Un oncle à héritage

( Edition intégrale )

Fiction & Literature, Classics, Literary, Romance
Cover of the book Un oncle à héritage by Stella Blandy, Bloud et Barral (Paris) 1883
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Author: Stella Blandy ISBN: 1230002367668
Publisher: Bloud et Barral (Paris) 1883 Publication: June 9, 2018
Imprint: Language: French
Author: Stella Blandy
ISBN: 1230002367668
Publisher: Bloud et Barral (Paris) 1883
Publication: June 9, 2018
Imprint:
Language: French

Extrait: Madame, dit la femme de service en entrant dans la salle à manger au moment où la causerie s’animait devant le dessert à demi dévasté, c’est une dépêche qu’on apporte du télégraphe.
La correspondance par voie électrique n’est pas assez passée dans nos mœurs pour que l’arrivée d’un télégramme soit chose aussi banale que la remise d’une lettre.
La maîtresse de la maison, qui avait ce soir-là deux étrangers à sa table, prit le papier bleu du télégraphe et le posa près de son assiette sans l’ouvrir, mais avec une curiosité et un trouble évidents.
– Madame, lui dit le plus âgé de ses deux convives, ne nous traitez pas avec cette cérémonie, et prenez connaissance de ce télégramme. Monsieur Albert, joignez-vous à moi pour solliciter Mme Maudhuy de nous traiter, comme il sied en amis de la maison.
– Je n’oserais m’honorer si tôt de ce titre qui vous appartient, monsieur Langeron, répliqua le jeune homme en s’inclinant devant le vieillard ; mais Charles peut affirmer que sa familiarité avec moi autorise sa mère à me traiter sans façons.
– Eh ! sans doute, dit à son tour Charles Maudhuy. Une dépêche, c’est toujours un événement inattendu qui rompt toutes obligations présentes, et qui demande à être connu à la minute ; mais les femmes – j’en demande pardon à ma mère – sont dominées par les menues convenances de détail, au point d’y sacrifier l’essentiel.
Charles Maudhuy exprimait là, d’un ton à demi gai, une de ses convictions intimes. Qu’elle fût ou non à l’honneur de ses vingt-six ans, elle s’harmonisait chez lui avec son attitude un peu gourmée, avec sa manière de porter haut la tête et de cligner les paupières pour regarder. Mais en ce moment il tenait ses yeux tout grands ouverts et fixés avec une expression d’avidité sur le télégramme. On eût dit qu’il lisait une nouvelle impatiemment attendue à travers les plis du papier bleu.
– Eh bien, mère, tu ne te décides pas ? dit-il en voyant que Mme Maudhuy tournait l’enveloppe entre ses mains sans se résoudre à en faire sauter le cachet blanc.
– C’est involontaire, répondit Mme Maudhuy, et je vous prie, messieurs, d’excuser cet incident désagréable qui vient nous gâter la fête de mon fils, que vous avez été assez aimables pour vouloir bien célébrer avec nous. Oui, c’est involontaire ; je n’ai jamais pu ouvrir un télégramme sans un battement de cœur. C’est une série de dépêches qui, en trois jours, – il y a longtemps déjà, – porta la ruine dans notre maison. Enfin, c’est par un télégramme que j’ai appris que j’étais veuve, et vous, mes enfants, orphelins.
Charles Maudhuy s’agita sur sa chaise. Ces détails oiseux, ces explications d’un sentiment féminin, l’impatientaient ; mais sa sœur, qui était assise à table entre lui et M. Langeron, fut plus sensible à ce rappel d’un triste passé. Elle se leva, vint embrasser sa mère et retourna vers sa place avec la même grâce muette.
– Enfin, poursuivit Mme Maudhuy, je ne puis me défendre d’une sorte de superstition contre les nouvelles que m’apporte le télégraphe.
– Peut-être celles-ci te feront-elles changer d’avis, lui dit son fils avec un singulier sourire, mêlé d’espoir et d’anxiété.
– Tu sais donc d’avance ce que Contient cette dépêche ?
– Comment le saurais-je ? Mais le sang me bout sous les ongles d’attendre ainsi.
Charles Maudhuy joignit le geste à la parole. Il allongea le bras par-dessus le couvert d’Albert Develt, placé à la gauche de Mme Maudhuy ; il prit la dépêche, l’ouvrit d’un geste si brusque qu’elle en fut déchirée au coin, et tout en murmurant :
– C’est cela…, c’est bien cela !
Il tira vivement sa montre et articula plus haut :
– Il n’est que sept heures moins un quart. Ah ! quel bonheur que le dimanche nous ait fait avancer le dîner !… Cécile, ma petite sœur, que ma valise soit préparée d’ici à dix minutes. Je cours moi-même choisir une voiture qui ait un bon cheval.
Tous les convives furent debout en un instant, se parlant mutuellement sans s’entendre.
– Je t’accompagne, dit Albert Develt à son ami.
Ils sortirent tous deux, en hâte, pendant que Mme Maudhuy lisait à sa fille et à M. Langeron la dépêche laissée sûr la table et ainsi conçue :
« M. Maudhuy a fait une chute. N’a pas repris « connaissance depuis l’accident survenu à midi.
« J. TRASSEY. »
– Et la dépêche est datée d’une heure trois quarts en gare de Sennecey, dit M. Langeron. Ce blessé, madame, est-ce votre beau-frère, l’oncle de vos enfants, dont vous m’avez souvent parlé ?
– Lui-même. Une chute assez grave pour causer un évanouissement de deux heures est presque une annonce de mort quand il s’agit d’un vieillard de soixante-quatorze ans. Ah ! le pauvre homme ! je n’ai pas eu beaucoup à me louer de lui, mais je le plains.
– Ce cher oncle ! s’écria Cécile, moi qui espérais toujours le revoir, qui rêvais de le retrouver bien portant, bon et aimable comme il l’a toujours été avec moi.

