Moulins d’autrefois

Fiction & Literature, Historical
Cover of the book Moulins d’autrefois by FRANÇOIS FAVIÉ, GILBERT TEROL
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: FRANÇOIS FAVIÉ ISBN: 1230002743783
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 26, 2018
Imprint: Language: French
Author: FRANÇOIS FAVIÉ
ISBN: 1230002743783
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 26, 2018
Imprint:
Language: French

Jean Garric, dit « Jeantou », et Aline Terral, appelée familièrement « Line, Linette », ou « Linou du Moulin », naquirent le même jour, le jour de la Saint-Jean, mais à deux années de distance, sur la paroisse de La Capelle-des-Bois, une grande mais pauvre paroisse du haut Ségala, de cette agreste et fraîche partie du Rouergue qui s’étend à l’est et au sud-est de Rodez, et, par plateaux successifs où alternent landes, bois, prairies et cultures, court, entre deux sommets culminants, le Lévezou et le Lagast, puis descend en terrasses plus étroites et profondément sillonnées par le Rance, le Giffou, la Durenque, le Céor et une foule d’autres ruisseaux, vers les gorges encaissées du Tarn et la plaine fertile de l’Albigeois.

Les parents de Jeantou étaient de très chétifs terriens, cultivant un maigre champ, élevant quelques brebis sur un petit pré et une pauvre pâture plantée de cinq ou six gros châtaigniers, mangeant du pain de seigle dans les bonnes années, du pain d’avoine, des pommes de terre et des châtaignes, dans les mauvaises.

Le père Garric, vaguement menuisier, fabriquait quelques meubles pour les maisons les plus pauvres de La Capelle, et plus souvent des clôtures pour les champs et les prés des paysans aisés de la région. Il élaguait aussi les arbres et tressait des corbeilles et des paniers.

Aline était la plus jeune fille du meunier de La Capelle, un meunier relativement cossu, ayant toujours en activité deux couples de meules, une scierie renommée dans tout le pays, plus un bon bout de bien bordant le ruisseau et encadrant l’étang dont l’eau faisait gaiement tourner ses roues.

Le pré de Garric et sa pâture dévalaient en pente rapide au-dessous de sa maisonnette du Vignal jusqu’aux prés et à la châtaigneraie du meunier. Et c’est pourquoi quand Jeantou, sur ses sept ans, ayant troqué ses jupes contre un pantalon de serge et une veste taillée dans une vieille cotte de sa mère, commença à garder les ouailles du père Garric, il aperçut souvent Linon Terral qui, toute frêle et toute mignonne, vive comme une abeille, douce à voir avec ses yeux noisette sous ses fins cheveux blonds, accompagnait souvent sa sœur aînée ou ses deux frères à la garde des bœufs et des vaches du meunier.

Une forte haie de noisetiers, d’églantiers et d’aubépines, jalonnée de chênes, séparait la pâture de Garric des prés de Terral ; et longtemps le petit pâtre se contenta d’épier à travers les branches les jeux, les luttes ou les dînettes des enfants du voisin. Il n’osait ni pénétrer chez eux, ni leur parler, ni même répondre à leurs chants par d’autres chants, comme font souvent chez nous les bergers, d’une colline à l’autre. Jeantou était né timide et doux, un peu pataud ; et à sa timidité naturelle s’ajoutait le sentiment de la pauvreté des siens, comparée à l’aisance et au train de la famille Terral.

Mais les jours coulèrent avec le ruisseau qui faisait grincer la scie et jacasser les trémies du meunier. Jean et Aline atteignirent, lui, treize ans, elle, onze. La sœur aînée de Linou cessa de mener paître les bœufs, et resta à la maison pour aider sa mère, la meunière Rose, de santé délicate, souvent souffrante. Des deux garçons, l’un partit pour le chef-lieu où le père Terral, vaniteux de nature et conseillé par l’instituteur de La Capelle, le fit entrer au collège ; l’autre, Frédéric, Fric, ou plus communément « Cadet », commença son apprentissage du métier paternel, surveillant la scierie ou le moulin, limant les lames dentelées, « piquant » les meules, levant même déjà la hache sur les troncs à équarrir.

