Author: | Jules Vallès | ISBN: | 1230000247065 |
Publisher: | NA | Publication: | June 17, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Jules Vallès |
ISBN: | 1230000247065 |
Publisher: | NA |
Publication: | June 17, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait: Un matin, on vint me dire dans un café : « Vous savez, le blagueur s’est tué. »
C’était un blagueur de la grande espèce, de ceux que le succès n’éblouit point et que le péril n’effraie pas.
On l’appelait « blagueur, » parce qu’il riait de tout et ne ménageait rien. Comme on avait peur de lui, on avait essayé d’appliquer à son ironie un mot qui en diminuât la hauteur et pût en voiler la portée. Il l’avait bien compris, mais il n’en avait ressenti qu’un peu plus d’orgueil et de mépris, orgueil de lui-même, mépris des autres.
Je ne fus ni bien surpris, ni trop affligé de la nouvelle. S’il avait chassé loin de lui la vie, c’est qu’il en avait épuisé la curiosité. J’étais sûr qu’il n’avait pas succombé à un accès de découragement, ni plié sous le poids bête d’un malheur.
Je me rappelais, en me dirigeant vers la maison où était déposé son cadavre, qu’il m’avait plus d’une fois réveillé le soir pour me prier, à travers la porte, de lui garder jusqu’au lendemain un pistolet chargé ; il voulait toujours avoir son arme pour se défendre, mais il en avait peur dans les nuits qui suivaient les jours néfastes, quand la fatalité lui avait imposé une humiliation ou escamoté quelque triomphe.
Pourquoi, cette fois, avait-il posé la gueule du canon sur son front et lâché la détente ?
Depuis longtemps déjà il avait échappé à la misère, il était riche, possédait une santé de fer, et il semblait que pas une émotion ne pouvait désormais égratigner son cœur de bronze.
Nous eûmes l’explication de son suicide quand nous eûmes lu son testament. Il avait déposé là ses souvenirs par tranches et miettes dans quelques bouts de papier froissés. Je les ai déchiffrés comme j’ai pu. Ce sont des pages curieuses, comme toutes les pages des Mémoires où l’homme a noté les minutes décisives de sa vie, minutes joyeuses, minutes tristes, moments solennels ou bizarres.
Ce sont surtout les moments bizarres que celui-là avait notés, et c’est dans un journal de caricature et de pamphlet qu’il faut encadrer le testament de cet aimable suicidé.
Extrait: Un matin, on vint me dire dans un café : « Vous savez, le blagueur s’est tué. »
C’était un blagueur de la grande espèce, de ceux que le succès n’éblouit point et que le péril n’effraie pas.
On l’appelait « blagueur, » parce qu’il riait de tout et ne ménageait rien. Comme on avait peur de lui, on avait essayé d’appliquer à son ironie un mot qui en diminuât la hauteur et pût en voiler la portée. Il l’avait bien compris, mais il n’en avait ressenti qu’un peu plus d’orgueil et de mépris, orgueil de lui-même, mépris des autres.
Je ne fus ni bien surpris, ni trop affligé de la nouvelle. S’il avait chassé loin de lui la vie, c’est qu’il en avait épuisé la curiosité. J’étais sûr qu’il n’avait pas succombé à un accès de découragement, ni plié sous le poids bête d’un malheur.
Je me rappelais, en me dirigeant vers la maison où était déposé son cadavre, qu’il m’avait plus d’une fois réveillé le soir pour me prier, à travers la porte, de lui garder jusqu’au lendemain un pistolet chargé ; il voulait toujours avoir son arme pour se défendre, mais il en avait peur dans les nuits qui suivaient les jours néfastes, quand la fatalité lui avait imposé une humiliation ou escamoté quelque triomphe.
Pourquoi, cette fois, avait-il posé la gueule du canon sur son front et lâché la détente ?
Depuis longtemps déjà il avait échappé à la misère, il était riche, possédait une santé de fer, et il semblait que pas une émotion ne pouvait désormais égratigner son cœur de bronze.
Nous eûmes l’explication de son suicide quand nous eûmes lu son testament. Il avait déposé là ses souvenirs par tranches et miettes dans quelques bouts de papier froissés. Je les ai déchiffrés comme j’ai pu. Ce sont des pages curieuses, comme toutes les pages des Mémoires où l’homme a noté les minutes décisives de sa vie, minutes joyeuses, minutes tristes, moments solennels ou bizarres.
Ce sont surtout les moments bizarres que celui-là avait notés, et c’est dans un journal de caricature et de pamphlet qu’il faut encadrer le testament de cet aimable suicidé.