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Extrait: Madame, dit la femme de service en entrant dans la salle à manger au moment où la causerie s’animait devant le dessert à demi dévasté, c’est une dépêche qu’on apporte du télégraphe.
La correspondance par voie électrique n’est pas assez passée dans nos mœurs pour que l’arrivée d’un télégramme soit chose aussi banale que la remise d’une lettre.
La maîtresse de la maison, qui avait ce soir-là deux étrangers à sa table, prit le papier bleu du télégraphe et le posa près de son assiette sans l’ouvrir, mais avec une curiosité et un trouble évidents.
– Madame, lui dit le plus âgé de ses deux convives, ne nous traitez pas avec cette cérémonie, et prenez connaissance de ce télégramme. Monsieur Albert, joignez-vous à moi pour solliciter Mme Maudhuy de nous traiter, comme il sied en amis de la maison.
– Je n’oserais m’honorer si tôt de ce titre qui vous appartient, monsieur Langeron, répliqua le jeune homme en s’inclinant devant le vieillard ; mais Charles peut affirmer que sa familiarité avec moi autorise sa mère à me traiter sans façons.
– Eh ! sans doute, dit à son tour Charles Maudhuy. Une dépêche, c’est toujours un événement inattendu qui rompt toutes obligations présentes, et qui demande à être connu à la minute ; mais les femmes – j’en demande pardon à ma mère – sont dominées par les menues convenances de détail, au point d’y sacrifier l’essentiel.
Charles Maudhuy exprimait là, d’un ton à demi gai, une de ses convictions intimes. Qu’elle fût ou non à l’honneur de ses vingt-six ans, elle s’harmonisait chez lui avec son attitude un peu gourmée, avec sa manière de porter haut la tête et de cligner les paupières pour regarder. Mais en ce moment il tenait ses yeux tout grands ouverts et fixés avec une expression d’avidité sur le télégramme. On eût dit qu’il lisait une nouvelle impatiemment attendue à travers les plis du papier bleu.
– Eh bien, mère, tu ne te décides pas ? dit-il en voyant que Mme Maudhuy tournait l’enveloppe entre ses mains sans se résoudre à en faire sauter le cachet blanc.
– C’est involontaire, répondit Mme Maudhuy, et je vous prie, messieurs, d’excuser cet incident désagréable qui vient nous gâter la fête de mon fils, que vous avez été assez aimables pour vouloir bien célébrer avec nous. Oui, c’est involontaire ; je n’ai jamais pu ouvrir un télégramme sans un battement de cœur. C’est une série de dépêches qui, en trois jours, – il y a longtemps déjà, – porta la ruine dans notre maison. Enfin, c’est par un télégramme que j’ai appris que j’étais veuve, et vous, mes enfants, orphelins.
Charles Maudhuy s’agita sur sa chaise. Ces détails oiseux, ces explications d’un sentiment féminin, l’impatientaient ; mais sa sœur, qui était assise à table entre lui et M. Langeron, fut plus sensible à ce rappel d’un triste passé. Elle se leva, vint embrasser sa mère et retourna vers sa place avec la même grâce muette.
– Enfin, poursuivit Mme Maudhuy, je ne puis me défendre d’une sorte de superstition contre les nouvelles que m’apporte le télégraphe.
– Peut-être celles-ci te feront-elles changer d’avis, lui dit son fils avec un singulier sourire, mêlé d’espoir et d’anxiété.
– Tu sais donc d’avance ce que Contient cette dépêche ?
– Comment le saurais-je ? Mais le sang me bout sous les ongles d’attendre ainsi.
Charles Maudhuy joignit le geste à la parole. Il allongea le bras par-dessus le couvert d’Albert Develt, placé à la gauche de Mme Maudhuy ; il prit la dépêche, l’ouvrit d’un geste si brusque qu’elle en fut déchirée au coin, et tout en murmurant :
– C’est cela…, c’est bien cela !
Il tira vivement sa montre et articula plus haut :
– Il n’est que sept heures moins un quart. Ah ! quel bonheur que le dimanche nous ait fait avancer le dîner !… Cécile, ma petite sœur, que ma valise soit préparée d’ici à dix minutes. Je cours moi-même choisir une voiture qui ait un bon cheval.
Tous les convives furent debout en un instant, se parlant mutuellement sans s’entendre.
– Je t’accompagne, dit Albert Develt à son ami.
Ils sortirent tous deux, en hâte, pendant que Mme Maudhuy lisait à sa fille et à M. Langeron la dépêche laissée sûr la table et ainsi conçue :
« M. Maudhuy a fait une chute. N’a pas repris « connaissance depuis l’accident survenu à midi.
« J. TRASSEY. »
– Et la dépêche est datée d’une heure trois quarts en gare de Sennecey, dit M. Langeron. Ce blessé, madame, est-ce votre beau-frère, l’oncle de vos enfants, dont vous m’avez souvent parlé ?
– Lui-même. Une chute assez grave pour causer un évanouissement de deux heures est presque une annonce de mort quand il s’agit d’un vieillard de soixante-quatorze ans. Ah ! le pauvre homme ! je n’ai pas eu beaucoup à me louer de lui, mais je le plains.
– Ce cher oncle ! s’écria Cécile, moi qui espérais toujours le revoir, qui rêvais de le retrouver bien portant, bon et aimable comme il l’a toujours été avec moi.

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