Et Aline alla seule au pré de l’étang, et Jeantou sentit grandir son admiration pour l’avenante voisine, sans parvenir, cependant, à vaincre la sotte timidité qui le tenait à l’écart.

La fillette, elle non plus, ne détestait pas ce bon gros garçon aux joues rouges comme les pommes qu’elle gaulait et croquait dans son pré, aux yeux noirs comme les prunelles de la haie qui les séparait. Elle l’eût bien appelé à elle, mais dame ! elle sentait vaguement que ce n’est pas aux filles à faire le premier pas ; et la futée se contentait d’observer son voisin du coin de l’œil – non sans un sourire malicieux parfois, non sans un couplet de chanson ou de cantique, qui pouvait passer pour une invite, mais auquel le petit pâtre ne répondait jamais.

Puis, Linette fut malade des jours, des semaines, plus d’un mois. Et Jeantou, fut triste, triste ; il pleura, le visage dans la glèbe du pré, ou derrière les noisetiers, Linou malade, là-bas, dans cette maison dont il apercevait seulement la toiture par-dessus la chaussée de l’étang ! … Si elle n’allait plus venir jamais ! Si elle allait mourir, ainsi, tout à coup ! S’il allait entendre les cloches de La Capelle-des-Bois sonner soudain pour sa « finie » et sa mort ! … À cette idée, le cœur du pauvre petit se gonflait à éclater ; une désolation sans bornes le promenait, errant et désemparé ; il contait sa peine aux vieux châtaigniers, au ruisseau qui semblait sangloter comme lui, aux nuages qu’avril chassait sous son souffle de renouveau.

Ah ! s’il avait osé demander à sa mère d’aller prendre des nouvelles ; s’il avait osé, quand son père revenait du moulin portant sur l’épaule leur petite provision de farine, – de quoi pétrir trois ou quatre grosses miches, noires et rugueuses comme l’écorce des chênes, – lui dire :

– Papa, avez-vous vu Linou ? Linou n’est pas morte, au moins ?

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

Jean Garric, dit « Jeantou », et Aline Terral, appelée familièrement « Line, Linette », ou « Linou du Moulin », naquirent le même jour, le jour de la Saint-Jean, mais à deux années de distance, sur la paroisse de La Capelle-des-Bois, une grande mais pauvre paroisse du haut Ségala, de cette agreste et fraîche partie du Rouergue qui s’étend à l’est et au sud-est de Rodez, et, par plateaux successifs où alternent landes, bois, prairies et cultures, court, entre deux sommets culminants, le Lévezou et le Lagast, puis descend en terrasses plus étroites et profondément sillonnées par le Rance, le Giffou, la Durenque, le Céor et une foule d’autres ruisseaux, vers les gorges encaissées du Tarn et la plaine fertile de l’Albigeois.

Les parents de Jeantou étaient de très chétifs terriens, cultivant un maigre champ, élevant quelques brebis sur un petit pré et une pauvre pâture plantée de cinq ou six gros châtaigniers, mangeant du pain de seigle dans les bonnes années, du pain d’avoine, des pommes de terre et des châtaignes, dans les mauvaises.

Le père Garric, vaguement menuisier, fabriquait quelques meubles pour les maisons les plus pauvres de La Capelle, et plus souvent des clôtures pour les champs et les prés des paysans aisés de la région. Il élaguait aussi les arbres et tressait des corbeilles et des paniers.

Aline était la plus jeune fille du meunier de La Capelle, un meunier relativement cossu, ayant toujours en activité deux couples de meules, une scierie renommée dans tout le pays, plus un bon bout de bien bordant le ruisseau et encadrant l’étang dont l’eau faisait gaiement tourner ses roues.

Le pré de Garric et sa pâture dévalaient en pente rapide au-dessous de sa maisonnette du Vignal jusqu’aux prés et à la châtaigneraie du meunier. Et c’est pourquoi quand Jeantou, sur ses sept ans, ayant troqué ses jupes contre un pantalon de serge et une veste taillée dans une vieille cotte de sa mère, commença à garder les ouailles du père Garric, il aperçut souvent Linon Terral qui, toute frêle et toute mignonne, vive comme une abeille, douce à voir avec ses yeux noisette sous ses fins cheveux blonds, accompagnait souvent sa sœur aînée ou ses deux frères à la garde des bœufs et des vaches du meunier.

