Un dirigeable au pôle Nord

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Un dirigeable au pôle Nord by Capitaine Danrit, GILBERT TEROL
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Author: Capitaine Danrit ISBN: 1230003309254
Publisher: GILBERT TEROL Publication: July 5, 2019
Imprint: Language: French
Author: Capitaine Danrit
ISBN: 1230003309254
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: July 5, 2019
Imprint:
Language: French

La porte s’était refermée. Christiane se rapprocha de l’officier, plongea ses yeux dans les siens et, avec un accent de décision qu’il ne soupçonnait pas chez elle :

— Monsieur Durtal, lui dit-elle à mi-voix, comme pour mettre plus d’intimité dans cette grave explication, il faut accepter la proposition de cet homme, il faut essayer d’aller au Pôle !…

— Mais, mademoiselle…

— Écoutez-moi, je vous en prie. Il y a des choses que les femmes sentent mieux qu’elles ne les démontrent, et celle-là en est une. Et puis, comment vous expliquer que la Christiane qui vous parle n’est plus celle qui sombrait au départ dans une terreur instinctive, qu’elle n’est même plus la Christiane d’il y a une heure ! Tout ce que cet homme vient de dire m’a retournée. Songez-y ! Un acte de volonté, et c’est vous, c’est la France, qui prend la tête de tous ces explorateurs dont il vient de citer les noms. Oh ! monsieur Durtal. Je voudrais faire passer en vous la conviction qui vient de naître en moi, de s’imposer à moi irrésistiblement… Croyez-moi, cet Américain a le sentiment du grand et du beau. Il dit vrai : jamais occasion comme celle-la n’a été offerte à un homme, à une nation…

Elle mit le doigt sur le Pôle et, étendant le bras, d’un geste large :

— Voyez-vous le retentissement qu’aurait partout cette surprenante, cette étourdissante nouvelle, tombant en France, en Europe, au moment où l’on y pense le moins : « Le drapeau français a été planté au Pôle par un officier français ! » ? Voyez-vous ces lourdes plaisanteries, qui n’ont pas dû manquer à l’étranger au lendemain de notre accident, les sots commentaires de toute sorte provoqués par la perte d’un second Patrie, tout cela s’effondrant dans une rumeur d’apothéose : « Le Patrie est au Pôle ! » ?

« Ah ! monsieur, si vous sentiez cela comme moi !… »

Et les yeux dans le lointain de son rêve, Christiane de Soignes joignit les mains.

— Je ressens tout cela comme vous, mademoiselle, fit-il, à mi-voix, lui aussi, et tout à l’heure, quand cet homme nous montrait le cercle d’inconnu se resserrant autour de l’axe du monde par la tenace volonté de navigateurs étrangers, quand il disait surtout : « Pas un nom français parmi tous ces noms de chercheurs et de héros ! » j’avais presque honte de cette constatation et je me disais : « Pourquoi pas nous ? »

— Eh bien ! vous traduisez exactement ce que je pensais au même moment. Alors, concluez comme moi : essayons ! partons !

— Mademoiselle, je le voudrais, mais tout en moi proteste. Laissez-moi vous le redire, avant tout je suis soldat ; je n’ai pas le droit — et il articula lentement cette phrase en appuyant sur le dernier mot — je n’ai pas le droit de disposer du Patrie. Devant cet argument unique, impérieux, capital, tombent tous mes enthousiasmes. J’en suis responsable vis-à-vis de mes chefs, de ce ballon, responsable, entendez-vous ? Le hasard m’en a fait le maître. Mais, dans ce coin perdu des rivages arctiques, je représente à moi seul toute la hiérarchie militaire. Je dois agir ici comme si j’étais en communication constante avec les chefs de l’armée. Or, il n’est pas douteux que, si ceux-ci pouvaient m’envoyer un ordre, ce serait celui-ci : « Ramenez le Patrie à son hangar, où il a son utilité comme engin de guerre, où il peut être indispensable demain ». Là est le devoir.

Christiane de Soignes secoua la tête.

— Non, monsieur, il n’est pas là. Vous raisonnez en officier, vous ne raisonnez pas en Français, fit-elle avec une vivacité qui se reflétait dans son regard plein de clartés… Écoutez : je ne sais si c’est la voix d’aïeux très lointains qui, en ce moment, bourdonne dans mon cerveau et me souffle des pensées qui étaient si loin de moi, il y a quelques heures… C’est possible. Je crois à la transmission de la volonté des morts, parce qu’en infusant leur sang à leurs descendants, ils leur ont passé leurs plus pures aspirations et comme des parcelles d’idéal qui n’attendent qu’une occasion pour entrer en vibration… Eh bien, à cette heure, tout vibre en moi, et je me sens remué au plus profond de moi-même.

