La Guzla

Fiction & Literature, Historical
Cover of the book La Guzla by PROSPER MÉRIMÉE, GILBERT TEROL
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Author: PROSPER MÉRIMÉE ISBN: 1230002783796
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 3, 2018
Imprint: Language: French
Author: PROSPER MÉRIMÉE
ISBN: 1230002783796
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 3, 2018
Imprint:
Language: French

Hyacinthe Maglanovich est le seul joueur de guzla que j’aie vu, qui fût aussi poëte ; car la plupart ne font que répéter d’anciennes chansons, ou tout au plus ne composent que des pastiches, en prenant vingt vers d’une ballade, autant d’une autre, et liant le tout au moyen de mauvais vers de leur façon.

Notre poëte est né à Zuonigrad, comme il le dit lui-même dans sa ballade intitulée l’Aubépine de Veliko. Il était fils d’un cordonnier, et ses parens ne semblent pas s’être donné beaucoup de mal pour son éducation, car il ne sait ni lire ni écrire. A l’âge de huit ans il fut enlevé par des Tchingénehs ou Bohémiens. Ces gens le menèrent en Bosnie, où ils lui apprirent leurs tours et le convertirent sans peine à l’islamisme, qu’ils professent pour la plupart Un ayan ou maire de Livno le tira de leurs mains et le prit à son service, où il passa quelques années.

Il avait quinze ans, quand un moine catholique réussit à le convenir au christianisme, au risque de se faire empaler s’il était découvert ; car les Turcs n’encouragent point les travaux des missionnaires. Le jeune Hyacinthe n’eut pas de peine à se décider à quitter un maître assez dur, comme sont la plupart des Bosniaques ; mais, en se sauvant de sa maison, il voulut tirer vengeance de ses mauvais traitemens. Profitant d’une nuit orageuse, il sortit de Livno, emportant une pelisse et le sabre de son maître, avec quelques sequins qu’il put dérober. Le moine qui l’avait rebaptisé l’accompagna dans sa fuite, que peut-être il avait conseillé.

De Livno à Scign en Dalmatie il n’y a qu’une douzaine de lieues. Les fugitifs s’y trouvèrent bientôt sous la protection du gouvernement vénitien et à l’abri des poursuites de l’ayan. Ce fut dans cette ville que Maglanovich fit sa première chanson : il célèbre sa fuite dans une ballade qui trouva quelques admirateurs et qui commença sa réputation.

Mais il était sans ressources d’ailleurs pour subsister, et la nature lui avait donné peu de goût pour le travail. Grâce à l’hospitalité morlaque, il vécut quelque temps de la charité des habitants des campagnes, payant son écot en chantant sur la guzla quelque vieille romance qu’il savait par cœur. Bientôt il en composa lui-même pour des mariages et des enterrements, et sut si bien se rendre nécessaire, qu’il n’y avait pas de bonne fête si Maglanovich et sa guzla n’en étaient pas.

Il vivait ainsi dans les environs de Scign, se souciant fort peu de ses parens, dont il ignore encore le destin, car il n’a jamais été à Zuonigrad depuis son enlèvement.

A vingt-cinq ans c’était un beau jeune homme, fort, adroit, bon chasseur et de plus poëte et musicien célèbre ; il était bien vu de tout le monde, et surtout des jeunes filles. Celle qu’il préférait se nommait Marie et était fille d’un riche Morlaque, nommé Zlarinovich. Il gagna facilement son affection et, suivant la coutume, il l’enleva. Il avait pour rival une espèce de seigneur du pays, nommé Uglian, lequel eut connaissance de l’enlèvement projeté. Dans les mœurs illyriennes l’amant dédaigné se console facilement et n’en fait pas plus mauvaise mine à son rival heureux ; mais cet Uglian s’avisa d’être jaloux et voulut mettre obstacle au bonheur de Maglanovich. La nuit de l’enlèvement, il parut accompagné de deux de ses domestiques, au moment où Marie était déjà montée sur un cheval et prête â suivre son amant. Uglian leur cria de s’arrêter d’une voix menaçante. Les deux rivaux étaient armés suivant l’usage. Maglanovich tira le premier et tua le seigneur Uglian. S’il avait eu une famille, elle aurait épousé sa querelle, et il n’aurait pas quitté le pays pour si peu de chose ; mais il était sans parens pour l’aider, et il restait seul exposé à la vengeance de toute la famille du mort. Il prit son parti promptement et s’enfuit avec sa femme dans les montagnes, où il s’associa avec des Heyduques.

Il vécut long-temps avec eux, et même il fut blessé au visage dans une escarmouche avec les Pandours. Enfin, ayant gagné quelque argent d’une manière assez peu honnête, je crois, il quitta les montagnes, acheta des bestiaux et vint s’établir dans le Kotar avec sa femme et quelques enfans. Sa maison est près de Smocovich, sur le bord d’une petite rivière ou d’un torrent qui se jette dans le lac de Vrana. Sa femme et ses enfans s’occupent de leurs vaches et de leur petite ferme ; mais lui est toujours en voyage ; souvent il va voir ses anciens amis les Heyduques, sans toutefois prendre part à leur dangereux métier.

Je l’ai vu à Zara pour la première fois en 1816. Je parlais alors très-facilement l’illyrique, et je désirais beaucoup entendre un poëte en réputation. Mon ami, l’estimable voivode Nicolas ***, avait rencontré à Biograd, où il demeure, Hyacinthe Maglanovich, qu’il connaissait déjà, et sachant qu’il allait à Zara, il lui donna une lettre pour moi. Il me disait que, si je voulais tirer quelque chose du joueur de guzla, il fallait le faire boire ; car il ne se sentait inspiré que lorsqu’il était à peu près ivre.

