrible hôte de l’Afrique centrale.

Il faut convenir qu’avec ses deux mains il faisait l’ouvrage de quatre, malgré son grand âge, qu’il s’agit de labourer, charpenter, bûcheronner ou boire.

Tout voyageur passant dans un rayon de cinquante milles venait rendre visite à l’oncle Jerry ; on installait chez lui mulets, chevaux, voitures, femmes, filles ou sœurs ; et cela sans gêne ; il suffisait de lui dire « s’il vous plaît ! » Le Brigadier objectait-il que son auberge était remplie, on restait quand même : on campait dans les cours, dans les greniers à foin, dans les magasins de paille ; les couvertures des chevaux servaient de tente ; il y en avait qui couchaient sous le manteau de la vaste cheminée.

Souvent des personnages qu’il n’avait jamais vus, qu’il ne devait jamais revoir, venaient gravement s’attabler chez lui, comme usant d’un droit indiscutable, et disparaissaient sans dire merci. Le vieux bonhomme, quoique né quaker, était connu pour le méthodiste le plus hospitalier de la contrée ; de plus, il était un peu magistrat, ses portes étaient toujours ouvertes même pour le vagabond le plus délabré.

Tout ce monde là allait et venait, non-seulement sans lâcher un mot de ses affaires, mais encore sans se laisser voir pour ainsi dire, et ordinairement sans faire connaître son nom. On pouvait y reconnaître des « friends, » se rendant au « meeting » le plus proche, ou à quelque marché ; des « méthodistes, » prêcheurs en plein air ; des étrangers qui avaient entendu parler du sire Jérémiah, et qui venaient vérifier de leurs propres yeux, le point intéressant de savoir si tout était gigantesque comme on le disait, l’hôte et l’hôtellerie.

L’Oncle Jérémiah était né quaker, ainsi que nous l’avons dit, dans les environs de « Porchmouth » (Portsmouth.) Nous avertissons le lecteur que cet homme considérable avait un faible, consistant à prononcer l’anglais comme un flamand ou un allemand : il aimait à « germaniser » dans le langage.

Sa patrie, néanmoins, était le New-Hampshire : ayant épousé, en premières noces, une jeune et jolie méthodiste, pour lui plaire il se lança dans les affaires de milice qui l’entraînèrent si loin qu’il fallut quitter le pays. Sans proférer une plainte, uns dire un mot, le Brigadier prit délicatement sa chère petite femme sous un bras, sa petite malle sous l’autre, et disparut aussi soudainement et aussi mystérieusement que si la terre l’eût englouti comme les fils d’Éliab : son départ devint une légende chez les méthodistes.

Toute une génération grandit et vieillit sans avoir reçu de ses nouvelles ; à la longue, on finit par ne plus s’en occuper ; le bruit courait qu’il avait émigré du côté de l’Est et que là, il dirigeait une grande et belle ferme du District du Maine ; on disait encore qu’il s’était établi près de la Baie des Français, où il avait épousé une seconde, et peut-être une troisième femme beaucoup plus jeune que lui.

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Les nombreuses superstitions qui régnaient dans la Nouvelle-Angleterre, avant la guerre de l’Indépendance, ont survécu dans beaucoup de contrées. Malgré les progrès de la civilisation, elles maintiennent leur empire sur l’inculte population des frontières.

Si l’on eût consulté l’almanach, le printemps était arrivé ; mais on pouvait se croire en plein hiver dans le District du Maine, si l’on regardait les neiges entassées sur les montagnes, les glaces flottant sur le cours des rivières, sur les ondes paisibles des lacs ; l’horreur sombre des brouillards serpentait jour et nuit sur les montagnes, l’âpre concert des tempêtes rugissait dans les grands bois, le désert était sillonné par les tourmentes.

Au lieu de l’aubépine joyeuse, des fleurs de mai, des jeunes pousses de l’Érable à sucre, on voyait partout un blanc manteau de neige : c’était la joie des enfants, qui, peu soucieux de la saison, bâtissaient des maisons fondantes, se lançaient des boules faciles à briser, glissaient, tombaient et se poursuivaient joyeusement, se lançant en l’air leurs chaudes haleines qui formaient de petits nuages éphémères.