Elle se tut, et, lentement, comme si elle écoutait des voix mystérieuses :

— Tenez, fit-elle, j’ai entendu souvent raconter par mes parents qu’un des nôtres fut, aux Indes, un compagnon d’armes de Dupleix et de sa femme Jeanne de Castro, la Begum des légendes hindoues. Avec ce grand Français, il lutta contre les rajahs et les Anglais et fut tué au siège de Pondichéry. C’était une âme aventureuse et ses cendres reposent quelque part, sur un lointain rivage. Il ne se serait pas embarrassé d’une consigne étroite, lui. Il aurait vu, au-dessus d’elle, le renom de la France et du roi. Eh bien, qui sait si ce n’est pas lui, cet aïeul mort pour une noble cause, qui réveille en moi des sentiments que je ne me connaissais pas ? Qui sait si ce n’est pas lui qui vous dit par ma voix : « L’heure sonne de faire une grande chose pour la France, ne la laissez pas passer ! » ?

Elle se tut de nouveau, ses yeux dans ceux de l’officier, et elle ne parlait plus, que Georges Durtal, profondément remué par cette voix chaude et prenante, l’écoutait encore, remplissant son regard de son idéale beauté, car Christiane était comme transfigurée. La légitime fierté de sa race se reflétait sur son beau visage et, dans sa distinction native, elle apparaissait au jeune officier comme une de ces grandes dames de la « Guerre en dentelles », qui souriaient à leurs chevaliers, en leur montrant, d’un geste gracieux, la direction du champ de bataille.

Il se sentait rapetissé à côté d’elle. Il eût voulu baiser le bas de sa robe, lui dire son admiration et tout ce qui montait en lui de chaude sympathie, de tendresse et de respect. Il eût voulu surtout céder à ses objurgations. Il en comprenait la force, la justesse, mais il se sentait comme tiré en arrière par les mots de « devoir militaire » et de « consigne », qu’on lui avait appris à respecter avant tous les autres.

La jeune fille semblait suivre sur ses traits la lutte intérieure qui le rendait silencieux. Mélancoliquement, elle reprit :

— Plus d’une fois déjà, j’ai regretté d’être femme. J’ai envié ceux qui combattent, ceux qui vont au loin, ceux qui meurent. Je me suis grisée de sport pour me donner l’illusion de l’action, mais je ne suis arrivée qu’à lasser mon corps sans rassasier mon âme. Puis, j’ai rêvé d’être l’inspiratrice d’un acte héroïque, et voilà que l’acte se précise, voilà que l’homme ayant en mains les moyens de l’accomplir est là… Et j’éprouve une émotion indéfinissable en lui disant : « Pourquoi ne voulez-vous pas être l’élu ? »

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La porte s’était refermée. Christiane se rapprocha de l’officier, plongea ses yeux dans les siens et, avec un accent de décision qu’il ne soupçonnait pas chez elle :

— Monsieur Durtal, lui dit-elle à mi-voix, comme pour mettre plus d’intimité dans cette grave explication, il faut accepter la proposition de cet homme, il faut essayer d’aller au Pôle !…

— Mais, mademoiselle…

— Écoutez-moi, je vous en prie. Il y a des choses que les femmes sentent mieux qu’elles ne les démontrent, et celle-là en est une. Et puis, comment vous expliquer que la Christiane qui vous parle n’est plus celle qui sombrait au départ dans une terreur instinctive, qu’elle n’est même plus la Christiane d’il y a une heure ! Tout ce que cet homme vient de dire m’a retournée. Songez-y ! Un acte de volonté, et c’est vous, c’est la France, qui prend la tête de tous ces explorateurs dont il vient de citer les noms. Oh ! monsieur Durtal. Je voudrais faire passer en vous la conviction qui vient de naître en moi, de s’imposer à moi irrésistiblement… Croyez-moi, cet Américain a le sentiment du grand et du beau. Il dit vrai : jamais occasion comme celle-la n’a été offerte à un homme, à une nation…

Elle mit le doigt sur le Pôle et, étendant le bras, d’un geste large :

— Voyez-vous le retentissement qu’aurait partout cette surprenante, cette étourdissante nouvelle, tombant en France, en Europe, au moment où l’on y pense le moins : « Le drapeau français a été planté au Pôle par un officier français ! » ? Voyez-vous ces lourdes plaisanteries, qui n’ont pas dû manquer à l’étranger au lendemain de notre accident, les sots commentaires de toute sorte provoqués par la perte d’un second Patrie, tout cela s’effondrant dans une rumeur d’apothéose : « Le Patrie est au Pôle ! » ?

« Ah ! monsieur, si vous sentiez cela comme moi !… »

Et les yeux dans le lointain de son rêve, Christiane de Soignes joignit les mains.