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Hyacinthe Maglanovich est le seul joueur de guzla que j’aie vu, qui fût aussi poëte ; car la plupart ne font que répéter d’anciennes chansons, ou tout au plus ne composent que des pastiches, en prenant vingt vers d’une ballade, autant d’une autre, et liant le tout au moyen de mauvais vers de leur façon.

Notre poëte est né à Zuonigrad, comme il le dit lui-même dans sa ballade intitulée l’Aubépine de Veliko. Il était fils d’un cordonnier, et ses parens ne semblent pas s’être donné beaucoup de mal pour son éducation, car il ne sait ni lire ni écrire. A l’âge de huit ans il fut enlevé par des Tchingénehs ou Bohémiens. Ces gens le menèrent en Bosnie, où ils lui apprirent leurs tours et le convertirent sans peine à l’islamisme, qu’ils professent pour la plupart Un ayan ou maire de Livno le tira de leurs mains et le prit à son service, où il passa quelques années.

Il avait quinze ans, quand un moine catholique réussit à le convenir au christianisme, au risque de se faire empaler s’il était découvert ; car les Turcs n’encouragent point les travaux des missionnaires. Le jeune Hyacinthe n’eut pas de peine à se décider à quitter un maître assez dur, comme sont la plupart des Bosniaques ; mais, en se sauvant de sa maison, il voulut tirer vengeance de ses mauvais traitemens. Profitant d’une nuit orageuse, il sortit de Livno, emportant une pelisse et le sabre de son maître, avec quelques sequins qu’il put dérober. Le moine qui l’avait rebaptisé l’accompagna dans sa fuite, que peut-être il avait conseillé.

De Livno à Scign en Dalmatie il n’y a qu’une douzaine de lieues. Les fugitifs s’y trouvèrent bientôt sous la protection du gouvernement vénitien et à l’abri des poursuites de l’ayan. Ce fut dans cette ville que Maglanovich fit sa première chanson : il célèbre sa fuite dans une ballade qui trouva quelques admirateurs et qui commença sa réputation.

Mais il était sans ressources d’ailleurs pour subsister, et la nature lui avait donné peu de goût pour le travail. Grâce à l’hospitalité morlaque, il vécut quelque temps de la charité des habitants des campagnes, payant son écot en chantant sur la guzla quelque vieille romance qu’il savait par cœur. Bientôt il en composa lui-même pour des mariages et des enterrements, et sut si bien se rendre nécessaire, qu’il n’y avait pas de bonne fête si Maglanovich et sa guzla n’en étaient pas.

Il vivait ainsi dans les environs de Scign, se souciant fort peu de ses parens, dont il ignore encore le destin, car il n’a jamais été à Zuonigrad depuis son enlèvement.

A vingt-cinq ans c’était un beau jeune homme, fort, adroit, bon chasseur et de plus poëte et musicien célèbre ; il était bien vu de tout le monde, et surtout des jeunes filles. Celle qu’il préférait se nommait Marie et était fille d’un riche Morlaque, nommé Zlarinovich. Il gagna facilement son affection et, suivant la coutume, il l’enleva. Il avait pour rival une espèce de seigneur du pays, nommé Uglian, lequel eut connaissance de l’enlèvement projeté. Dans les mœurs illyriennes l’amant dédaigné se console facilement et n’en fait pas plus mauvaise mine à son rival heureux ; mais cet Uglian s’avisa d’être jaloux et voulut mettre obstacle au bonheur de Maglanovich. La nuit de l’enlèvement, il parut accompagné de deux de ses domestiques, au moment où Marie était déjà montée sur un cheval et prête â suivre son amant. Uglian leur cria de s’arrêter d’une voix menaçante. Les deux rivaux étaient armés suivant l’usage. Maglanovich tira le premier et tua le seigneur Uglian. S’il avait eu une famille, elle aurait épousé sa querelle, et il n’aurait pas quitté le pays pour si peu de chose ; mais il était sans parens pour l’aider, et il restait seul exposé à la vengeance de toute la famille du mort. Il prit son parti promptement et s’enfuit avec sa femme dans les montagnes, où il s’associa avec des Heyduques.

Il vécut long-temps avec eux, et même il fut blessé au visage dans une escarmouche avec les Pandours. Enfin, ayant gagné quelque argent d’une manière assez peu honnête, je crois, il quitta les montagnes, acheta des bestiaux et vint s’établir dans le Kotar avec sa femme et quelques enfans. Sa maison est près de Smocovich, sur le bord d’une petite rivière ou d’un torrent qui se jette dans le lac de Vrana. Sa femme et ses enfans s’occupent de leurs vaches et de leur petite ferme ; mais lui est toujours en voyage ; souvent il va voir ses anciens amis les Heyduques, sans toutefois prendre part à leur dangereux métier.

Je l’ai vu à Zara pour la première fois en 1816. Je parlais alors très-facilement l’illyrique, et je désirais beaucoup entendre un poëte en réputation. Mon ami, l’estimable voivode Nicolas ***, avait rencontré à Biograd, où il demeure, Hyacinthe Maglanovich, qu’il connaissait déjà, et sachant qu’il allait à Zara, il lui donna une lettre pour moi. Il me disait que, si je voulais tirer quelque chose du joueur de guzla, il fallait le faire boire ; car il ne se sentait inspiré que lorsqu’il était à peu près ivre.

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