Par mer et par terre - le corsaire

Fiction & Literature, Action Suspense
Cover of the book Par mer et par terre - le corsaire by Aimard Gustave, YADE
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: Aimard Gustave ISBN: 1230001624069
Publisher: YADE Publication: April 4, 2017
Imprint: Language: French
Author: Aimard Gustave
ISBN: 1230001624069
Publisher: YADE
Publication: April 4, 2017
Imprint:
Language: French

L’ABANDON.


Man delights not me.
(Shakespeare, Hamlet)

La Puerta del Sol, depuis un temps immémorial rendez-vous ordinaire des oisifs et des nouvellistes de Madrid, était, à l’époque où se passe cette histoire, un carrefour étroit, boueux, situé presque au centre de la ville et formé par le croisement des rues de Carretas, de la Montera et celle d’Alcala, qui le traversait dans toute sa longueur ; son nom bizarre lui venait de la porte d’une église peinte en rose tendre, enjolivée d’un cadran éclairé la nuit, et d’un grand soleil à rayons d’or.

Aujourd’hui, porte, cadran, soleil ont disparu ; l’ancien carrefour est devenu une place, mais le nom est resté.

Or, il y a quatre-vingts ans, on admirait, calle de Alcala, à deux cents pas au plus de la Puerta del Sol, un palais d’aspect grandiose, curieux et peut-être dernier spécimen à Madrid de l’architecture moresque.

Voici, en deux mots, l’histoire de ce palais :

Vers l’an 952, Madrid n’était encore qu’un misérable village, surgi, un peu à l’aventure, du milieu des ruines d’une ancienne station romaine ; les Mores, jugeant la situation bonne et facile à défendre, s’installèrent solidement à Madrid et y construisirent, pour le nouveau gouverneur, un Alcazar, destiné non-seulement à lui servir de palais, mais surtout à défendre la ville, qui ne tarda pas à s’accroître et à prendre une certaine importance sous la protection, toute-puissante alors, des conquérants arabes.

Don Enrique Pacheco Tellez de Salaberry, rico-hombre de Galice, commandant l’avant-garde d’Alfonso VI, roi de Léon et de Castille, pendant sa marche sur Tolède en 1085, s’approcha de Madrid sans être aperçu des sentinelles musulmanes, les surprit à l’improviste et prit d’assaut l’Alcazar. Ce hardi coup de main entraîna la reddition de la ville, qui, depuis, est demeurée définitivement acquise à la monarchie espagnole.

Le roi Alfonso VI, voulant récompenser le brillant fait d’armes du rico-hombre, lui fit don, pour lui et ses descendants, de l’Alcazar qu’il avait si vaillamment conquis.

Ce palais prit alors le nom de la puissante famille, dans laquelle il resta et dont il devint la résidence de prédilection.

L’entrée du palais ou hôtel Salaberry, un peu en retraite de l’alignement de la calle de Alcala, était formée par deux hautes tourelles en granit bleuâtre, sveltes, élancées, fouillées et découpées avec un art infini, surmontées d’almenas, percées çà et là de nombreuses archères, et reliées entre elles par une épaisse muraille crénelée, au centre de laquelle s’ouvrait une immense porte ogivale à doubles ventaux, large, massive, percée d’un guichet, garnie de solides serrures, véritables chefs-d’œuvre de serrurerie, et semée à profusion d’énormes clous en acier, dont les têtes étaient taillées en pointe de diamant.

Cette porte supportait un gigantesque écusson en saillie, sculpté dans le granit, et sur lequel les armoiries de la famille de Salaberry étaient très-artistiquement représentées.

Les Salaberry portaient d’or, au griffon de sable, la queue fourchée, lampassé et couronné de gueules ; l’écu, timbré d’un casque à visière baissée, dont le cimier était une couronne de duc, de fleurons à feuilles d’ache, avait pour support à dextre et à senestre un griffon la griffe allongée sur le casque et le maintenant.

Sur une banderole de granit, courant sous l’écusson, était gravée cette fière devise ou plutôt ce cri de guerre :

Cuidado alli viene !

ce qui signifie :

Gare, le voilà qui vient !