— Je ressens tout cela comme vous, mademoiselle, fit-il, à mi-voix, lui aussi, et tout à l’heure, quand cet homme nous montrait le cercle d’inconnu se resserrant autour de l’axe du monde par la tenace volonté de navigateurs étrangers, quand il disait surtout : « Pas un nom français parmi tous ces noms de chercheurs et de héros ! » j’avais presque honte de cette constatation et je me disais : « Pourquoi pas nous ? »

— Eh bien ! vous traduisez exactement ce que je pensais au même moment. Alors, concluez comme moi : essayons ! partons !

— Mademoiselle, je le voudrais, mais tout en moi proteste. Laissez-moi vous le redire, avant tout je suis soldat ; je n’ai pas le droit — et il articula lentement cette phrase en appuyant sur le dernier mot — je n’ai pas le droit de disposer du Patrie. Devant cet argument unique, impérieux, capital, tombent tous mes enthousiasmes. J’en suis responsable vis-à-vis de mes chefs, de ce ballon, responsable, entendez-vous ? Le hasard m’en a fait le maître. Mais, dans ce coin perdu des rivages arctiques, je représente à moi seul toute la hiérarchie militaire. Je dois agir ici comme si j’étais en communication constante avec les chefs de l’armée. Or, il n’est pas douteux que, si ceux-ci pouvaient m’envoyer un ordre, ce serait celui-ci : « Ramenez le Patrie à son hangar, où il a son utilité comme engin de guerre, où il peut être indispensable demain ». Là est le devoir.

Christiane de Soignes secoua la tête.

— Non, monsieur, il n’est pas là. Vous raisonnez en officier, vous ne raisonnez pas en Français, fit-elle avec une vivacité qui se reflétait dans son regard plein de clartés… Écoutez : je ne sais si c’est la voix d’aïeux très lointains qui, en ce moment, bourdonne dans mon cerveau et me souffle des pensées qui étaient si loin de moi, il y a quelques heures… C’est possible. Je crois à la transmission de la volonté des morts, parce qu’en infusant leur sang à leurs descendants, ils leur ont passé leurs plus pures aspirations et comme des parcelles d’idéal qui n’attendent qu’une occasion pour entrer en vibration… Eh bien, à cette heure, tout vibre en moi, et je me sens remué au plus profond de moi-même.

Elle se tut, et, lentement, comme si elle écoutait des voix mystérieuses :

— Tenez, fit-elle, j’ai entendu souvent raconter par mes parents qu’un des nôtres fut, aux Indes, un compagnon d’armes de Dupleix et de sa femme Jeanne de Castro, la Begum des légendes hindoues. Avec ce grand Français, il lutta contre les rajahs et les Anglais et fut tué au siège de Pondichéry. C’était une âme aventureuse et ses cendres reposent quelque part, sur un lointain rivage. Il ne se serait pas embarrassé d’une consigne étroite, lui. Il aurait vu, au-dessus d’elle, le renom de la France et du roi. Eh bien, qui sait si ce n’est pas lui, cet aïeul mort pour une noble cause, qui réveille en moi des sentiments que je ne me connaissais pas ? Qui sait si ce n’est pas lui qui vous dit par ma voix : « L’heure sonne de faire une grande chose pour la France, ne la laissez pas passer ! » ?

Elle se tut de nouveau, ses yeux dans ceux de l’officier, et elle ne parlait plus, que Georges Durtal, profondément remué par cette voix chaude et prenante, l’écoutait encore, remplissant son regard de son idéale beauté, car Christiane était comme transfigurée. La légitime fierté de sa race se reflétait sur son beau visage et, dans sa distinction native, elle apparaissait au jeune officier comme une de ces grandes dames de la « Guerre en dentelles », qui souriaient à leurs chevaliers, en leur montrant, d’un geste gracieux, la direction du champ de bataille.

Il se sentait rapetissé à côté d’elle. Il eût voulu baiser le bas de sa robe, lui dire son admiration et tout ce qui montait en lui de chaude sympathie, de tendresse et de respect. Il eût voulu surtout céder à ses objurgations. Il en comprenait la force, la justesse, mais il se sentait comme tiré en arrière par les mots de « devoir militaire » et de « consigne », qu’on lui avait appris à respecter avant tous les autres.

La jeune fille semblait suivre sur ses traits la lutte intérieure qui le rendait silencieux. Mélancoliquement, elle reprit :

— Plus d’une fois déjà, j’ai regretté d’être femme. J’ai envié ceux qui combattent, ceux qui vont au loin, ceux qui meurent. Je me suis grisée de sport pour me donner l’illusion de l’action, mais je ne suis arrivée qu’à lasser mon corps sans rassasier mon âme. Puis, j’ai rêvé d’être l’inspiratrice d’un acte héroïque, et voilà que l’acte se précise, voilà que l’homme ayant en mains les moyens de l’accomplir est là… Et j’éprouve une émotion indéfinissable en lui disant : « Pourquoi ne voulez-vous pas être l’élu ? »

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