LE CONTE DE L'ARCHER

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book LE CONTE DE L'ARCHER by ARMAND SILVESTRE, GILBERT TEROL
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Author: ARMAND SILVESTRE ISBN: 1230000212263
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 23, 2014
Imprint: Language: French
Author: ARMAND SILVESTRE
ISBN: 1230000212263
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 23, 2014
Imprint:
Language: French

C’est un beau pays que celui de Touraine, où, autrefois comme aujourd’hui, les braves gens aimaient à humer à même au pot, pendant les chaudes journées d’août, sous l’ombre des grands arbres, égayés par la claire musique des grillons, non pas seuls au moins, mais par couples amoureux, et chacun tenant sa chacune enlacée. Ainsi passaient-ils joyeusement la canicule, sous le règne du bon roi Louis le Onzième, dont Dieu ait l’âme, à moins que le diable ne l’ait réclamée comme sienne. Ah ! le vieil hypocrite roi que la dévotionn’empêchait de faire mille villenies et cruautés ! Mais il n’en eût pas fallu parler ainsi devant maître Guillaume Bignolet, tanneur de son état, lequel exerçait sa puante industrie dans la bonne ville de Chinon, non plus que devant sa femme Mathurine, une robuste commère aux cheveux flambants comme un feu de la Saint-Jean. Car tous deux aimaient fort ce prince cauteleux, pour ce qu’il abattait l’orgueil de la noblesse et encageait les cardinaux comme de simples dindons. Il les fallait entendre discourir sur les mérites de ce monarque, les soirs d’hiver, en mangeant des châtaignes qu’ils arrosaient de vin blanc de la contrée, lequel est bien le plus traître gaillard que je connaisse, et vous heurte la tête comme le maillet de fer dont on abat les bœufs.

En quoi ils étaient constamment contredits par le voisin Mathieu Clignebourde, lequel aimait fort médire du gouvernement, étant de ceux qui croient que les gouvernements ont été institués pour le bonheur des peuples et non des gouvernants.

Mais ce Mathieu Clignebourde avait l’humeur aigrie, non pas au moins de ce qu’il avait la douleur d’être veuf, mais, bien au contraire, de ce qu’il ne l’avait pas été assez tôt, ayant été cornifié comme pas un par dame Clignebourde ; et quandje dis : comme pas un ! vous devinez ce que pouvait être son cas. Ajoutez qu’avant d’exhaler son âme trompeuse dame Clignebourde l’avait pourvu d’une fille qui lui était à grand embarras. Car ce n’est pas une chose aisée pour un homme d’élever une jeune vierge dans le culte des pudiques vertus. Ce sont fleurs délicates qui veulent être maternellement arrosées. Et pourtant Isabeau — c’était le nom de la petite — était bien la plus gracieuse enfant du monde, blonde comme un rayon de miel, blanche comme une fleur de froment, avec deux yeux comme des bluets des champs et une bouche toute pareille à une fraise mûrissante ; douce avec cela comme un petit mouton, et nonobstant malicieuse à ses heures, ayant, en un mot, tout ce qu’il faut pour devenir une vraie femme et faire damner beaucoup d’amoureux. Car vous avez bien remarqué comme moi que, chez la femme, ce sont les qualités surtout qui servent à nous faire enrager.

Et Bignolet, me direz-vous, n’avait-il donc pas aussi une lignée ?

Si fait, mes petits compères, et à tel point que son fils Tristan sera précisément le héros de cette histoire. Ce Tristan, qui avait juste quatre ans de plus qu’Isabeau, était d’ailleurs infinimentmoins joli. D’aucuns même le trouvaient laid, comme si les hommes pouvaient l’être ! J’entends par là qu’à mon avis ils le sont tous également. Il faut même avouer que le jour où Dieu les fit à son image il n’était certainement pas en beauté.

