Author: | WALTER SCOTT | ISBN: | 1230000212234 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | WALTER SCOTT |
ISBN: | 1230000212234 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
MON CHER CAPITAINE,
J’apprends avec peine, par votre dernière lettre, que vous n’approuvez pas les altérations et les changements nombreux que je me suis permis de faire au manuscrit de votre ami le Bénédictin. En me justifiant auprès de vous, j’espère me justifier auprès d’une infinité de personnes qui m’ont fait plus d’honneur que je ne mérite.
Je conviens que mes retranchements ont laissé plusieurs lacunes dans l’histoire, et que votre manuscrit original, à ce que l’imprimeur m’assure, eût fourni la matière de quatre volumes. Je sens aussi que, par suite de la permission que vous m’avez donnée, certaines parties de cette même histoire ont perdu de leur clarté faute des détails nécessaires. Mais ne vaut-il pas mieux, après tout, que le voyageur ait quelques fossés à sauter de temps en temps, au lieu de rester enfoncé dans la vase, que le lecteur ait à imaginer des choses d’invention facile, au lieu d’avoir à parcourir les longues pages d’une ennuyeuse explication ? J’ai, par exemple, retranché toute cette merveilleuse machine de la Dame Blanche, ainsi que les beaux vers qui y ont rapport dans le manuscrit original. Vous conviendrez avec moi que le goût public ne favorise pas aujourd’hui ces légendes superstitieuses, qui faisaient à la fois les délices et la terreur de nos ancêtres. J’ai de même supprimé bien des faits, bien des circonstances qui faisaient mieux ressortir l’enthousiasme fervent de la mère Magdeleine et de l’Abbé pour l’ancienne religion. Nous n’éprouvons pas maintenant beaucoup de sympathie pour ces opinions, qui formaient alors en Europe le plus puissant et le plus fécond des principes, si nous en exceptons toutefois la réforme, qui les a combattues avec tant de succès.
Vous remarquez très-judicieusement que, par suite de ces retranchements, le titre ne s’applique plus à l’ouvrage dans l’état où il est, et que tout autre lui eût aussi bien convenu que celui de l’Abbé, personnage qui remplissait un rôle bien autrement important dans l’original, et pour lequel votre ami le Bénédictin semble vous avoir inspiré un attachement respectueux. Je reconnais ma faute sur ce point ; je ferai observer seulement, pour l’atténuer, que l’objection eût pu facilement être prévenue par la substitution d’un nouveau titre : mais par là se serait trouvée détruite la connexion indispensable de cet ouvrage avec le Monastère, qui l’a précédé ; ce que j’aurais eu quelque répugnance à faire, puisque ces deux histoires sont de la même époque, et que plusieurs des personnages sont aussi les mêmes.
Après tout, mon cher ami, peu importe le titre d’un ouvrage, peu importe même sur quels sujets il appelle l’intérêt du public, pourvu que celui-ci daigne l’accueillir. Car, suivant le vieux proverbe, la bonne qualité du vin une fois reconnue, il nous est indifférent qu’il y ait ou non une touffe de bruyère suspendue à la porte du cabaret[2].
Vous avez cru que la prudence ne vous défendait pas de vous donner un tilbury, je vous en félicite ; j’en approuve la couleur, ainsi que la livrée de votre laquais, vert pâle et rose. Puisque vous parlez de terminer votre poëme descriptif sur les ruines de Kennaquhair, avec des notes par un antiquaire, je pense que vous aurez fait choix d’un cheval tranquille et sûr. Mes compliments à tous les amis.
Je suis, mon cher capitaine.
Votre très-obéissant serviteur,
MON CHER CAPITAINE,
J’apprends avec peine, par votre dernière lettre, que vous n’approuvez pas les altérations et les changements nombreux que je me suis permis de faire au manuscrit de votre ami le Bénédictin. En me justifiant auprès de vous, j’espère me justifier auprès d’une infinité de personnes qui m’ont fait plus d’honneur que je ne mérite.
Je conviens que mes retranchements ont laissé plusieurs lacunes dans l’histoire, et que votre manuscrit original, à ce que l’imprimeur m’assure, eût fourni la matière de quatre volumes. Je sens aussi que, par suite de la permission que vous m’avez donnée, certaines parties de cette même histoire ont perdu de leur clarté faute des détails nécessaires. Mais ne vaut-il pas mieux, après tout, que le voyageur ait quelques fossés à sauter de temps en temps, au lieu de rester enfoncé dans la vase, que le lecteur ait à imaginer des choses d’invention facile, au lieu d’avoir à parcourir les longues pages d’une ennuyeuse explication ? J’ai, par exemple, retranché toute cette merveilleuse machine de la Dame Blanche, ainsi que les beaux vers qui y ont rapport dans le manuscrit original. Vous conviendrez avec moi que le goût public ne favorise pas aujourd’hui ces légendes superstitieuses, qui faisaient à la fois les délices et la terreur de nos ancêtres. J’ai de même supprimé bien des faits, bien des circonstances qui faisaient mieux ressortir l’enthousiasme fervent de la mère Magdeleine et de l’Abbé pour l’ancienne religion. Nous n’éprouvons pas maintenant beaucoup de sympathie pour ces opinions, qui formaient alors en Europe le plus puissant et le plus fécond des principes, si nous en exceptons toutefois la réforme, qui les a combattues avec tant de succès.
Vous remarquez très-judicieusement que, par suite de ces retranchements, le titre ne s’applique plus à l’ouvrage dans l’état où il est, et que tout autre lui eût aussi bien convenu que celui de l’Abbé, personnage qui remplissait un rôle bien autrement important dans l’original, et pour lequel votre ami le Bénédictin semble vous avoir inspiré un attachement respectueux. Je reconnais ma faute sur ce point ; je ferai observer seulement, pour l’atténuer, que l’objection eût pu facilement être prévenue par la substitution d’un nouveau titre : mais par là se serait trouvée détruite la connexion indispensable de cet ouvrage avec le Monastère, qui l’a précédé ; ce que j’aurais eu quelque répugnance à faire, puisque ces deux histoires sont de la même époque, et que plusieurs des personnages sont aussi les mêmes.
Après tout, mon cher ami, peu importe le titre d’un ouvrage, peu importe même sur quels sujets il appelle l’intérêt du public, pourvu que celui-ci daigne l’accueillir. Car, suivant le vieux proverbe, la bonne qualité du vin une fois reconnue, il nous est indifférent qu’il y ait ou non une touffe de bruyère suspendue à la porte du cabaret[2].
Vous avez cru que la prudence ne vous défendait pas de vous donner un tilbury, je vous en félicite ; j’en approuve la couleur, ainsi que la livrée de votre laquais, vert pâle et rose. Puisque vous parlez de terminer votre poëme descriptif sur les ruines de Kennaquhair, avec des notes par un antiquaire, je pense que vous aurez fait choix d’un cheval tranquille et sûr. Mes compliments à tous les amis.
Je suis, mon cher capitaine.
Votre très-obéissant serviteur,