Le 13 octobre 179., la nuit était tombée, pluvieuse et sans lune ; le vent fouettait avec force les cordes des rares réverbères à demi éteints, en leur imprimant les balancements les plus bizarres ; les serenos, blottis dans les enfoncements des portes, grelottaient et sommeillaient ; parfois, à de longs intervalles, on entendait résonner, sur le pavé raboteux, le pas lourd et hâtif de quelque bourgeois attardé regagnant au plus vite son logis, ou le roulement sourd et lointain d’un carrosse de louage trottant tristement sous la pluie.

La demie après dix heures sonna à la Puerta del Sol ; au même instant, un galop rapide se fit entendre, et deux cavaliers enveloppés jusqu’aux yeux, dans les plis épais de leurs manteaux, tournèrent à fond de train l’angle de la calle de Carretas et de la Puerta del Sol.

— Halte ! dit un des cavaliers d’une voix contenue.

Les deux chevaux s’arrêtèrent, comme si leurs pieds se fussent subitement incrustés dans le sol.

L’homme qui déjà avait parlé sauta à terre, et, jetant la bride à son compagnon :

— Pars lui dit-il tu m’attendras au Leon de Castilla, en dehors de la porte d’Alcala ; il faut qu’avant le lever du soleil nous ayons fait dix lieues ; je te rejoindrai à une heure après minuit surtout, bouche cousue nous sommes entourés d’espions.

— Entendu, monseigneur, répondit le cavalier en rassemblant les brides dans sa main.

— Hein, encore ? fit le premier cavalier en frappant du pied avec impatience.

— Bien ! bien ! on se souviendra ; à vous revoir, señor Perrico, reprit-il en riant.

— À la bonne heure ! Maintenant, en route !

Le cavalier s’inclina respectueusement, fit sentir l’éperon, et s’éloigna au grand trot par la rue d’Alcala.

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

L’ABANDON.


Man delights not me.
(Shakespeare, Hamlet)

La Puerta del Sol, depuis un temps immémorial rendez-vous ordinaire des oisifs et des nouvellistes de Madrid, était, à l’époque où se passe cette histoire, un carrefour étroit, boueux, situé presque au centre de la ville et formé par le croisement des rues de Carretas, de la Montera et celle d’Alcala, qui le traversait dans toute sa longueur ; son nom bizarre lui venait de la porte d’une église peinte en rose tendre, enjolivée d’un cadran éclairé la nuit, et d’un grand soleil à rayons d’or.

Aujourd’hui, porte, cadran, soleil ont disparu ; l’ancien carrefour est devenu une place, mais le nom est resté.

Or, il y a quatre-vingts ans, on admirait, calle de Alcala, à deux cents pas au plus de la Puerta del Sol, un palais d’aspect grandiose, curieux et peut-être dernier spécimen à Madrid de l’architecture moresque.

Voici, en deux mots, l’histoire de ce palais :

Vers l’an 952, Madrid n’était encore qu’un misérable village, surgi, un peu à l’aventure, du milieu des ruines d’une ancienne station romaine ; les Mores, jugeant la situation bonne et facile à défendre, s’installèrent solidement à Madrid et y construisirent, pour le nouveau gouverneur, un Alcazar, destiné non-seulement à lui servir de palais, mais surtout à défendre la ville, qui ne tarda pas à s’accroître et à prendre une certaine importance sous la protection, toute-puissante alors, des conquérants arabes.

Don Enrique Pacheco Tellez de Salaberry, rico-hombre de Galice, commandant l’avant-garde d’Alfonso VI, roi de Léon et de Castille, pendant sa marche sur Tolède en 1085, s’approcha de Madrid sans être aperçu des sentinelles musulmanes, les surprit à l’improviste et prit d’assaut l’Alcazar. Ce hardi coup de main entraîna la reddition de la ville, qui, depuis, est demeurée définitivement acquise à la monarchie espagnole.

Le roi Alfonso VI, voulant récompenser le brillant fait d’armes du rico-hombre, lui fit don, pour lui et ses descendants, de l’Alcazar qu’il avait si vaillamment conquis.

Ce palais prit alors le nom de la puissante famille, dans laquelle il resta et dont il devint la résidence de prédilection.