Mais comme on ne saurait discuter des goûts, ainsi que le dit fort sagement un proverbe, je vais vous faire son portrait fidèle, vous laissant le droit de vous faire ensuite du modèle une idée aussi séduisante qu’il vous plaira. Donc il était fluet et rougeaud, avec un grand nez pointu par le milieu du visage, deux petits yeux qu’on eût dit faits à la vrille et une grande bouche dont la pointe de ses oreilles était constamment menacée. Sa chevelure plate, et de la couleur des blés salis par une pluie d’orage, lui pendait des deux côtés de la tête, sans friser aucunement. Il avait les mains épaisses pour son âge, et ses pieds étroits dessinaient des promontoires dans la poussière. Si tel est votre type apollonien, ne vous gênez pas pour moi. Car je suis de l’avis de ce sage qui disait souvent :

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C’est un beau pays que celui de Touraine, où, autrefois comme aujourd’hui, les braves gens aimaient à humer à même au pot, pendant les chaudes journées d’août, sous l’ombre des grands arbres, égayés par la claire musique des grillons, non pas seuls au moins, mais par couples amoureux, et chacun tenant sa chacune enlacée. Ainsi passaient-ils joyeusement la canicule, sous le règne du bon roi Louis le Onzième, dont Dieu ait l’âme, à moins que le diable ne l’ait réclamée comme sienne. Ah ! le vieil hypocrite roi que la dévotionn’empêchait de faire mille villenies et cruautés ! Mais il n’en eût pas fallu parler ainsi devant maître Guillaume Bignolet, tanneur de son état, lequel exerçait sa puante industrie dans la bonne ville de Chinon, non plus que devant sa femme Mathurine, une robuste commère aux cheveux flambants comme un feu de la Saint-Jean. Car tous deux aimaient fort ce prince cauteleux, pour ce qu’il abattait l’orgueil de la noblesse et encageait les cardinaux comme de simples dindons. Il les fallait entendre discourir sur les mérites de ce monarque, les soirs d’hiver, en mangeant des châtaignes qu’ils arrosaient de vin blanc de la contrée, lequel est bien le plus traître gaillard que je connaisse, et vous heurte la tête comme le maillet de fer dont on abat les bœufs.

En quoi ils étaient constamment contredits par le voisin Mathieu Clignebourde, lequel aimait fort médire du gouvernement, étant de ceux qui croient que les gouvernements ont été institués pour le bonheur des peuples et non des gouvernants.

Mais ce Mathieu Clignebourde avait l’humeur aigrie, non pas au moins de ce qu’il avait la douleur d’être veuf, mais, bien au contraire, de ce qu’il ne l’avait pas été assez tôt, ayant été cornifié comme pas un par dame Clignebourde ; et quandje dis : comme pas un ! vous devinez ce que pouvait être son cas. Ajoutez qu’avant d’exhaler son âme trompeuse dame Clignebourde l’avait pourvu d’une fille qui lui était à grand embarras. Car ce n’est pas une chose aisée pour un homme d’élever une jeune vierge dans le culte des pudiques vertus. Ce sont fleurs délicates qui veulent être maternellement arrosées. Et pourtant Isabeau — c’était le nom de la petite — était bien la plus gracieuse enfant du monde, blonde comme un rayon de miel, blanche comme une fleur de froment, avec deux yeux comme des bluets des champs et une bouche toute pareille à une fraise mûrissante ; douce avec cela comme un petit mouton, et nonobstant malicieuse à ses heures, ayant, en un mot, tout ce qu’il faut pour devenir une vraie femme et faire damner beaucoup d’amoureux. Car vous avez bien remarqué comme moi que, chez la femme, ce sont les qualités surtout qui servent à nous faire enrager.

Et Bignolet, me direz-vous, n’avait-il donc pas aussi une lignée ?

Si fait, mes petits compères, et à tel point que son fils Tristan sera précisément le héros de cette histoire. Ce Tristan, qui avait juste quatre ans de plus qu’Isabeau, était d’ailleurs infinimentmoins joli. D’aucuns même le trouvaient laid, comme si les hommes pouvaient l’être ! J’entends par là qu’à mon avis ils le sont tous également. Il faut même avouer que le jour où Dieu les fit à son image il n’était certainement pas en beauté.

Mais comme on ne saurait discuter des goûts, ainsi que le dit fort sagement un proverbe, je vais vous faire son portrait fidèle, vous laissant le droit de vous faire ensuite du modèle une idée aussi séduisante qu’il vous plaira. Donc il était fluet et rougeaud, avec un grand nez pointu par le milieu du visage, deux petits yeux qu’on eût dit faits à la vrille et une grande bouche dont la pointe de ses oreilles était constamment menacée. Sa chevelure plate, et de la couleur des blés salis par une pluie d’orage, lui pendait des deux côtés de la tête, sans friser aucunement. Il avait les mains épaisses pour son âge, et ses pieds étroits dessinaient des promontoires dans la poussière. Si tel est votre type apollonien, ne vous gênez pas pour moi. Car je suis de l’avis de ce sage qui disait souvent :

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