L'Homme qui a vue le diable

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book L'Homme qui a vue le diable by GASTON LEROUX, GILBERT TEROL, GILBERT TEROL
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Author: GASTON LEROUX, GILBERT TEROL ISBN: 1230000545372
Publisher: GILBERT TEROL Publication: July 11, 2015
Imprint: Language: French
Author: GASTON LEROUX, GILBERT TEROL
ISBN: 1230000545372
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: July 11, 2015
Imprint:
Language: French

— Je désirerais coucher dans « la mauvaise chambre ! »

Je n’ai pas plus tôt prononcé cette phrase que je vois la figure de notre hôte, si pâle déjà, blêmir encore.

— Qui vous a dit qu’il y avait ici une « mauvaise chambre » ? demanda-t-il, retenant à grand-peine une irritation certaine.

La mère Appenzel, qui apportait un magnifique morceau d’Ementhal, sur une assiette, se prend à trembler si fort qu’on entend l’assiette tambouriner la table. 

— C’est toi, mère Appenzel ?

— Ne grondez pas cette excellente femme, mon indiscrétion seule est coupable… Je voulais entrer dans la chambre dont la porte était restée close et votre servante me l’a défendu : « N’entrez pas, m’a-t-elle dit, dans « la mauvaise chambre. »

— Et vous n’y êtes pas entré ?

— Et j’y suis entré !

— Ah ! mon Dieu ! gémit la mère Appenzel, en laissant tomber un verre qui se brisa avec un singulier fracas.

— Va-t-en ! crie l’homme, brutal.

Et quand elle est partie :

— Vous êtes curieux, Monsieur !

— Excusez-moi, très curieux !… Et puis, laissez-moi vous dire, Monsieur notre hôte, n’est-ce point vous-même qui, tout à l’heure, auprès de la grotte où nous avons eu la bonne fortune de vous rencontrer, avez fait allusion aux bruits qui couraient la montagne. Eh bien ! je ne serais pas fâché que la si parfaite hospitalité que vous nous offrez serve à les dissiper. Quand j’aurai couché dans cette chambre qui a une si mauvaise réputation, et que j’y aurai reposé en paix, comme un honnête homme qui a la conscience tranquille et qui a bien soupé, on ne dira plus que votre maison, comme vous nous l’avez annoncé avec la plus triste ironie, porte malheur…

Mais le gentilhomme m’interrompt.

— Je me moque de ce qu’on dit dans la montagne !… Vous ne coucherez point dans cette chambre ; on n’y couche plus… on n’y a point couché depuis cinquante ans…

— Et qui donc y a couché pour la dernière fois ?

— Moi !… et je ne conseillerai jamais à personne d’y coucher après moi !

Ceci est dit sur un tel ton de colère mêlée d’effroi que mon désir et ma curiosité redoublent.

— Il y a cinquante ans ! Vous étiez un enfant, à cette époque ; à l’âge où l’on a encore peur, la nuit…

— Il y a cinquante ans, j’avais vingt-huit ans !

Vingt-huit ans ! Ainsi cet homme a soixante-dix-huit ans ! Qui l’eût crû ? Il est si droit, si haut, si volontaire !

Ah ! c’est un beau spectre de vieillard bien vivant !

— Mais enfin !… est-il indiscret de vous demander ce qui vous est arrivé dans cette chambre ? Moi je viens de la visiter et il ne m’est rien arrivé du tout. Elle m’a bien paru la plus naturelle des chambres !… J’ai essayé de redresser une armoire…

— Vous avez touché à l’armoire ! hurle l’homme, en jetant sa serviette et en venant vers moi avec des yeux de fou… Vous avez touché à l’armoire !…

— Oui, dis-je tranquillement, elle allait tomber…

— Mais elle ne tombe pas ! Mais elle ne tombera jamais ! Mais elle ne se redressera jamais ! Mais c’est sa manière à elle, d’être comme ça, pour toujours, titubante, vacillante, frémissante pour l’éternité !

Nous nous étions tous levés. La voix de l’homme était rauque. De grosses gouttes de sueur coulaient de son front. 

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— Je désirerais coucher dans « la mauvaise chambre ! »

Je n’ai pas plus tôt prononcé cette phrase que je vois la figure de notre hôte, si pâle déjà, blêmir encore.

— Qui vous a dit qu’il y avait ici une « mauvaise chambre » ? demanda-t-il, retenant à grand-peine une irritation certaine.

La mère Appenzel, qui apportait un magnifique morceau d’Ementhal, sur une assiette, se prend à trembler si fort qu’on entend l’assiette tambouriner la table. 

— C’est toi, mère Appenzel ?

— Ne grondez pas cette excellente femme, mon indiscrétion seule est coupable… Je voulais entrer dans la chambre dont la porte était restée close et votre servante me l’a défendu : « N’entrez pas, m’a-t-elle dit, dans « la mauvaise chambre. »

— Et vous n’y êtes pas entré ?

— Et j’y suis entré !

— Ah ! mon Dieu ! gémit la mère Appenzel, en laissant tomber un verre qui se brisa avec un singulier fracas.

— Va-t-en ! crie l’homme, brutal.

Et quand elle est partie :

— Vous êtes curieux, Monsieur !

— Excusez-moi, très curieux !… Et puis, laissez-moi vous dire, Monsieur notre hôte, n’est-ce point vous-même qui, tout à l’heure, auprès de la grotte où nous avons eu la bonne fortune de vous rencontrer, avez fait allusion aux bruits qui couraient la montagne. Eh bien ! je ne serais pas fâché que la si parfaite hospitalité que vous nous offrez serve à les dissiper. Quand j’aurai couché dans cette chambre qui a une si mauvaise réputation, et que j’y aurai reposé en paix, comme un honnête homme qui a la conscience tranquille et qui a bien soupé, on ne dira plus que votre maison, comme vous nous l’avez annoncé avec la plus triste ironie, porte malheur…

Mais le gentilhomme m’interrompt.

— Je me moque de ce qu’on dit dans la montagne !… Vous ne coucherez point dans cette chambre ; on n’y couche plus… on n’y a point couché depuis cinquante ans…

— Et qui donc y a couché pour la dernière fois ?

— Moi !… et je ne conseillerai jamais à personne d’y coucher après moi !

Ceci est dit sur un tel ton de colère mêlée d’effroi que mon désir et ma curiosité redoublent.

— Il y a cinquante ans ! Vous étiez un enfant, à cette époque ; à l’âge où l’on a encore peur, la nuit…

— Il y a cinquante ans, j’avais vingt-huit ans !

Vingt-huit ans ! Ainsi cet homme a soixante-dix-huit ans ! Qui l’eût crû ? Il est si droit, si haut, si volontaire !

Ah ! c’est un beau spectre de vieillard bien vivant !

— Mais enfin !… est-il indiscret de vous demander ce qui vous est arrivé dans cette chambre ? Moi je viens de la visiter et il ne m’est rien arrivé du tout. Elle m’a bien paru la plus naturelle des chambres !… J’ai essayé de redresser une armoire…

— Vous avez touché à l’armoire ! hurle l’homme, en jetant sa serviette et en venant vers moi avec des yeux de fou… Vous avez touché à l’armoire !…

— Oui, dis-je tranquillement, elle allait tomber…

— Mais elle ne tombe pas ! Mais elle ne tombera jamais ! Mais elle ne se redressera jamais ! Mais c’est sa manière à elle, d’être comme ça, pour toujours, titubante, vacillante, frémissante pour l’éternité !

Nous nous étions tous levés. La voix de l’homme était rauque. De grosses gouttes de sueur coulaient de son front. 

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