Author: | Romain Rolland | ISBN: | 1230001333787 |
Publisher: | Eric HELAN | Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Romain Rolland |
ISBN: | 1230001333787 |
Publisher: | Eric HELAN |
Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Il s’est produit un fait remarquable depuis dix ans. L’art français, le plus aristocratique de tous les arts, s’est aperçu que le Peuple existait. — Il le connaissait bien comme matière à discours, à roman, à drame, ou à tableau,…
« Admirable sujet à mettre en vers latins ! »…
Mais il ne comptait pas avec lui, comme avec un être vivant, un public et un juge.[1] Les progrès du socialisme ont attiré l’attention et les convoitises des artistes vers le souverain nouveau, dont les politiciens étaient jusqu’à présent les interprètes uniques : auteurs et acteurs tout ensemble. Ils ont découvert le peuple à leur tour, — découvert, si j’ose dire, un peu à la façon dont les explorateurs d’aujourd’hui découvrent une terre inconnue : comme un débouché pour leurs produits. Les auteurs y veulent introduire leurs œuvres, l’État son répertoire, ses acteurs, et ses fonctionnaires. C’est toute une comédie, où chacun joue son rôle ; mais il n’y a peut-être lieu pour personne de trouver là un sujet d’ironie : car il n’y a peut-être personne qui soit tout à fait à l’abri de l’ironie. Aussi bien il faut prendre les hommes comme ils sont, et ne pas décourager l’intérêt particulier de chercher à se confondre, ou de se confondre naïvement, avec l’intérêt général, pourvu que ce dernier en profite. Or il en est ainsi ; et, de ce grand mouvement qui s’étend avec trop de force et d’universalité pour que le bien n’y soit pas mêlé au mal, et la pensée de l’utilité publique aux soucis personnels, je ne veux retenir que deux faits : — C’est d’abord l’importance subite prise par le Peuple en art, — ou plutôt, l’importance prêtée au Peuple ; car le Peuple, comme d’habitude, ne parle guère, et chacun parle pour lui. — Et c’est, en second lieu, l’extraordinaire diversité des opinions qui s’abritent sous le nom général d’art populaire.
En réalité, il y a, parmi ceux qui se disent les représentants du Théâtre du Peuple, deux partis absolument opposés : les uns veulent donner au peuple le théâtre tel qu’il est, le théâtre quel qu’il soit. Les autres veulent faire sortir de cette force nouvelle : le Peuple, une forme d’art nouvelle, un théâtre nouveau. Les uns croient au Théâtre. Les autres espèrent dans le Peuple. Entre eux, aucun rapport. Champions du passé. Champions de l’avenir.
Je n’ai pas besoin de dire de quel côté s’est rangé l’État. L’État, par définition, et si paradoxal qu’il semble, est toujours du passé. Quelque nouvelles que soient les formes de vie qu’il représente, dès l’instant qu’il les représente, il les arrête et il les fige. On ne fixe pas la vie. C’est le rôle de l’État de pétrifier tout ce qu’il touche, de faire de tout idéal vivant un idéal bureaucratique...
Il s’est produit un fait remarquable depuis dix ans. L’art français, le plus aristocratique de tous les arts, s’est aperçu que le Peuple existait. — Il le connaissait bien comme matière à discours, à roman, à drame, ou à tableau,…
« Admirable sujet à mettre en vers latins ! »…
Mais il ne comptait pas avec lui, comme avec un être vivant, un public et un juge.[1] Les progrès du socialisme ont attiré l’attention et les convoitises des artistes vers le souverain nouveau, dont les politiciens étaient jusqu’à présent les interprètes uniques : auteurs et acteurs tout ensemble. Ils ont découvert le peuple à leur tour, — découvert, si j’ose dire, un peu à la façon dont les explorateurs d’aujourd’hui découvrent une terre inconnue : comme un débouché pour leurs produits. Les auteurs y veulent introduire leurs œuvres, l’État son répertoire, ses acteurs, et ses fonctionnaires. C’est toute une comédie, où chacun joue son rôle ; mais il n’y a peut-être lieu pour personne de trouver là un sujet d’ironie : car il n’y a peut-être personne qui soit tout à fait à l’abri de l’ironie. Aussi bien il faut prendre les hommes comme ils sont, et ne pas décourager l’intérêt particulier de chercher à se confondre, ou de se confondre naïvement, avec l’intérêt général, pourvu que ce dernier en profite. Or il en est ainsi ; et, de ce grand mouvement qui s’étend avec trop de force et d’universalité pour que le bien n’y soit pas mêlé au mal, et la pensée de l’utilité publique aux soucis personnels, je ne veux retenir que deux faits : — C’est d’abord l’importance subite prise par le Peuple en art, — ou plutôt, l’importance prêtée au Peuple ; car le Peuple, comme d’habitude, ne parle guère, et chacun parle pour lui. — Et c’est, en second lieu, l’extraordinaire diversité des opinions qui s’abritent sous le nom général d’art populaire.
En réalité, il y a, parmi ceux qui se disent les représentants du Théâtre du Peuple, deux partis absolument opposés : les uns veulent donner au peuple le théâtre tel qu’il est, le théâtre quel qu’il soit. Les autres veulent faire sortir de cette force nouvelle : le Peuple, une forme d’art nouvelle, un théâtre nouveau. Les uns croient au Théâtre. Les autres espèrent dans le Peuple. Entre eux, aucun rapport. Champions du passé. Champions de l’avenir.
Je n’ai pas besoin de dire de quel côté s’est rangé l’État. L’État, par définition, et si paradoxal qu’il semble, est toujours du passé. Quelque nouvelles que soient les formes de vie qu’il représente, dès l’instant qu’il les représente, il les arrête et il les fige. On ne fixe pas la vie. C’est le rôle de l’État de pétrifier tout ce qu’il touche, de faire de tout idéal vivant un idéal bureaucratique...