Le dernier geste

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Le dernier geste by Jean Feron, GILBERT TEROL
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Author: Jean Feron ISBN: 1230003145265
Publisher: GILBERT TEROL Publication: March 21, 2019
Imprint: Language: French
Author: Jean Feron
ISBN: 1230003145265
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: March 21, 2019
Imprint:
Language: French

Dans cette crique déserte et sauvage le petit bateau se balançait doucement sur la lame basse et molle libérée, depuis deux jours, des glaces de l’hiver finissant. À sa proue il étalait, en belles et hautes lettres et comme avec une sorte de fierté, un nom d’espérance et de lumière : l’Aurore.

C’était une barque de pêcheur. Et de toutes les barques qui berçaient leur mâture dans la rade de Louisbourg, l’Aurore était reconnue comme la plus belle, la plus élancée, la plus élégante, la plus rapide. On la connaissait bien sur les bancs poissonneux de Terre-Neuve ; on la connaissait jusqu’aux îles. Dans les bons vents, ses deux voiles hautes, ainsi que deux grandes ailes déployées, se gonflaient triomphalement, et elle secouait sa carène avec l’air d’une biche prête à bondir : puis, penchant avec grâce son flanc souple sur la vague, elle prenait un vif élan vers la haute mer avec l’aisance d’un grand oiseau aquatique.

Son patron, Constant Dumont, assisté de trois aides, ne rentrait jamais au port sans une belle cargaison de poisson. L’équipage se composait d’Aurèle, le fils du patron, d’Olivier Rambaud, fils d’un armateur de la Rochelle et d’un jeune sauvage micmac.

Mais la pêche n’était pas l’unique métier du maître de l’Aurore ; le commerce ou, si l’on veut, la traite des pelleteries, durant la morte saison, occupait ses loisirs et grossissait ses gains. Connu pour honnête homme et pour bon payeur parmi les tribus sauvages, il entretenait avec elles un traffic dont le rendement n’était pas loin d’égaler celui de la pêche. La probité, la droiture, ses connaissances maritimes et, mieux encore peut-être, l’aisance matérielle qu’il s’était acquise, le plaçaient au rang des notables de Louisbourg.

Constant Dumont avait appris son métier à Brest. Dès l’âge de douze ans il s’était embarqué avec son père, rugueux corsaire brestois, qui l’avait initié aux secrets de la navigation. Pendant plusieurs années il fut le bras droit de son père et devint un excellent marin. À ses vingt ans il pouvait en remontrer à plus d’un vieux coureur des mers.

Un jour, les Anglais avaient eu raison du corsaire brestois. Cerné en pleine mer par cinq navires fortement armés et pourvus d’équipages nombreux et bien disciplinés, le corsaire avait dû se rendre. Mais il ne s’était rendu qu’après avoir vu son navire réduit à l’état d’épave, et après que lui-même, criblé de blessures, avait senti s’exhaler son dernier souffle de vie. Le hardi marin avait en effet expiré avant qu’on eût touché les côtes anglaises. La mer, qu’il avait tant aimée et parcourue en tout sens, avait reçu sa dépouille. Son fils et les autres membres de l’équipage avaient été retenus prisonniers en Angleterre pendant plusieurs mois, puis retournés en France.

Lorsque Constant Dumont remit les pieds dans sa patrie, il trouva déserte et abandonnée la maison paternelle ; on lui apprit que sa mère, douloureusement atteinte par la mort du corsaire, n’avait pu lui survivre. Constant se trouvait orphelin pour tout de bon. Mais il était arrivé à l’âge d’homme et se sentait capable de se tirer d’affaire par ses seuls moyens. Au pis-aller, il aurait pu compter sur l’aide d’un frère et de deux sœurs qui lui restaient. Oui, mais les deux sœurs étaient mariées, chacune ayant son foyer et sa famille. Quant au frère, son aîné, s’étant enrôlé dans les armées royales, il avait négligé de donner de ses nouvelles, si bien qu’on ignorait tout de lui. Constant eut bientôt pris son parti : il réunit les maigres épargnes de ses parents, vendit le petit lopin de terre qu’il héritait, et partit pour l’Amérique avec un groupe de colons qu’on dirigeait sur Tadoussac.

Là, Constant pensa n’avoir rien de mieux à faire que la pêche. Mais, ayant bientôt rencontré des pêcheurs de l’île Royale[1], il se mit à leur service et vint se fixer à Louisbourg. Il navigua et pêcha avec différents patrons pendant quelques années. Le dernier de ses patrons fut le pêcheur Robichaud, dont il épousa la fille. Deux ans après, Robichaud s’étant noyé accidentellement, Constant et sa femme héritèrent ses biens ; une petite maison, quelques écus péniblement amassés et la barque de pêche l’Aurore.