L’entrée du palais ou hôtel Salaberry, un peu en retraite de l’alignement de la calle de Alcala, était formée par deux hautes tourelles en granit bleuâtre, sveltes, élancées, fouillées et découpées avec un art infini, surmontées d’almenas, percées çà et là de nombreuses archères, et reliées entre elles par une épaisse muraille crénelée, au centre de laquelle s’ouvrait une immense porte ogivale à doubles ventaux, large, massive, percée d’un guichet, garnie de solides serrures, véritables chefs-d’œuvre de serrurerie, et semée à profusion d’énormes clous en acier, dont les têtes étaient taillées en pointe de diamant.

Cette porte supportait un gigantesque écusson en saillie, sculpté dans le granit, et sur lequel les armoiries de la famille de Salaberry étaient très-artistiquement représentées.

Les Salaberry portaient d’or, au griffon de sable, la queue fourchée, lampassé et couronné de gueules ; l’écu, timbré d’un casque à visière baissée, dont le cimier était une couronne de duc, de fleurons à feuilles d’ache, avait pour support à dextre et à senestre un griffon la griffe allongée sur le casque et le maintenant.

Sur une banderole de granit, courant sous l’écusson, était gravée cette fière devise ou plutôt ce cri de guerre :

Cuidado alli viene !

ce qui signifie :

Gare, le voilà qui vient !

Le 13 octobre 179., la nuit était tombée, pluvieuse et sans lune ; le vent fouettait avec force les cordes des rares réverbères à demi éteints, en leur imprimant les balancements les plus bizarres ; les serenos, blottis dans les enfoncements des portes, grelottaient et sommeillaient ; parfois, à de longs intervalles, on entendait résonner, sur le pavé raboteux, le pas lourd et hâtif de quelque bourgeois attardé regagnant au plus vite son logis, ou le roulement sourd et lointain d’un carrosse de louage trottant tristement sous la pluie.

La demie après dix heures sonna à la Puerta del Sol ; au même instant, un galop rapide se fit entendre, et deux cavaliers enveloppés jusqu’aux yeux, dans les plis épais de leurs manteaux, tournèrent à fond de train l’angle de la calle de Carretas et de la Puerta del Sol.

— Halte ! dit un des cavaliers d’une voix contenue.

Les deux chevaux s’arrêtèrent, comme si leurs pieds se fussent subitement incrustés dans le sol.

L’homme qui déjà avait parlé sauta à terre, et, jetant la bride à son compagnon :

— Pars lui dit-il tu m’attendras au Leon de Castilla, en dehors de la porte d’Alcala ; il faut qu’avant le lever du soleil nous ayons fait dix lieues ; je te rejoindrai à une heure après minuit surtout, bouche cousue nous sommes entourés d’espions.

— Entendu, monseigneur, répondit le cavalier en rassemblant les brides dans sa main.

— Hein, encore ? fit le premier cavalier en frappant du pied avec impatience.

— Bien ! bien ! on se souviendra ; à vous revoir, señor Perrico, reprit-il en riant.

— À la bonne heure ! Maintenant, en route !

Le cavalier s’inclina respectueusement, fit sentir l’éperon, et s’éloigna au grand trot par la rue d’Alcala.

More books from YADE

Cover of the book Jim l’Indien by Aimard Gustave
Cover of the book Rome contemporaine by Aimard Gustave
Cover of the book Mascarille by Aimard Gustave
Cover of the book L’Éclaireur by Aimard Gustave
Cover of the book Molière à Shakespeare by Aimard Gustave
Cover of the book L’Arroseur (illustré) by Aimard Gustave
Cover of the book Germaine by Aimard Gustave
Cover of the book Les Rôdeurs de frontières by Aimard Gustave
Cover of the book Le Tempérament nerveux, Pratique et théorie de la psychologie individuelle comparée by Aimard Gustave
Cover of the book Madame Rose by Aimard Gustave
Cover of the book Coriolan by Aimard Gustave
Cover of the book L’Illustre Maurin by Aimard Gustave
Cover of the book Ces coquins d’agents de change by Aimard Gustave
Cover of the book Les Mariages de province by Aimard Gustave
Cover of the book La Question romaine by Aimard Gustave
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy