Jean-Christophe, L’Aube T I, Le Matin T II

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Jean-Christophe, L’Aube T I, Le Matin T II by Romain Rolland, GILBERT TEROL
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Author: Romain Rolland ISBN: 1230002791401
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 4, 2018
Imprint: Language: French
Author: Romain Rolland
ISBN: 1230002791401
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 4, 2018
Imprint:
Language: French

Quelques années ont passé. Christophe va avoir onze ans. Il continue son éducation musicale. Il apprend l’harmonie avec Florian Holzer, l’organiste de Saint-Martin, un ami de grand-père, qui est un homme très savant, et qui lui enseigne que les accords, les successions d’accords qu’il aime le mieux, des harmonies qui lui caressent doucement l’oreille et le cœur, et qu’il ne peut entendre sans qu’un petit frisson lui coure le long de l’échine, sont mauvais et défendus. Quand il demande pourquoi, il n’y a d’autre réponse, sinon que c’est ainsi : la règle les défend. Comme il est naturellement indiscipliné, il ne les en aime que mieux. Sa joie est d’en trouver des exemples chez les grands musiciens qu’on admire, et de les apporter à grand-père, ou à son maître. À cela, grand-père répond que, chez les grands musiciens, c’est admirable, et que Beethoven ou Bach pouvaient tout se permettre. Le maître, moins conciliant, se fâche, et dit aigrement que ce n’est pas ce qu’ils ont fait de mieux.

Christophe a ses entrées aux concerts et au théâtre ; il apprend à toucher un peu de tous les instruments. Il est même d’une jolie force déjà sur le violon ; et son père a imaginé de lui faire donner un pupître à l’orchestre. Il y tient si bien sa partie, qu’après quelques mois de stage, il a été nommé officiellement second violon du Hof Musik Verein. Ainsi, il commence à gagner sa vie ; et ce n’est pas trop tôt ; car les affaires se gâtent de plus en plus à la maison. L’intempérance de Melchior a empiré, et le grand-père vieillit.

Christophe se rend compte des tristesses de la situation ; il a déjà l’air sérieux et soucieux d’un petit homme. Il s’acquitte vaillamment de sa tâche, bien qu’elle ne l’intéresse guère, et qu’il tombe de sommeil, le soir, à l’orchestre, parce qu’il est tard, et qu’il s’ennuie. Le théâtre ne lui cause plus l’émotion d’autrefois, quand il était petit. Quand il était petit, — il y a quatre ans de cela, — sa suprême ambition eût été d’occuper cette place, où il est aujourd’hui. Aujourd’hui, il n’aime pas la plupart des musiques qu’on lui fait jouer ; il n’ose pas encore formuler son jugement sur elles : au fond, il les trouve sottes ; et quand, par hasard, on joue de belles choses, il est mécontent de la bonhomie avec laquelle on les joue : les œuvres qu’il aime le mieux finissent par ressembler à ses voisins, ses collègues de l’orchestre, qui, le rideau tombé, lorsqu’ils ont fini de souffler ou de gratter, s’épongent en souriant, et racontent tranquillement leurs petites histoires, comme s’ils venaient de faire une heure de gymnastique, Il a aussi revu de près son ancienne passion, la chanteuse blonde aux pieds nus ; il la rencontre souvent, pendant l’entr’acte, à la restauration. Comme elle sait qu’il a été amoureux d’elle, elle l’embrasse volontiers ; il n’en éprouve aucun plaisir : il est dégoûté par son fard, son odeur, ses bras énormes, et sa voracité ; il la hait maintenant.

Le grand-duc n’oubliait pas son pianiste ordinaire : non que la modique pension qu’il lui attribuait pour ce titre lui fût exactement payée, — il fallait toujours la réclamer ; — mais, de temps en temps, Christophe recevait l’ordre de se rendre au château, quand il y avait des invités de marque, ou bien, tout simplement, quand il prenait fantaisie à Leurs Altesses de l’entendre. C’était presque toujours le soir, à des heures où Christophe eût voulu rester seul. Il fallait tout laisser, et venir en toute hâte. Parfois, on le faisait attendre dans une antichambre, parce que le dîner n’était pas fini. Les domestiques, habitués à le voir, lui parlaient familièrement. Puis, on l’introduisait dans un salon, plein de glaces et de lumières, où des personnes gourmées le dévisageaient avec une curiosité blessante. Il devait traverser la pièce trop cirée, pour aller baiser la main de Leurs Altesses ; et plus il grandissait, plus il devenait gauche ; car il se trouvait ridicule, et son orgueil souffrait.

Ensuite, il se mettait au piano, et il devait jouer pour ces imbéciles : — il les jugeait tels. — Il y avait des moments où l’indifférence environnante l’oppressait tellement, pendant qu’il jouait, qu’il était sur le point de s’arrêter net au milieu du morceau. L’air manquait autour de lui ; il était comme asphyxié ; il tombait dans le vide. On le comblait de félicitations, quand il avait fini ; on l’assommait de compliments ; on le présentait de l’un à l’autre, Il pensait qu’on le regardait comme un animal curieux, qui faisait partie de la ménagerie du prince, et que les éloges s’adressaient plus à son maître qu’à lui.

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Quelques années ont passé. Christophe va avoir onze ans. Il continue son éducation musicale. Il apprend l’harmonie avec Florian Holzer, l’organiste de Saint-Martin, un ami de grand-père, qui est un homme très savant, et qui lui enseigne que les accords, les successions d’accords qu’il aime le mieux, des harmonies qui lui caressent doucement l’oreille et le cœur, et qu’il ne peut entendre sans qu’un petit frisson lui coure le long de l’échine, sont mauvais et défendus. Quand il demande pourquoi, il n’y a d’autre réponse, sinon que c’est ainsi : la règle les défend. Comme il est naturellement indiscipliné, il ne les en aime que mieux. Sa joie est d’en trouver des exemples chez les grands musiciens qu’on admire, et de les apporter à grand-père, ou à son maître. À cela, grand-père répond que, chez les grands musiciens, c’est admirable, et que Beethoven ou Bach pouvaient tout se permettre. Le maître, moins conciliant, se fâche, et dit aigrement que ce n’est pas ce qu’ils ont fait de mieux.

Christophe a ses entrées aux concerts et au théâtre ; il apprend à toucher un peu de tous les instruments. Il est même d’une jolie force déjà sur le violon ; et son père a imaginé de lui faire donner un pupître à l’orchestre. Il y tient si bien sa partie, qu’après quelques mois de stage, il a été nommé officiellement second violon du Hof Musik Verein. Ainsi, il commence à gagner sa vie ; et ce n’est pas trop tôt ; car les affaires se gâtent de plus en plus à la maison. L’intempérance de Melchior a empiré, et le grand-père vieillit.

Christophe se rend compte des tristesses de la situation ; il a déjà l’air sérieux et soucieux d’un petit homme. Il s’acquitte vaillamment de sa tâche, bien qu’elle ne l’intéresse guère, et qu’il tombe de sommeil, le soir, à l’orchestre, parce qu’il est tard, et qu’il s’ennuie. Le théâtre ne lui cause plus l’émotion d’autrefois, quand il était petit. Quand il était petit, — il y a quatre ans de cela, — sa suprême ambition eût été d’occuper cette place, où il est aujourd’hui. Aujourd’hui, il n’aime pas la plupart des musiques qu’on lui fait jouer ; il n’ose pas encore formuler son jugement sur elles : au fond, il les trouve sottes ; et quand, par hasard, on joue de belles choses, il est mécontent de la bonhomie avec laquelle on les joue : les œuvres qu’il aime le mieux finissent par ressembler à ses voisins, ses collègues de l’orchestre, qui, le rideau tombé, lorsqu’ils ont fini de souffler ou de gratter, s’épongent en souriant, et racontent tranquillement leurs petites histoires, comme s’ils venaient de faire une heure de gymnastique, Il a aussi revu de près son ancienne passion, la chanteuse blonde aux pieds nus ; il la rencontre souvent, pendant l’entr’acte, à la restauration. Comme elle sait qu’il a été amoureux d’elle, elle l’embrasse volontiers ; il n’en éprouve aucun plaisir : il est dégoûté par son fard, son odeur, ses bras énormes, et sa voracité ; il la hait maintenant.

Le grand-duc n’oubliait pas son pianiste ordinaire : non que la modique pension qu’il lui attribuait pour ce titre lui fût exactement payée, — il fallait toujours la réclamer ; — mais, de temps en temps, Christophe recevait l’ordre de se rendre au château, quand il y avait des invités de marque, ou bien, tout simplement, quand il prenait fantaisie à Leurs Altesses de l’entendre. C’était presque toujours le soir, à des heures où Christophe eût voulu rester seul. Il fallait tout laisser, et venir en toute hâte. Parfois, on le faisait attendre dans une antichambre, parce que le dîner n’était pas fini. Les domestiques, habitués à le voir, lui parlaient familièrement. Puis, on l’introduisait dans un salon, plein de glaces et de lumières, où des personnes gourmées le dévisageaient avec une curiosité blessante. Il devait traverser la pièce trop cirée, pour aller baiser la main de Leurs Altesses ; et plus il grandissait, plus il devenait gauche ; car il se trouvait ridicule, et son orgueil souffrait.

Ensuite, il se mettait au piano, et il devait jouer pour ces imbéciles : — il les jugeait tels. — Il y avait des moments où l’indifférence environnante l’oppressait tellement, pendant qu’il jouait, qu’il était sur le point de s’arrêter net au milieu du morceau. L’air manquait autour de lui ; il était comme asphyxié ; il tombait dans le vide. On le comblait de félicitations, quand il avait fini ; on l’assommait de compliments ; on le présentait de l’un à l’autre, Il pensait qu’on le regardait comme un animal curieux, qui faisait partie de la ménagerie du prince, et que les éloges s’adressaient plus à son maître qu’à lui.

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