Vingt-cinq ans s’étaient écoulés depuis.

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Dans cette crique déserte et sauvage le petit bateau se balançait doucement sur la lame basse et molle libérée, depuis deux jours, des glaces de l’hiver finissant. À sa proue il étalait, en belles et hautes lettres et comme avec une sorte de fierté, un nom d’espérance et de lumière : l’Aurore.

C’était une barque de pêcheur. Et de toutes les barques qui berçaient leur mâture dans la rade de Louisbourg, l’Aurore était reconnue comme la plus belle, la plus élancée, la plus élégante, la plus rapide. On la connaissait bien sur les bancs poissonneux de Terre-Neuve ; on la connaissait jusqu’aux îles. Dans les bons vents, ses deux voiles hautes, ainsi que deux grandes ailes déployées, se gonflaient triomphalement, et elle secouait sa carène avec l’air d’une biche prête à bondir : puis, penchant avec grâce son flanc souple sur la vague, elle prenait un vif élan vers la haute mer avec l’aisance d’un grand oiseau aquatique.

Son patron, Constant Dumont, assisté de trois aides, ne rentrait jamais au port sans une belle cargaison de poisson. L’équipage se composait d’Aurèle, le fils du patron, d’Olivier Rambaud, fils d’un armateur de la Rochelle et d’un jeune sauvage micmac.

Mais la pêche n’était pas l’unique métier du maître de l’Aurore ; le commerce ou, si l’on veut, la traite des pelleteries, durant la morte saison, occupait ses loisirs et grossissait ses gains. Connu pour honnête homme et pour bon payeur parmi les tribus sauvages, il entretenait avec elles un traffic dont le rendement n’était pas loin d’égaler celui de la pêche. La probité, la droiture, ses connaissances maritimes et, mieux encore peut-être, l’aisance matérielle qu’il s’était acquise, le plaçaient au rang des notables de Louisbourg.

Constant Dumont avait appris son métier à Brest. Dès l’âge de douze ans il s’était embarqué avec son père, rugueux corsaire brestois, qui l’avait initié aux secrets de la navigation. Pendant plusieurs années il fut le bras droit de son père et devint un excellent marin. À ses vingt ans il pouvait en remontrer à plus d’un vieux coureur des mers.

Un jour, les Anglais avaient eu raison du corsaire brestois. Cerné en pleine mer par cinq navires fortement armés et pourvus d’équipages nombreux et bien disciplinés, le corsaire avait dû se rendre. Mais il ne s’était rendu qu’après avoir vu son navire réduit à l’état d’épave, et après que lui-même, criblé de blessures, avait senti s’exhaler son dernier souffle de vie. Le hardi marin avait en effet expiré avant qu’on eût touché les côtes anglaises. La mer, qu’il avait tant aimée et parcourue en tout sens, avait reçu sa dépouille. Son fils et les autres membres de l’équipage avaient été retenus prisonniers en Angleterre pendant plusieurs mois, puis retournés en France.

Lorsque Constant Dumont remit les pieds dans sa patrie, il trouva déserte et abandonnée la maison paternelle ; on lui apprit que sa mère, douloureusement atteinte par la mort du corsaire, n’avait pu lui survivre. Constant se trouvait orphelin pour tout de bon. Mais il était arrivé à l’âge d’homme et se sentait capable de se tirer d’affaire par ses seuls moyens. Au pis-aller, il aurait pu compter sur l’aide d’un frère et de deux sœurs qui lui restaient. Oui, mais les deux sœurs étaient mariées, chacune ayant son foyer et sa famille. Quant au frère, son aîné, s’étant enrôlé dans les armées royales, il avait négligé de donner de ses nouvelles, si bien qu’on ignorait tout de lui. Constant eut bientôt pris son parti : il réunit les maigres épargnes de ses parents, vendit le petit lopin de terre qu’il héritait, et partit pour l’Amérique avec un groupe de colons qu’on dirigeait sur Tadoussac.

Là, Constant pensa n’avoir rien de mieux à faire que la pêche. Mais, ayant bientôt rencontré des pêcheurs de l’île Royale[1], il se mit à leur service et vint se fixer à Louisbourg. Il navigua et pêcha avec différents patrons pendant quelques années. Le dernier de ses patrons fut le pêcheur Robichaud, dont il épousa la fille. Deux ans après, Robichaud s’étant noyé accidentellement, Constant et sa femme héritèrent ses biens ; une petite maison, quelques écus péniblement amassés et la barque de pêche l’Aurore.

Vingt-cinq ans s’étaient écoulés depuis.

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