Cependant, à l’hôtellerie de l’Oncle Jerry, nonobstant nuages et tempêtes, se faisaient de merveilleux préparatifs de noces. Tous les voisins du New-Hampshire et du Vermont, à quarante milles à la ronde, étaient prévenus qu’on ne pouvait manquer un tel rendez-vous, les sentiers fussent-ils rompus, les passages des montagnes interceptés, les ruisseaux débordés ; jamais pareille assemblée n’aurait été vue, depuis l’inauguration de la nouvelle église.

Confortablement installée à la cime d’un « bon et honnête coteau, » la vieille maison était vaste mais laide ; on y trouvait toutes les dépendances qu’exige la paisible installation du voyageur : écuries, remises, étables, bassins, et jusqu’au grand banc de pierre où l’on se repose au soleil, tout y était au grand complet.

Et elle n’était pas trop grande lorsqu’on y célébrait une noce, une fête militaire, une réunion de trappeurs, ou lorsque quelques amis éprouvaient le besoin d’être en la compagnie de l’oncle Jerry.

On l’appelait souvent « le Brigadier ; » d’autres le surnommaient « le Quadrumane. » Ce dernier sobriquet faisait allusion à sa stature gigantesque et à sa force prodigieuse ; c’était une flatteuse assimilation avec l’orang-outang, ce terrible hôte de l’Afrique centrale.

Il faut convenir qu’avec ses deux mains il faisait l’ouvrage de quatre, malgré son grand âge, qu’il s’agit de labourer, charpenter, bûcheronner ou boire.

Tout voyageur passant dans un rayon de cinquante milles venait rendre visite à l’oncle Jerry ; on installait chez lui mulets, chevaux, voitures, femmes, filles ou sœurs ; et cela sans gêne ; il suffisait de lui dire « s’il vous plaît ! » Le Brigadier objectait-il que son auberge était remplie, on restait quand même : on campait dans les cours, dans les greniers à foin, dans les magasins de paille ; les couvertures des chevaux servaient de tente ; il y en avait qui couchaient sous le manteau de la vaste cheminée.

Souvent des personnages qu’il n’avait jamais vus, qu’il ne devait jamais revoir, venaient gravement s’attabler chez lui, comme usant d’un droit indiscutable, et disparaissaient sans dire merci. Le vieux bonhomme, quoique né quaker, était connu pour le méthodiste le plus hospitalier de la contrée ; de plus, il était un peu magistrat, ses portes étaient toujours ouvertes même pour le vagabond le plus délabré.

Tout ce monde là allait et venait, non-seulement sans lâcher un mot de ses affaires, mais encore sans se laisser voir pour ainsi dire, et ordinairement sans faire connaître son nom. On pouvait y reconnaître des « friends, » se rendant au « meeting » le plus proche, ou à quelque marché ; des « méthodistes, » prêcheurs en plein air ; des étrangers qui avaient entendu parler du sire Jérémiah, et qui venaient vérifier de leurs propres yeux, le point intéressant de savoir si tout était gigantesque comme on le disait, l’hôte et l’hôtellerie.

L’Oncle Jérémiah était né quaker, ainsi que nous l’avons dit, dans les environs de « Porchmouth » (Portsmouth.) Nous avertissons le lecteur que cet homme considérable avait un faible, consistant à prononcer l’anglais comme un flamand ou un allemand : il aimait à « germaniser » dans le langage.

Sa patrie, néanmoins, était le New-Hampshire : ayant épousé, en premières noces, une jeune et jolie méthodiste, pour lui plaire il se lança dans les affaires de milice qui l’entraînèrent si loin qu’il fallut quitter le pays. Sans proférer une plainte, uns dire un mot, le Brigadier prit délicatement sa chère petite femme sous un bras, sa petite malle sous l’autre, et disparut aussi soudainement et aussi mystérieusement que si la terre l’eût englouti comme les fils d’Éliab : son départ devint une légende chez les méthodistes.

Toute une génération grandit et vieillit sans avoir reçu de ses nouvelles ; à la longue, on finit par ne plus s’en occuper ; le bruit courait qu’il avait émigré du côté de l’Est et que là, il dirigeait une grande et belle ferme du District du Maine ; on disait encore qu’il s’était établi près de la Baie des Français, où il avait épousé une seconde, et peut-être une troisième femme beaucoup plus jeune que lui.

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