Une forte haie de noisetiers, d’églantiers et d’aubépines, jalonnée de chênes, séparait la pâture de Garric des prés de Terral ; et longtemps le petit pâtre se contenta d’épier à travers les branches les jeux, les luttes ou les dînettes des enfants du voisin. Il n’osait ni pénétrer chez eux, ni leur parler, ni même répondre à leurs chants par d’autres chants, comme font souvent chez nous les bergers, d’une colline à l’autre. Jeantou était né timide et doux, un peu pataud ; et à sa timidité naturelle s’ajoutait le sentiment de la pauvreté des siens, comparée à l’aisance et au train de la famille Terral.

Mais les jours coulèrent avec le ruisseau qui faisait grincer la scie et jacasser les trémies du meunier. Jean et Aline atteignirent, lui, treize ans, elle, onze. La sœur aînée de Linou cessa de mener paître les bœufs, et resta à la maison pour aider sa mère, la meunière Rose, de santé délicate, souvent souffrante. Des deux garçons, l’un partit pour le chef-lieu où le père Terral, vaniteux de nature et conseillé par l’instituteur de La Capelle, le fit entrer au collège ; l’autre, Frédéric, Fric, ou plus communément « Cadet », commença son apprentissage du métier paternel, surveillant la scierie ou le moulin, limant les lames dentelées, « piquant » les meules, levant même déjà la hache sur les troncs à équarrir.

Et Aline alla seule au pré de l’étang, et Jeantou sentit grandir son admiration pour l’avenante voisine, sans parvenir, cependant, à vaincre la sotte timidité qui le tenait à l’écart.

La fillette, elle non plus, ne détestait pas ce bon gros garçon aux joues rouges comme les pommes qu’elle gaulait et croquait dans son pré, aux yeux noirs comme les prunelles de la haie qui les séparait. Elle l’eût bien appelé à elle, mais dame ! elle sentait vaguement que ce n’est pas aux filles à faire le premier pas ; et la futée se contentait d’observer son voisin du coin de l’œil – non sans un sourire malicieux parfois, non sans un couplet de chanson ou de cantique, qui pouvait passer pour une invite, mais auquel le petit pâtre ne répondait jamais.

Puis, Linette fut malade des jours, des semaines, plus d’un mois. Et Jeantou, fut triste, triste ; il pleura, le visage dans la glèbe du pré, ou derrière les noisetiers, Linou malade, là-bas, dans cette maison dont il apercevait seulement la toiture par-dessus la chaussée de l’étang ! … Si elle n’allait plus venir jamais ! Si elle allait mourir, ainsi, tout à coup ! S’il allait entendre les cloches de La Capelle-des-Bois sonner soudain pour sa « finie » et sa mort ! … À cette idée, le cœur du pauvre petit se gonflait à éclater ; une désolation sans bornes le promenait, errant et désemparé ; il contait sa peine aux vieux châtaigniers, au ruisseau qui semblait sangloter comme lui, aux nuages qu’avril chassait sous son souffle de renouveau.

Ah ! s’il avait osé demander à sa mère d’aller prendre des nouvelles ; s’il avait osé, quand son père revenait du moulin portant sur l’épaule leur petite provision de farine, – de quoi pétrir trois ou quatre grosses miches, noires et rugueuses comme l’écorce des chênes, – lui dire :

– Papa, avez-vous vu Linou ? Linou n’est pas morte, au moins ?

More books from GILBERT TEROL

Cover of the book Le crime du vieux Blas by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book DIX FABLES QUE TOUT LES ENFANTS DEVRAIENT LIRE AVANT DE DORMIR by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book LA QUESTION ROMAINE by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book La Fin de notre ère by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book L’Envers de la guerre by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book Moi quelque part by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book Séraphîta by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book ALI BABA ET LES QUARANTE VOLEURS by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book Un drame au Labrador , Illustrées by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book L’Éternel Mari by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book La Demoiselle aux yeux verts by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book Les Puritains d’Amérique, Annoté by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book Aventures merveilleuses by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book Les Monikins annoté by FRANÇOIS FAVIÉ
Cover of the book Le Médecin de campagne by FRANÇOIS FAVIÉ
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy