La lanterne d’un suspendu

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book La lanterne d’un suspendu by LÉO TAXIL, GILBERT TEROL
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Author: LÉO TAXIL ISBN: 1230002772721
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 1, 2018
Imprint: Language: French
Author: LÉO TAXIL
ISBN: 1230002772721
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 1, 2018
Imprint:
Language: French

Réjouissez-vous, Roux et Magnan ! Cloches de la Gazette et du Citoyen, sonnez à toutes volées.

Car, bonheur depuis si longtemps désiré, perspective si souvent rêvée, la Jeune République est suspendue.

Suspendue !

La pauvrette l’était, dès sa naissance ; elle l’était sur le bord d’un abîme qu’on appelle « l’état de siège. » Retenue par un fil ; ce fil, le grand sabre de M. Espivent, qui coupe comme un rasoir, l’a coupé, et l’ex-Marotte a roulé au fond du précipice. Elle n’en sortira pas de trois mois.

Versons une larme, deux larmes même.

Mais ne récriminons pas.

La loi, c’est… la loi. L’autorité, c’est… l’autorité. Et ce n’est pas moi, morbleu ! qui m’insurgerai contre la loi, encore moins contre l’autorité.

Je sais que beaucoup trouvent un peu raide qu’une suspension pareille vous tombe comme ça sur le nez, sans crier « gare », au moment où l’on s’y attend le moins : je leur fais grâce de leurs compliments de condoléances. Quant à ceux qui pensent que ce n’est pas assez pour un sacripant de mon espèce, ils sont bien bons ; je les remercie de la sympathie qu’ils me témoignent.

Il y en a d’autres qui doivent dire au contraire que le général Espivent est allé trop loin en me suspendant : ceux-là, je les embrasse du fond du cœur. Ce sont ceux qui n’auraient pas voulu me voir suspendu, mais seulement pendu.

[----]

Ne vous est-il jamais arrivé, lecteur, de recevoir un pavé sur la tête ?

Si oui, vous comprendrez facilement la stupéfaction profonde qui s’est emparée de moi mercredi, lorsque j’ai lu dans les journaux du matin l’arrêté de l’état de siège me concernant.

« Comment ! me suis-je écrié — avec tant de force que mon gérant en est devenu sourd, — comment ! si les articles incriminés de la Jeune Republiquesont à ce point subversifs, pourquoi ne s’en aperçoit-on que quatre jours après leur apparition ? »

De deux choses l’une : ou l’autorité les avait lus depuis le samedi matin ; ou elle n’en a eu connaissance que par les ravages terribles qu’ils ont causés.

Dans le premier cas, le général n’a pas trouvé d’abord ces articles dangereux, et alors, n’étant pas du tout connaisseur en cette matière, il ferait mieux de laisser la surveillance de la presse à ce cher M. Limbourg qui s’y entend fort, comme on sait.

Dans le second cas, notre grand chef militaire s’est montré bien peu soucieux de la vie des citoyens commis à sa garde, puisqu’il a préféré se promener au Prado qu’empêcher dès le début notre numéro 85 de lancer sur les Marseillais des articles aussi explosibles.

(Voilà un dilemme dont je défie bien M. Espivent de se tirer. À moins toutefois que, nouvel Alexandre, il ne tranche avec son épée ce petit nœud gordien. Chose qui lui serait très-facile ; argument que je trouverais on ne peut plus convaincant ; réponse raisonnable devant laquelle je m’inclinerais avec toute la grâce dont je pourrais être capable.)

Ceci dit entre parenthèses, arrivons aux désastres occasionnés par le dernier numéro de la Jeune République :

— 1° Dans la journée du samedi, un vieux monsieur, qui se trouvait assis sur un banc des Allées à côté d’un lecteur de notre journal, s’est trouvé subitement pris d’une attaque de nerfs et d’un vomissement de vermicelles par le nez, qui n’ont duré pas moins de dix minutes. Sitôt que la malencontreuse feuille a été ployée par son propriétaire et renfermée, l’attaque et le vomissement ont cessé.

— 2° Dimanche, un facteur rural ayant laissé tomber un exemplaire de la susdite Jeune République dans une terre labourée de Saint-Barnabé, une légion considérable de sauterelles s’est à l’instant même abattue sur la province de Constantine, et en même temps un paysan de Château-Gombert qui avait un nez à la Parmentière a vu sa femme dévorée en un clin d’œil par quarante-huit punaises.

— 3° On connaît maintenant la véritable cause de l’incendie de l’Alcazar, d’abord attribué à l’explosion d’un pétard (erreur !) ; ensuite au caractère hargneux et à la gourmandise prononcée du chien du piston de l’orchestre (erreur encore !). Ce sinistre est tout bonnement dû à notre collaborateur Sibilot qui, se promenant ce jour-là dans les coulisses et y méditant sa lettre au shah de Perse, a eu l’imprudence d’éternuer bruyamment, ce qui a déterminé l’inflammation immédiate de la scène et de l’établissement.

— 4° Depuis quelques jours, l’ami Bourelly maigrissait d’une façon inquiétante. Vendredi, il alla voir le docteur qui lui ordonna un lavement à la graine de lin. Le clystère fut pris ; mais, ô fatalité ! le malheureux, ayant aussitôt après signé nos exemplaires du dépôt, rendit à la stupéfaction générale d’honnêtes fabricants de clovisses qui se trouvaient là… devinez-quoi ?… Un ruisseau de pétrole ! Ce liquide insurrectionnel, s’étant répandu aussitôt dans les environs d’Endoume, y détruisit les nombreuses récoltes de blé et de chicorée que de braves habitants s’apprêtaient à moissonner.

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Réjouissez-vous, Roux et Magnan ! Cloches de la Gazette et du Citoyen, sonnez à toutes volées.

Car, bonheur depuis si longtemps désiré, perspective si souvent rêvée, la Jeune République est suspendue.

Suspendue !

La pauvrette l’était, dès sa naissance ; elle l’était sur le bord d’un abîme qu’on appelle « l’état de siège. » Retenue par un fil ; ce fil, le grand sabre de M. Espivent, qui coupe comme un rasoir, l’a coupé, et l’ex-Marotte a roulé au fond du précipice. Elle n’en sortira pas de trois mois.

Versons une larme, deux larmes même.

Mais ne récriminons pas.

La loi, c’est… la loi. L’autorité, c’est… l’autorité. Et ce n’est pas moi, morbleu ! qui m’insurgerai contre la loi, encore moins contre l’autorité.

Je sais que beaucoup trouvent un peu raide qu’une suspension pareille vous tombe comme ça sur le nez, sans crier « gare », au moment où l’on s’y attend le moins : je leur fais grâce de leurs compliments de condoléances. Quant à ceux qui pensent que ce n’est pas assez pour un sacripant de mon espèce, ils sont bien bons ; je les remercie de la sympathie qu’ils me témoignent.

Il y en a d’autres qui doivent dire au contraire que le général Espivent est allé trop loin en me suspendant : ceux-là, je les embrasse du fond du cœur. Ce sont ceux qui n’auraient pas voulu me voir suspendu, mais seulement pendu.

[----]

Ne vous est-il jamais arrivé, lecteur, de recevoir un pavé sur la tête ?

Si oui, vous comprendrez facilement la stupéfaction profonde qui s’est emparée de moi mercredi, lorsque j’ai lu dans les journaux du matin l’arrêté de l’état de siège me concernant.

« Comment ! me suis-je écrié — avec tant de force que mon gérant en est devenu sourd, — comment ! si les articles incriminés de la Jeune Republiquesont à ce point subversifs, pourquoi ne s’en aperçoit-on que quatre jours après leur apparition ? »

De deux choses l’une : ou l’autorité les avait lus depuis le samedi matin ; ou elle n’en a eu connaissance que par les ravages terribles qu’ils ont causés.

Dans le premier cas, le général n’a pas trouvé d’abord ces articles dangereux, et alors, n’étant pas du tout connaisseur en cette matière, il ferait mieux de laisser la surveillance de la presse à ce cher M. Limbourg qui s’y entend fort, comme on sait.

Dans le second cas, notre grand chef militaire s’est montré bien peu soucieux de la vie des citoyens commis à sa garde, puisqu’il a préféré se promener au Prado qu’empêcher dès le début notre numéro 85 de lancer sur les Marseillais des articles aussi explosibles.

(Voilà un dilemme dont je défie bien M. Espivent de se tirer. À moins toutefois que, nouvel Alexandre, il ne tranche avec son épée ce petit nœud gordien. Chose qui lui serait très-facile ; argument que je trouverais on ne peut plus convaincant ; réponse raisonnable devant laquelle je m’inclinerais avec toute la grâce dont je pourrais être capable.)

Ceci dit entre parenthèses, arrivons aux désastres occasionnés par le dernier numéro de la Jeune République :

— 1° Dans la journée du samedi, un vieux monsieur, qui se trouvait assis sur un banc des Allées à côté d’un lecteur de notre journal, s’est trouvé subitement pris d’une attaque de nerfs et d’un vomissement de vermicelles par le nez, qui n’ont duré pas moins de dix minutes. Sitôt que la malencontreuse feuille a été ployée par son propriétaire et renfermée, l’attaque et le vomissement ont cessé.

— 2° Dimanche, un facteur rural ayant laissé tomber un exemplaire de la susdite Jeune République dans une terre labourée de Saint-Barnabé, une légion considérable de sauterelles s’est à l’instant même abattue sur la province de Constantine, et en même temps un paysan de Château-Gombert qui avait un nez à la Parmentière a vu sa femme dévorée en un clin d’œil par quarante-huit punaises.

— 3° On connaît maintenant la véritable cause de l’incendie de l’Alcazar, d’abord attribué à l’explosion d’un pétard (erreur !) ; ensuite au caractère hargneux et à la gourmandise prononcée du chien du piston de l’orchestre (erreur encore !). Ce sinistre est tout bonnement dû à notre collaborateur Sibilot qui, se promenant ce jour-là dans les coulisses et y méditant sa lettre au shah de Perse, a eu l’imprudence d’éternuer bruyamment, ce qui a déterminé l’inflammation immédiate de la scène et de l’établissement.

— 4° Depuis quelques jours, l’ami Bourelly maigrissait d’une façon inquiétante. Vendredi, il alla voir le docteur qui lui ordonna un lavement à la graine de lin. Le clystère fut pris ; mais, ô fatalité ! le malheureux, ayant aussitôt après signé nos exemplaires du dépôt, rendit à la stupéfaction générale d’honnêtes fabricants de clovisses qui se trouvaient là… devinez-quoi ?… Un ruisseau de pétrole ! Ce liquide insurrectionnel, s’étant répandu aussitôt dans les environs d’Endoume, y détruisit les nombreuses récoltes de blé et de chicorée que de braves habitants s’apprêtaient à moissonner.

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